Mirja Juuri v Fazer Amica Oy.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2008:471
Date04 September 2008
Celex Number62007CC0396
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Docket NumberC-396/07

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. DÁMASO RUIZ-JARABO COLOMER

présentées le 4 septembre 2008 1(1)

Affaire C‑396/07

Mirja Juuri

contre

Fazer Amica Oy

[demande de décision préjudicielle formée par le Korkein oikeus (Finlande)]

«Transfert d’entreprises – Maintien des droits des travailleurs –Directive 2001/23/CE – Article 3, paragraphe 3 – Article 4, paragraphe 2 – Application d’une nouvelle convention collective – Fraude à la loi – Modification substantielle des conditions de travail – Résiliation volontaire du contrat de travail – Résiliation du fait de l’employeur – Conséquences de la résiliation sur l’indemnisation – Contenu minimal des directives»






I – Introduction

1. Mme Juuri a travaillé durant neuf ans dans le restaurant d’une entreprise du secteur métallurgique en Finlande. Lorsque son employeur a transféré le secteur de la restauration à une autre entreprise, les conditions de travail de Mme Juuri se sont dégradées. Le droit communautaire propose une solution pour la situation de cette travailleuse, mais la juridiction de renvoi a des doutes sur l’interprétation des normes communautaires. Concrètement, la directive 2001/23/CE (2), relative au maintien des droits des travailleurs en cas, notamment, de transfert d’entreprises, attribue la responsabilité d’un cas tel que celui de Mme Juuri à son nouvel employeur. La Cour doit déterminer l’ampleur de cette responsabilité et les effets économiques qu’elle induit.

2. La directive 2001/23 entre dans le cadre du droit social communautaire. Cette partie du droit communautaire accorde aux travailleurs la garantie de droits minimaux, les États membres pouvant relever le niveau de protection. Du fait de la complexité inhérente à la régulation des marchés nationaux du travail, ce texte a été adopté à l’issue de larges compromis, de sorte que ses dispositions, ouvertes et ambiguës, exigent fréquemment l’intervention de la Cour à titre préjudiciel.

3. De plus, le droit social communautaire se définit par sa structure fragmentaire. Il se compose de certaines règles destinées à résoudre des problèmes spécifiques qui surgissent au cours de la relation de travail. Il représente, métaphoriquement, un secteur constitué en archipel (3), dont les îlots n’apparaissent pas toujours reliés entre eux par des ponts. Dans la présente affaire, la Cour est appelée à aborder les questions qui se posent dans l’une de ces îles (4). On court donc le risque de donner satisfaction sur la directive interprétée, mais non sur les autres, avec lesquelles il existe des liens. Il convient donc de faire preuve de rigueur et de ne pas négliger les interrelations existant sur un terrain dispersé comme le terrain social, plus cohérent cependant qu’il n’y paraît au premier abord.

II – Les faits au principal

4. Le 5 avril 1994, Mme Juuri a intégré le personnel de la société Rautaruukki Oyj (ci-après la «cédante»), à Hämeenlinna (Finlande), pour y occuper un emploi dans le restaurant de l’entreprise. À partir du 10 décembre 1999, le contrat de Mme Juuri a été transformé en contrat de travail à durée indéterminée.

5. Si ses tâches étaient limitées au restaurant, Mme Juuri relevait de la convention collective du secteur de la métallurgie, qui arrivait à échéance le 31 janvier 2003 et était automatiquement reconductible pour une année, sauf dénonciation à l’initiative de l’une des parties dans un délai de deux mois avant la date d’échéance. Aucune dénonciation n’a été nécessaire puisque, le 12 décembre 2002, une autre convention a été signée pour le secteur, avec effet au 1er février 2003.

6. Ce même jour, une fois la convention antérieure abolie, la cédante a transmis la gestion du service de restauration à la société Amica Ravintolat Oy (ci-après la «cessionnaire»). À la suite de ce transfert, les employés de la cédante ont commencé à travailler pour le compte de la cessionnaire, mais en étant soumis à une nouvelle convention collective, en l’occurrence celle applicable au secteur de l’hôtellerie et de la restauration.

7. Mme Juuri, opposée à l’application de la convention collective du secteur de l’hôtellerie et de la restauration à son contrat de travail, estime relever de celle du secteur de la métallurgie. Selon la salariée, le changement de statut a entraîné une diminution de son revenu de 300 euros par mois, ainsi qu’un transfert vers d’autres lieux de travail. Pour sa part, la cessionnaire a reconnu que la nouvelle convention a exigé de Mme Juuri une série de changements, parmi lesquels l’exécution de tâches dans d’autres locaux, à titre temporaire toutefois, et une réduction de 100 euros de son salaire mensuel due à la réduction de la durée journalière de travail.

8. À la suite de ces modifications dans le régime conventionnel applicable à son contrat de travail, Mme Juuri a décidé de résilier ce dernier le 19 février 2003. Invoquant la législation finlandaise du travail, elle a réclamé en justice à la cessionnaire une indemnité de congé afférente à la période de préavis, ainsi qu’une indemnité correspondant à quatorze mois de salaire pour rupture illégale de son contrat de travail. Le 11 février 2005, le Helsingin käräjäoikeus a rejeté le recours de Mme Juuri en première instance. Un an plus tard, le 28 février 2006, le Helsingin hovioikeus a confirmé ce jugement en appel, mais Mme Juuri s’est pourvue devant le Korkein oikeus, juridiction suprême qui a saisi la Cour sur l’interprétation de la directive 2001/23.

III – Le cadre juridique

A – La réglementation communautaire

9. La directive 2001/23 prévoit un ensemble de conditions minimales en vue de préserver les droits des travailleurs lors des transferts d’entreprises, d’établissements ou de parties d’entreprises ou d’établissements. Dans le cadre du litige opposant Mme Juuri à la cessionnaire, les articles pertinents de ladite directive sont les articles 3, paragraphe 3, et 4, paragraphe 2, libellés comme suit:

«Article 3

[…]

3. Après le transfert, le cessionnaire maintient les conditions de travail convenues par une convention collective dans la même mesure que celle-ci les a prévues pour le cédant, jusqu’à la date de la résiliation ou de l’expiration de la convention collective ou de l’entrée en vigueur ou de l’application d’une autre convention collective.

Les États membres peuvent limiter la période du maintien des conditions de travail, sous réserve que celle-ci ne soit pas inférieure à un an.

[…]

Article 4

[…]

2. Si le contrat de travail ou la relation de travail est résilié du fait que le transfert entraîne une modification substantielle des conditions de travail au détriment du travailleur, la résiliation du contrat de travail ou de la relation de travail est considérée comme intervenue du fait de l’employeur.»

B – La réglementation nationale

10. Selon l’ordonnance de renvoi du Korkein oikeus, le chapitre 6 de la loi sur le contrat de travail (Työsopimuslaki) prévoit, à son article 2, qu’«un contrat de travail conclu pour une durée indéterminée ou valable pour une durée indéterminée est rompu par résiliation notifiée à l’autre partie contractante».

11. Au chapitre 7 de la même loi, l’article 6, transposant l’article 4, paragraphe 2, de la directive 2001/23 dans le droit finlandais, prévoit que, «s’il est mis fin au contrat de travail en raison d’une détérioration considérable des conditions de travail du travailleur due à un transfert d’entreprise, l’employeur est considéré comme responsable de la cessation de la relation de travail».

12. Au chapitre 8 de la loi sur le contrat de travail, l’article 1er, paragraphe 2, permet au travailleur de dénoncer le contrat de travail si l’employeur enfreint les obligations qui lui sont imposées et qui ont un impact essentiel sur la relation de travail, même pendant une période correspondant au délai de préavis.

13. Selon l’article 5 de la loi sur la convention collective (Työehtosopimuslaki), si l’employeur est partie à une convention collective ou lié par celle-ci d’une autre manière, son successeur reprend tous les droits et obligations qui incombaient à cet employeur en vertu de cette convention. Dans le cadre d’un transfert d’entreprise, le cessionnaire a donc l’obligation de respecter les conditions de la convention collective contraignante pour le cédant jusqu’à l’expiration de sa validité et, ensuite, de respecter la convention collective à laquelle il est lié au sens de l’article 4 de la loi sur la convention collective.

14. Au chapitre 12 de la loi sur le contrat de travail, l’article 2 prévoit que le salarié a le droit d’obtenir de son employeur une indemnisation en cas de rupture infondée du contrat de travail, l’employeur étant alors tenu de verser une indemnité dans le cas où il a mis fin à ce contrat en violation des motifs prévus par ladite loi, et d’indemniser le travailleur ayant dénoncé lui-même ledit contrat.

15. Au même chapitre 12, l’article 2 indique lui-même les limites de l’indemnité à laquelle le travailleur a droit, qui oscille entre trois et vingt-quatre mois de salaire.

16. Le travailleur n’a pas le droit de recevoir ladite indemnité si l’employeur a résilié le contrat de travail pour un motif réel et sérieux mais, même en pareil cas, il peut prétendre à percevoir son salaire et d’autres avantages afférents à la période de préavis. S’il est établi que l’employeur avait des raisons particulièrement sérieuses de dénoncer le contrat de travail avec effet immédiat, le salarié ne saurait percevoir ni le salaire ni les autres avantages afférents à la relation de travail.

17. Toujours au chapitre 12 de la loi sur le contrat de travail, l’article 1er contraint l’employeur, dans le cas où celui-ci a manqué, intentionnellement ou par négligence, aux obligations que le contrat de travail ou cette loi lui imposent, à réparer le préjudice qu’il a causé au travailleur.

IV – Les questions préjudicielles et la procédure devant la Cour

18. Par ordonnance du 24 août 2007, le Korkein oikeus, à la suite du...

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