Petra Kirsammer-Hack v Nurhan Sidal.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:1992:458
Date25 November 1992
Celex Number61991CC0189
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Docket NumberC-189/91
EUR-Lex - 61991C0189 - FR 61991C0189

Conclusions de l'avocat général Darmon présentées le 25 novembre 1992. - Petra Kirsammer-Hack contre Nurhan Sidal. - Demande de décision préjudicielle: Arbeitsgericht Reutlingen - Allemagne. - Régime national de protection contre le licenciement abusif - Non-assujettissement de petites entreprises - Aide d'Etat - Egalité entre hommes et femmes. - Affaire C-189/91.

Recueil de jurisprudence 1993 page I-06185


Conclusions de l'avocat général

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Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1. Par la présente décision préjudicielle, l' Arbeitsgericht de Reutlingen vous pose, successivement, deux questions trouvant leur origine dans l' exclusion des petites entreprises du régime général de protection contre le licenciement abusif. Ne pouvant, en application de son droit national, que constater l' absence de contrôle judiciaire sur les motifs du licenciement, la juridiction de renvoi vous interroge sur le point de savoir si le régime dérogatoire dont bénéficient les petites entreprises peut être qualifié d' aide au sens de l' article 92, paragraphe 1, du traité CEE et, pour le cas où vous ne retiendriez pas cette qualification, vous invite à déterminer s' il ne pourrait pas constituer une discrimination indirecte à l' égard des femmes.

2. Un rappel des dispositions nationales en vigueur en matière de licenciement abusif est nécessaire à l' exposé du litige. Présentées dans le rapport d' audience auquel nous renvoyons notamment en ce qui concerne l' énoncé des textes pertinents, ces dispositions de droit du travail - rassemblées dans la Kuendigungsschutzgesetz (ci-après "KSchG") - se caractérisent par la possibilité donnée en général au salarié licencié de saisir le tribunal du travail afin que soit vérifié le caractère justifié de son licenciement.

3. Dans le cas où il apparaît que le licenciement est socialement injustifié (1), le travailleur doit être réintégré dans l' entreprise (2). Toutefois, la réintégration, qui demeure le principe, peut être remplacée, s' il s' avère que, tant pour l' employeur que pour le salarié, le contrat de travail ne saurait être maintenu, par le versement d' une indemnité qui peut revêtir deux formes. Elle est fixée soit par la juridiction elle-même (3), soit conventionnellement entre les parties, qui évitent ainsi un procès parfois long et coûteux. Dans cette dernière hypothèse, et selon les indications de la juridiction de renvoi, l' indemnité "varie entre un demi et un salaire mensuel par année d' ancienneté" (4).

4. Les deux questions qui vous sont posées sont fondées sur le fait que l' article 23, paragraphe 1, deuxième et troisième phrases, de la KSchG, exonère du contrôle juridictionnel sus-évoqué les entreprises que nous qualifierons de "petites" pour les besoins de l' exposé et qui sont celles "dans lesquelles cinq ou moins de cinq salariés sont généralement employés (...). Pour déterminer le nombre des salariés (...) il n' y a lieu de prendre en considération que les salariés dont l' horaire de travail habituel excède 10 heures par semaine ou 45 heures par mois" (5).

5. Avant d' être licenciée, la requérante au principal, Madame Kirsammer-Hack, travaillait depuis un an comme assistante dans un cabinet dentaire qui se composait de deux employées à temps plein, de deux employées (dont la demanderesse) travaillant plus de dix heures par semaine ou de quarante-cinq heures par mois, enfin de quatre salariés travaillant moins de dix heures par semaine ou de quarante-cinq heures par mois. Ainsi, employant moins de cinq salariés répondant aux critères précités (6), l' entreprise relevait des dispositions de l' article 23, paragraphe 1, de la KSchG et l' employeur n' était tenu, en matière de licenciement personnel, que par le délai habituel de préavis, respecté en l' espèce. Madame Kirsammer-Hack invoquait toutefois, malgré l' absence de dispositions internes applicables, le caractère socialement injustifié de son licenciement.

6. La demande ne pouvant prospérer sur le plan national, puisque la requérante n' appartenait pas à un groupe de salariés protégés et ne pouvait se prévaloir d' un abus de droit, le juge a quo a décidé de soumettre à l' épreuve de la compatibilité avec le droit communautaire les dispositions de l' article 23, paragraphe 1, deuxième et troisième phrases, de la KSchG. Il vous demande en conséquence d' apprécier la conformité de cet article, plus précisément de la deuxième phrase de son paragraphe 1, avec l' article 92, paragraphe 1, du traité CEE et, pour le cas où la notion d' aide ne vous paraîtrait pas devoir être retenue, de poursuivre votre examen sur la base des articles 2 et 5 de la directive 76/207/CEE du Conseil, du 9 février 1976, relative à la mise en oeuvre du principe de l' égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne l' accès à l' emploi, à la formation et à la promotion professionnelles, et les conditions de travail (7), ci-après "la directive".

7. L' article 92, paragraphe 1, du traité dispose: "Sauf dérogations prévues par le présent traité, sont incompatibles avec le marché commun, dans la mesure où elles affectent les échanges entre États membres, les aides accordées par les États ou au moyen de ressources d' État sous quelque forme que ce soit, qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions".

8. Il est habituel de souligner qu' aucune définition détaillée de l' aide n' est donnée dans cet article qui détermine seulement ses effets (les aides faussent la concurrence) et son origine (les aides sont accordées par les États ou au moyen de ressources d' État).

9. Votre jurisprudence a toutefois donné des traits plus précis à la notion d' aide.

10. Dans un arrêt du 23 février 1961 (8), qui concernait le traité CECA mais dont les critères valent également pour le traité CEE, après avoir déjà relevé l' absence de précision donnée à la notion d' aide, vous poursuiviez en ouvrant très largement les contours d' une définition qui, par la suite, sera régulièrement reprise:

"(...) la notion d' aide est cependant plus générale que la notion de subvention parce qu' elle comprend non seulement des prestations positives telles que les subventions elles-mêmes, mais également des interventions qui, sous des formes diverses, allègent les charges qui normalement grèvent le budget d' une entreprise et qui, par là, sans être des subventions au sens strict du mot, sont d' une même nature et ont des effets identiques" (9).

11. Avant d' examiner en détail les éléments constitutifs de l' aide, il convient, à titre liminaire, de répondre à l' objection, soulevée par le gouvernement de la République fédérale d' Allemagne (10), relative à l' impossibilité pour un particulier ou une juridiction nationale d' invoquer l' article 92 en l' absence d' une décision de la Commission.

12. Au soutien de son argumentation, il vise le point 10 de votre arrêt Steinike et Weinlig du 22 mars 1977 (11), qui précise:

"(...) les particuliers ne sauraient (...), en invoquant le seul article 92, contester la compatibilité d' une aide avec le droit communautaire devant les juridictions nationales ni demander à celles-ci de se prononcer, à titre principal ou incident, sur une incompatibilité éventuelle".

13. Il ne fait pas de doute, en effet, que le rôle de la Commission en matière d' aide est déterminant et qu' une déclaration d' incompatibilité ne saurait résulter d' une procédure autre que celle prévue par l' article 93 du traité. Vous avez déjà jugé sur ce point que

"(...) les dispositions du paragraphe 1 de l' article 92 sont destinées à avoir effet dans l' ordre juridique des États membres, de manière à pouvoir être invoquées devant les juridictions nationales, si elles ont été concrétisées par les actes de portée générale prévus par l' article 94 ou par les décisions, dans les cas particuliers qu' envisage l' article 93, paragraphe 2" (12).

14. Toutefois, si l' arrêt cité par le gouvernement allemand répond bien au problème posé, à savoir celui de l' invocabilité de l' article 92 dans l' ordre juridique national à l' initiative soit d' un particulier, soit d' une juridiction, encore faut-il ajouter que l' article 177 du traité permet à une juridiction nationale d' invoquer l' article 92 sans pour autant décider elle-même de la compatibilité d' une aide.

15. Dans l' arrêt précité, vous apportez une réponse très claire à ce sujet en affirmant qu'

"(...) une juridiction nationale peut être amenée à interpréter et à appliquer la notion d' aide, visée à l' article 92, en vue de déterminer si une mesure étatique instaurée sans tenir compte de la procédure de contrôle préalable de l' article 93, paragraphe 3, devait ou non y être soumise;

que de toute manière, aux termes de l' article 177 du traité, il appartient aux juridictions nationales, lorsqu' elles recourent à la procédure dudit article, de décider elles-mêmes de la pertinence des questions posées;

(...) que les dispositions de l' article 93 n' empêchent pas une juridiction nationale de déférer à la Cour de justice une question relative à l' interprétation de l' article 92 du traité, lorsque cette juridiction estime qu' une décision sur ce point est nécessaire pour lui permettre de rendre son jugement, étant entendu que cette juridiction n' est pas compétente pour statuer - à défaut de règlements d' exécution au sens de l' article 94 - sur une demande visant à constater l' incompatibilité avec le traité d' une aide existante (...) ou d' une aide nouvelle (...)" (13).

16. Rien ne s' oppose, en conséquence, à la poursuite de notre examen sur le terrain de l' article 92, paragraphe 1.

17. Votre jurisprudence fait référence à cet égard aux trois notions d' origine, de nature et d' effets de l' aide.

18. Nous avons consacré de longs développements au problème de l' origine de l' aide dans nos conclusions sur l' affaire Sloman Neptun (14), en cours de...

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