Leyla Ecem Demirkan v Bundesrepublik Deutschland.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2013:237
Date11 April 2013
Celex Number62011CC0221
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Docket NumberC-221/11
62011CC0221

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. PEDRO CRUZ VILLALÓN

présentées le 11 avril 2013 ( 1 )

Affaire C‑221/11

Leyla Ecem Demirkan

contre

Bundesrepublik Deutschland

[demande de décision préjudicielle introduite par l’Oberverwaltungsgericht Berlin-Brandenburg (Allemagne)]

«Accord d’association CEE-Turquie — Article 41, paragraphe 1, du protocole additionnel — Clause de ‘standstill’ — Libre prestation des services — Libre prestation de services passive — Entrée sans visa de ressortissants turcs — Extension de la libre prestation de services passive à la visite de membres de la famille»

1.

L’article 41, paragraphe 1, du protocole additionnel de 1970 à l’accord de 1963 créant une association entre la Communauté économique européenne et la Turquie (ci-après le «protocole additionnel») protège-t-il également les destinataires de services? Telle est, à mon sens, la question qui se trouve au cœur de la présente affaire préjudicielle.

2.

Cette problématique résulte de la rencontre de deux courants de la jurisprudence de la Cour. Le premier concerne l’article 41, paragraphe 1, du protocole additionnel (ce que l’on appelle la «clause de ‘standstill’»). Cette disposition interdit aux Parties contractantes d’introduire de nouvelles restrictions à la liberté d’établissement et à la libre prestation des services. La Cour a précisé dans son arrêt Soysal et Savatli que l’instauration d’une obligation de visa par les États membres pour l’entrée de prestataires de services turcs peut, dans certaines conditions, être contraire à la clause de «standstill» ( 2 ). Les restrictions à la libre prestation des services que la Cour a dû contrôler jusqu’ici dans le cadre de la clause de «standstill» ont toujours concerné l’activité de prestataires de services.

3.

Le second courant jurisprudentiel concerne la libre prestation des services protégée par l’article 56 TFUE. Celle-ci, en vertu d’une jurisprudence constante de la Cour depuis l’arrêt Luisi et Carbone ( 3 ), confère des droits également au destinataire de services (c’est ce que l’on appelle la «libre prestation de services passive»).

4.

La présente affaire donne à la Cour l’occasion de préciser si la libre prestation de services passive intégrée dans l’article 56 TFUE est également protégée par l’article 41, paragraphe 1, du protocole additionnel.

5.

La demande de décision préjudicielle a été présentée dans le cadre d’un litige entre Mlle Demirkan, une ressortissante turque, et la République fédérale d’Allemagne. Dans ce litige, Mlle Demirkan demande qu’il soit constaté son droit de voyager sans visa en Allemagne afin d’y rendre visite à son beau-père allemand et conclut subsidiairement à ce que lui soit délivré un visa de visite.

I – Cadre juridique

A – Droit international public

6.

La République fédérale d’Allemagne et la République de Turquie sont, depuis 1958 pour l’une et depuis 1961 pour l’autre, parties à l’accord européen sur le régime de la circulation des personnes entre les pays membres du Conseil de l’Europe. En vertu de cet accord, les ressortissants des Parties contractantes, quel que soit le pays de leur résidence, peuvent entrer sur le territoire des autres parties et en sortir par toutes les frontières sous le couvert de l’un des documents énumérés à l’annexe audit accord, pour y effectuer des séjours d’une durée maximale de trois mois (voir article 1er, paragraphes 1 et 2, dudit accord). Le visa ne figure pas parmi les documents énumérés dans l’annexe à cet accord.

7.

L’article 7 de cet accord autorise les Parties contractantes notamment à en suspendre temporairement l’application à l’égard de certaines autres parties pour des raisons relatives à l’ordre public, à la sécurité ou à la santé publique. Cette mesure doit être immédiatement notifiée au secrétaire général du Conseil de l’Europe. En 1980, la République fédérale d’Allemagne a indiqué, en application de l’article 7 dudit accord, qu’elle instaurait une obligation générale de visa pour les ressortissants turcs à compter du 5 octobre 1980.

B – Droit de l’Union

1. Accord d’association CEE-Turquie ( 4 )

8.

La République de Turquie, d’une part, et la Communauté économique européenne et ses États membres, d’autre part, ont signé le 12 septembre 1963 à Ankara l’accord créant une association entre la Communauté économique européenne et la Turquie (ci-après «l’accord»). Du côté de la Communauté économique européenne, l’accord a été conclu, approuvé et confirmé par la décision 64/732/CEE du Conseil, du 23 décembre 1963 ( 5 ).

9.

L’accord vise, aux termes de son article 2, à renforcer les relations commerciales et économiques entre les parties, en tenant pleinement compte de la nécessité «d’assurer le développement accéléré de l’économie de la Turquie et le relèvement du niveau de l’emploi et des conditions de vie du peuple turc». Le préambule de l’accord confirme cet objectif, au nom également de «l’amélioration constante des conditions de vie en Turquie et dans la Communauté économique européenne» et de la réduction de l’écart entre l’économie de la République de Turquie et celle des États membres de la Communauté. L’accord affirme à cet égard la nécessité d’apporter temporairement une aide économique à la République de Turquie afin de «[faciliter] ultérieurement l’adhésion de la Turquie à la Communauté». L’article 28 de l’accord prévoit à cet égard que les Parties contractantes examineront la possibilité d’une adhésion de la République de Turquie «[l]orsque le fonctionnement de l’accord aura permis d’envisager l’acceptation intégrale de la part de la Turquie des obligations découlant du traité instituant la Communauté».

10.

Pour réaliser les objectifs de l’accord, une union douanière doit être établie en trois phases. Au cours de la phase préparatoire, la République de Turquie renforce son économie avec l’aide de la Communauté (article 3 de l’accord). Au cours de la phase transitoire, une union douanière est mise en place progressivement et les politiques économiques sont rapprochées (article 4 de l’accord). Enfin, la phase définitive est fondée sur l’union douanière et implique le renforcement de la coordination des politiques économiques des Parties contractantes (article 5 de l’accord).

11.

L’application et le développement progressif du régime d’association sont assurés, aux termes de l’article 6 de l’accord, par un Conseil d’association au sein duquel les Parties contractantes se réunissent. Pour la réalisation des objets fixés par l’accord et dans les cas prévus par celui-ci, le Conseil d’association dispose d’un pouvoir de décision en vertu de l’article 22, paragraphe 1, de l’accord, chacune des deux parties devant prendre les mesures que comporte l’exécution des décisions ainsi prises. En particulier, selon l’article 8 de l’accord, il fixe, avant le début de la phase transitoire, les conditions, modalités et rythmes de mise en œuvre des dispositions propres aux domaines visés par le traité instituant la Communauté qui devront être pris en considération, notamment ceux visés au titre II de l’accord.

12.

Le titre II («mise en œuvre de la phase transitoire») de l’accord contient, outre l’article 8 susmentionné, des dispositions relatives à l’union douanière et à l’agriculture, ainsi que d’autres dispositions de caractère économique. En ce qui concerne la réalisation graduelle de la libre circulation des travailleurs ainsi que l’élimination des restrictions à la liberté d’établissement et à la libre prestation des services, les articles 12 à 14 de l’accord prévoient que les Parties contractantes s’inspirent des dispositions correspondantes du traité instituant la Communauté.

13.

Aux termes de l’article 14 de l’accord:

«Les Parties contractantes conviennent de s’inspirer des articles 55, 56 et 58 à 65 inclus du traité instituant la Communauté pour éliminer entre elles les restrictions à la libre prestation des services».

2. Protocole additionnel

14.

Pour arrêter les dispositions concernant les conditions, modalités et rythmes de réalisation de la phase transitoire (article 1er du protocole additionnel), les Parties contractantes ont signé, le 23 novembre 1970, le protocole additionnel que la Communauté a conclu, approuvé et confirmé par le règlement (CEE) no 2760/72 du Conseil, du 19 décembre 1972 ( 6 ). Aux termes de son article 62, le protocole additionnel est partie intégrante de l’accord. Le protocole additionnel, en application de son article 63, paragraphe 2, est entré en vigueur le 1er janvier 1973 et lie depuis lors également la République fédérale d’Allemagne.

15.

Le chapitre II du titre II («circulation des personnes et des services») du protocole additionnel traite du droit d’établissement, des services et des transports. L’article 41 du protocole additionnel, contenu dans ledit chapitre II, dispose:

«1. Les parties contractantes s’abstiennent d’introduire entre elles de nouvelles restrictions à la liberté d’établissement et à la libre prestation des services.

2. Le Conseil d’association fixe, conformément aux principes énoncés aux articles 13 et 14 de l’accord d’association, le rythme et les modalités selon lesquels les parties contractantes suppriment entre elles progressivement les restrictions à la liberté d’établissement et à la libre prestation des services.

Le Conseil d’association fixe ce rythme et ces modalités pour les différentes catégories d’activités, en tenant compte des dispositions analogues déjà prises par la Communauté dans ces domaines, ainsi que de la situation particulière de la Turquie sur le plan économique et social. Une priorité sera accordée aux activités contribuant particulièrement au développement de...

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