Galina Meister v Speech Design Carrier Systems GmbH.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2012:8
Date12 January 2012
Celex Number62010CC0415
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Docket NumberC‑415/10
62010CC0415

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. PAOLO MENGOZZI

présentées le 12 janvier 2012 ( 1 )

Affaire C-415/10

Galina Meister

contre

Speech Design Carrier Systems GmbH

[demande de décision préjudicielle formée par le Bundesarbeitsgericht (Allemagne)]

«Politique sociale — Égalité de traitement en matière d’emploi et de travail — Charge de la preuve — Droit d’une personne dont la candidature à un emploi dans une entreprise privée n’a pas été retenue de recevoir toutes les informations relatives à la procédure de sélection afin de pouvoir prouver une éventuelle discrimination — Fait permettant de présumer l’existence d’une discrimination — Conséquences juridiques attachées à l’absence d’informations de la part de l’employeur»

1.

La preuve de la discrimination a la réputation d’être particulièrement difficile à apporter. Ce constat est encore plus vrai dans les cas de discrimination à l’embauche. Conscient de cet écueil, le législateur de l’Union a adopté des mesures visant à faciliter la tâche des demandeurs lorsqu’ils se prétendent victimes d’une discrimination notamment fondée sur le sexe, l’âge ou l’origine. Il a ainsi permis un aménagement de la charge de la preuve, sans aller toutefois jusqu’à consacrer un renversement total puisque, en effet, il ne pouvait être fait totalement abstraction de la liberté dont jouit traditionnellement l’employeur de recruter les personnes de son choix.

2.

Le présent renvoi préjudiciel, en provenance d’Allemagne, confronte aujourd’hui la Cour à l’épineuse question de savoir comment un candidat à l’embauche peut faire valoir, à son égard, le respect du principe de l’égalité de traitement quand sa candidature à un emploi a été rejetée par l’employeur sans que celui-ci fournisse le moindre motif de rejet ou la moindre information relative à la procédure de sélection et à son issue.

I – Le cadre juridique

A – Le droit de l’Union

3.

La directive 2000/43/CE du Conseil, du 29 juin 2000, relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité de traitement entre les personnes sans distinction de race ou d’origine ethnique ( 2 ), a pour objet la lutte contre les discriminations fondées sur la race ou l’origine ethnique.

4.

L’article 8 de la directive 2000/43 est consacré à la charge de la preuve. Il énonce, à son paragraphe 1, que «[l]es États membres prennent les mesures nécessaires, conformément à leur système judiciaire, afin que, dès lors qu’une personne s’estime lésée par le non-respect à son égard du principe de l’égalité de traitement et établit, devant une juridiction ou une autre instance compétente, des faits qui permettent de présumer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte, il incombe à la partie défenderesse de prouver qu’il n’y a pas eu violation du principe de l’égalité de traitement».

5.

La directive 2000/78/CE du Conseil, du 27 novembre 2000, portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail ( 3 ), a pour objet d’établir un cadre général pour lutter contre les discriminations fondées sur la religion ou les convictions, le handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle, en ce qui concerne l’emploi et le travail en vue de mettre en œuvre, dans les États membres, le principe de l’égalité de traitement.

6.

L’article 10 de la directive 2000/78 est consacré à la charge de la preuve. Il reproduit littéralement, à son paragraphe 1, le contenu de l’article 8, paragraphe 1, de la directive 2000/43.

7.

La directive 2006/54/CE du Parlement européen et du Conseil, du 5 juillet 2006, relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité des chances et de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en matière d’emploi et de travail ( 4 ), prévoit, à son article 19, paragraphe 1, consacré à la charge de la preuve, que «[l]es États membres, conformément à leur système judiciaire, prennent les mesures nécessaires afin que, dès lors qu’une personne s’estime lésée par le non-respect à son égard du principe de l’égalité de traitement et établit, devant une juridiction ou une autre instance compétente, des faits qui permettent de présumer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte, il incombe à la partie défenderesse de prouver qu’il n’y a pas eu violation du principe de l’égalité de traitement».

B – Le droit allemand

8.

La loi générale sur l’égalité de traitement (Allgemeines Gleichbehandlungsgesetz, ci-après l’«AGG») a pour objet, aux termes de son article 1er, d’empêcher que tout travailleur subisse une discrimination, qu’elle soit fondée sur la race ou l’origine ethnique, le sexe, la religion ou les convictions, un handicap, l’âge ou l’identité sexuelle. Sont explicitement considérées comme travailleurs, au sens de cette loi, les personnes qui sont candidates à un emploi ( 5 ). Par ailleurs, l’article 22 de l’AGG prévoit, en matière de charge de la preuve, que, «[l]orsque, en cas de litige, une partie produit des indices permettant de présumer l’existence d’une discrimination fondée sur un des motifs visés à l’article 1er, il incombe à la partie adverse de prouver qu’il n’y a pas eu violation des dispositions pour la protection contre les discriminations».

II – Le litige au principal et les questions préjudicielles

9.

Mme Meister est née en 1961 et est d’origine russe. Elle est titulaire d’un diplôme russe d’ingénieur système dont l’équivalence avec un diplôme délivré en Allemagne par un institut universitaire de technologie («Fachhoschule») a été reconnue par le Land de Schleswig-Hosltein.

10.

Speech Design Carrier Systems GmbH (ci-après la «société Speech Design») a fait paraître en 2006 une annonce dans la presse en vue du recrutement d’un «développeur de logiciels expérimenté H/F». Le 5 octobre 2006, Mme Meister a posé sa candidature, laquelle a été rejetée par la société Speech Design par un courrier en date du 11 octobre 2006. Ladite société a publié, peu de temps après, une annonce au contenu similaire sur Internet. Le 19 octobre 2006, Mme Meister s’est à nouveau portée candidate, mais la société Speech Design a rejeté une seconde fois sa candidature, sans l’avoir convoquée à un entretien ni lui avoir fourni une quelconque indication quant au rejet de sa candidature.

11.

Pensant avoir été discriminée à la fois en raison de son sexe, de son origine et de son âge, Mme Meister a introduit une action en justice et réclamait, sur le fondement de l’article 15 de l’AGG, une indemnisation pécuniaire. Elle demandait également à ce que la société Speech Design produise le dossier du candidat recruté à la suite de l’annonce afin de clarifier les faits.

12.

Ayant retenu qu’elle n’avait pas établi des indices suffisants, au sens de l’article 22 de l’AGG, permettant de présumer l’existence d’une discrimination, tant le juge de première instance que le juge d’appel ont rejeté la demande d’indemnisation que Mme Meister leur avait présentée. Mme Meister a donc introduit un recours en «Revision» devant le Bundesarbeitsgericht (Allemagne). La société Speech Design a, pour sa part, conclu au rejet dudit recours en raison du fait qu’il est insuffisamment étayé, la requérante n’ayant pas présenté d’éléments suffisants pour présumer l’existence d’une discrimination.

13.

La juridiction de renvoi concède, pour sa part, que la requérante au principal a manifestement subi, au sens du droit national, un traitement moins favorable que d’autres personnes placées dans une situation comparable puisqu’elle n’a pas été convoquée à un entretien par l’employeur, contrairement à d’autres personnes ayant également soumis leur candidature à la société Speech Design. Cependant, elle note également que Mme Meister n’a pas été en mesure d’établir que ce traitement moins favorable lui aurait été infligé en raison de son sexe, de son âge ou de son origine ethnique. Or, elle ajoute que le droit allemand exige que la partie demanderesse qui se plaint d’une discrimination établisse des faits, produise des indices permettant de présumer l’existence de ladite discrimination et ne se contente pas seulement de simples allégations. C’est notamment le cas lorsque les faits invoqués permettent de conclure objectivement, avec une très grande probabilité, que la discrimination est due à l’une des raisons susmentionnées.

14.

En application des dispositions pertinentes de l’AGG, et notamment de l’article 22 dont l’objet était de transposer, en droit allemand, l’article 8 de la directive 2000/43 et l’article 10 de la directive 2000/78, la juridiction de renvoi indique qu’un candidat qui estime avoir été discriminé en raison de son sexe, de son âge et/ou de son origine ethnique ne satisfait pas à son obligation d’alléguer en affirmant simplement s’être porté candidat, avoir été écarté et correspondre au profil recherché tout en se contentant de préciser son sexe, son âge ou son origine. Mme Meister devrait ainsi faire valoir d’autres éléments capables d’établir avec une grande probabilité les raisons de la discrimination, la non-convocation à l’entretien d’embauche pouvant s’expliquer par beaucoup d’autres facteurs. Elle est ainsi tenue, en vertu de l’article 22 de l’AGG, d’alléguer des faits. Toutefois, l’absence d’indications fournies par l’employeur au moment du rejet de ses candidatures ne lui a précisément pas permis de remplir cette exigence. C’est la raison pour laquelle la juridiction de renvoi s’interroge sur le fait de savoir s’il découle des directives 2000/43, 2000/78 et 2006/54 un droit à l’information qui permettrait à la candidate à l’embauche malheureuse d’exiger de l’employeur qu’il lui dise qui il a recruté et quelles ont été les raisons qui ont déterminé son choix.

15.

Se trouvant ainsi...

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