Patrick Christopher Kenny v Insurance Officer.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:1978:111
Docket Number1/78
Celex Number61978CC0001
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Date23 May 1978
61978C0001

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL M. HENRI MAYRAS,

PRÉSENTÉES LE 23 MAI 1978

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

I —

La présente affaire préjudicielle vous est déférée par le National Insurance Commissioner, compétent au Royaume-Uni pour statuer en appel sur certains litiges en matière de sécurité sociale. Elle vous conduira de nouveau à vous occuper de la situation, au regard des prestations en espèces de l'assurance maladie, des travailleurs «ne se trouvant pas en Grande-Bretagne» au sens du règlement no 1408/71.

A la différence de l'affaire Brack, sur laquelle vous avez statué par arrêt du 29 septembre 1976 (Recueil p. 1430), il s'agit en l'espèce d'un séjour ou d'une résidence d'un caractère un peu particulier puisque l'intéressé se trouvait incarcéré dans un autre État membre.

Nous serons ainsi amené à faire une incursion dans le domaine de la sécurité sociale des détenus qui, sauf erreur de notre part, n'a jamais donné lieu à jurisprudence de votre Cour. L'affaire Welchner (arrêt du 5 décembre 1967, Recueil p. 428) avait trait, en effet, à une période de captivité au titre de faits de guerre.

Le litige au principal oppose un ressortissant de la république d'Irlande, résidant actuellement en Angleterre, à l'Insurance Officer qui représente le Ministère britannique de la santé et de la sécurité sociale.

Le 9 janvier 1973, le sieur Kenny avait été reconnu coupable de voies de fait sur la personne de sa femme par la Cour criminelle centrale de Dublin et condamné de ce chef à douze mois de prison avec sursis, sous la condition de respecter une interdiction de séjourner en république d'Irlande à proximité du domicile de son épouse pendant une période de deux ans. Ayant enfreint cette interdiction le 16 juin 1973, l'intéressé fut arrêté et requis, le 28 juin, de purger une peine de douze mois d'emprisonnement à la prison de Mountjoy.

Au cours de sa détention, l'intéressé fut reconnu dans l'incapacité de travailler en raison d'un «ulcère de contrainte», accompagné d'hématémèse, déclaré avant même son incarcération et, son état de santé ayant réclamé des soins qui ne pouvaient lui être administrés dans l'établissement pénitentiaire ou à l'infirmerie de celui-ci, il fut transféré, le 23 octobre 1973, au Mater Hospital, situé à proximité de la prison, mais ne dépendant pas de celle-ci. Il y demeura jusqu'au 2 novembre suivant date à laquelle il réintégra la prison. Il fut libéré par anticipation pour bonne conduite le 28 mars 1974.

Après son élargissement, l'intéressé réclama le bénéfice des prestations en espèces de l'assurance maladie à la sécurité sociale anglaise pour toute la durée de l'incapacité de travail due à sa maladie, tant en prison qu'à l'hôpital.

Nous ne savons pas exactement dans quelle profession il était employé, mais il est constant qu'après avoir servi dans l'armée britannique le dernier emploi qu'il occupait le 19 juin 1973, peu avant la période au titre de laquelle il a introduit son recours, était situé en Angleterre; il n'est pas non plus contesté que, pendant cette période, il était, au sens du règlement du Conseil no 1408/71, soumis à la législation de la Grande-Bretagne, c'est-à-dire d'une partie du Royaume-Uni.

Les services anglais lui ont, néanmoins, refusé le bénéfice des prestations de maladie en espèces pour ladite période. La thèse de l'Insurance Officer est la suivante: l'article 1, a), i), du règlement no 1408/71 dispose qu'aux fins de l'application du règlement le terme «travailleur» désigne toute personne qui est assurée au titre d'une assurance obligatoire (ou facultative continuée) contre une ou plusieurs éventualités correspondant aux branches d'un régime de sécurité sociale s'appliquant aux travailleurs salariés (sous réserve des limitations inscrites à l'annexe V).

Selon l'article 1, o), «le terme institution compétente désigne: i) l'institution à laquelle l'intéressé est affilié au moment de la demande de prestations …». Le requérant ayant été employé comme travailleur salarié au Royaume-Uni jusqu'au 19 juin 1973, le droit à prestations maladie réclamé par lui devait être examiné par une institution du Royaume-Uni.

Selon l'article 19, paragraphe 1, b), «le travailleur qui réside sur le territoire d'un État membre autre que l'État compétent et qui satisfait aux conditions requises par la législation de l'Etat compétent pour avoir droit aux prestations, compte tenu, le cas échéant, des dispositions de l'article 18, bénéficie, dans l'État de résidence: … b) des prestations en espèces servies par l'institution compétente selon les dispositions qu'elle applique …».

Selon l'article 18, paragraphe 1, «l'institution compétente d'un État membre dont la législation subordonne l'acquisition, le maintien ou le recouvrement du droit aux prestations à l'accomplissement de périodes d'assurance tient compte, dans la mesure nécessaire, des périodes d'assurance accomplies sous la législation de tout autre État membre, comme s'il s'agissait de périodes accomplies sous la législation qu'elle applique».

De même, l'article 22, paragraphe 1, dispose: «le travailleur qui satisfait aux conditions requises par la législation de l'État compétent pour avoir droit aux prestations, compte tenu, le cas échéant, des dispositions de l'article 18, et:

a)

dont l'état vient à nécessiter immédiatement des prestations au cours d'un séjour sur le territoire d'un autre État membre … a droit …:

ii)

aux prestations en espèces servies par l'institution compétente selon les dispositions de la législation qu'elle applique …»

Un travailleur qui se déplace dans la Communauté aurait donc droit aux prestations de maladie en espèces s'il «satisfait aux conditions requises par la législation de l'État compétent pour avoir droit aux prestations» et ces prestations correspondraient à celles servies par l'institution compétente «selon les dispositions de la législation qu'elle applique».

Or, la section 49 du National Insurance Act de 1965, en vigueur à l'époque et reprise depuis lors dans des termes pratiquement identiques à la section 85, paragraphe 5, du Social Security Act de 1975, porte:

«1.

Sauf dispositions contraires, tout assuré es déchu du droit à prestations et aucune prestation supplémentaire n'est versée à son conjoint pendant toute période au cours de laquelle l'intéressé

a)

est absent de Grande-Bretagne

ou

b)

est soumis à un emprisonnement ou à une mesure de garde judiciaire criminelle» (detention in legal custody).

(Par la suite, nous emploierons les termes «détention judiciaire» pour traduire cette expression).

De telles dispositions ont été introduites par la Regulation 11 des General Benefit Regulations de 1970, selon laquelle la déchéance ne joue pas, à moins que les poursuites dont fait l'objet le détenu n'aboutissent à une condamnation pénale. De même, elle ne joue pas pour toute période durant laquelle cette personne est détenue à l'issue d'une procédure pénale si, durant cette période, elle était passible de détention pour troubles mentaux dans un hôpital ou dans un établissement similaire en Grande-Bretagne, à moins que, conformément à une décision judiciaire de détention rendue à l'issue de cette procédure, elle n'ait pas été pénalement détenue dans une prison et qu'elle n'ait été transférée dans un hôpital ou dans un établissement similaire alors qu'elle était passible d'être détenue sur la base de cette décision.

Seul l'emprisonnement qui a un rapport avec un acte délictuel ou criminel entraîne la suspension du droit à prestations: il n'y a pas de suspension en cas d'emprisonnement pour dettes, c'est-à-dire en cas de contrainte par corps.

Vous voyez donc, Messieurs, que la nature de l'emprisonnement ou de la détention, selon la législation du Royaume-Uni, n'est pas sans effet sur le maintien des droits de l'assuré au regard des prestations maladie. D'autre part, le fait que l'intéressé ait été détenu à l'infirmerie de l'établissement pénitentiaire ou dans un hôpital distinct de la prison n'est pas sans importance.

L'absence de Grande-Bretagne, qui était la première raison pour refuser le bénéfice des prestations et qui est encore citée en première ligne par le Social Security Act de 1975, ne peut évidemment pas être invoquée à l'égard des travailleurs des États membres qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté, en vertu même des dispositions des articles 18 et 19 du règlement.

Mais l'institution compétente soutient que l'expression «emprisonnement ou détention judiciaire» vise non seulement un emprisonnement, mais toute détention qui présente un lien de connexité suffisant avec des poursuites pénales. Elle concernerait notamment la détention dans un hôpital ou dans un établissement similaire, résultant de poursuites pénales.

Par ailleurs, s'il est vrai que le requérant a été...

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