Pierre Fabre Dermo-Cosmétique SAS v Président de l’Autorité de la concurrence and Ministre de l’Économie, de l’Industrie et de l’Emploi.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2011:113
Docket NumberC-439/09
Celex Number62009CC0439
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Date03 March 2011

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. JÁN Mazák

présentées le 3 mars 2011 (1)

Affaire C‑439/09

Pierre Fabre Dermo-Cosmétique SAS

contre

Président de l’Autorité de la concurrence

contre

Ministre de l’Économie, de l’Industrie et de l’Emploi

[demande de décision préjudicielle formée par la cour d’appel de Paris (France)]

«Article 81, paragraphe 1, CE – Concurrence – Distribution sélective – Interdiction générale et absolue de vendre sur Internet des produits cosmétiques et d’hygiène corporelle aux utilisateurs finals – Restriction de la concurrence par objet – Règlement (CE) n° 2790/1999 – Article 4, sous c) – Restriction des ventes actives et passives -Restriction caractérisée – Exemption individuelle – Article 81, paragraphe 3, CE»





I – Introduction

1. La présente demande de décision préjudicielle a pour origine une action intentée par Pierre Fabre Dermo-Cosmétique SAS (ci-après «PFDC») visant à obtenir l’annulation ou, subsidiairement, la réformation de la décision n° 08-D-25, du 29 octobre 2008 (ci-après la «décision»), rendue par le Conseil de la concurrence français (ci-après le «Conseil de la concurrence»). La décision a estimé que PFDC avait enfreint l’article L.420-1 du code de commerce ainsi que l’article 81 CE (devenu article 101 TFUE) en imposant, en pratique, à ses distributeurs choisis (agréés), dans ses accords de distribution sélective, une interdiction générale et absolue de vendre les produits cosmétiques et d’hygiène corporelle à des utilisateurs finals sur Internet. Le Conseil de la concurrence a jugé que cette interdiction de vendre sur Internet était le résultat de la condition insérée dans les accords de distribution de PFDC prévoyant que la vente des produits en cause doit s’effectuer dans le cadre d’un espace physique et en présence d’un pharmacien diplômé.

II – Litige au principal et question préjudicielle

2. Le groupe Pierre Fabre commercialise des gammes de produits variés en pharmacie, en homéopathie et en parapharmacie. PFDC, pour sa part, fabrique et commercialise des produits cosmétiques et d’hygiène corporelle, et compte plusieurs filiales, dont les laboratoires de cosmétiques Avène, Klorane, Galénic et Ducray. En 2007, les groupes Pierre Fabre et Cosmétiques Active France, filiale de L’Oréal, représentaient, avec des parts de marché respectives de 20 % et de 18,6 %, les principaux acteurs établis sur le marché, avec leur «portefeuille» de marques.

3. Les contrats proposés par PFDC pour la distribution des produits cosmétiques et d’hygiène corporelle des marques Avène, Klorane, Galénic et Ducray prévoient que les ventes doivent être réalisées dans le cadre d’un espace physique et en présence d’un diplômé en pharmacie (2). La juridiction de renvoi indique que les parties considèrent unanimement que ces conditions excluent de facto toute forme de vente par Internet.

4. Par décision du 27 juin 2006, le Conseil de la concurrence a décidé d’ouvrir d’office une enquête sur certaines pratiques de distribution en vigueur dans le secteur des produits cosmétiques et d’hygiène corporelle. Par décision n° 07-D-07, du 8 mars 2007, il a accepté et rendu obligatoires les engagements proposés par les entreprises mises en cause – à l’exception du groupe Pierre Fabre – de modifier leurs contrats de distribution sélective afin de permettre aux membres de leurs réseaux de vendre leurs produits sur Internet. Le rapporteur général a décidé, le 30 octobre 2006, que les pratiques du groupe Pierre Fabre feraient l’objet d’un examen séparé.

5. Les biens sur lesquels portait l’enquête sont des produits cosmétiques et d’hygiène corporelle qui sont distribués dans le cadre de systèmes de distribution sélective et sont proposés à la vente avec l’avis d’un pharmacien. Ces biens, qui font partie du secteur plus large des produits cosmétiques et d’hygiène corporelle, sont soumis à diverses exigences en ce qui concerne leur composition et leur étiquetage. Néanmoins, de tels produits n’étant pas répertoriés comme des médicaments et ne relevant pas, par conséquent, du monopole des pharmaciens, rien ne s’oppose à ce qu’ils soient librement commercialisés en dehors du circuit officinal.

6. La concurrence entre fabricants sur le marché des produits cosmétiques et d’hygiène corporelle est vive, notamment en raison de la nature des produits, à l’égard desquels l’innovation joue un rôle majeur. La distribution est assurée pour l’essentiel par le biais de pharmacies, de parapharmacies indépendantes et de parapharmacies faisant partie de grandes surfaces alimentaires, ainsi que par les parfumeries. Les pharmacies continuent cependant de représenter le principal canal de distribution avec plus de deux tiers des ventes, en raison du monopole de distribution que celles-ci détenaient jusqu’à la fin des années 1980, de leur couverture géographique et de l’image positive apportée par la présence d’un pharmacien et la proximité de la vente de médicaments sur ordonnance. On observe, parallèlement à cela, une augmentation significative des ventes sur Internet dans tous les secteurs de produits. Le Conseil de la concurrence indique ainsi que, bien qu’il soit encore trop tôt pour mesurer l’évolution des ventes en ligne de produits cosmétiques et d’hygiène corporelle, les marques les plus luxueuses ont récemment développé leurs propres sites de vente en ligne, en France comme à l’étranger.

7. Au cours de leur audition par le rapporteur, le 11 mars 2008, les représentants de PFDC, notamment, ont exposé les raisons qui ont conduit le groupe Pierre Fabre à interdire la vente de ses produits par Internet: «La conception de ces produits nécessite le conseil d’un spécialiste pharmacien du fait de l’activité de ces produits développés dans une optique de soin. [….] Nos produits répondent à des problématiques de peau particulières, comme des peaux intolérantes, avec un risque de réaction allergique. Nous considérons de ce fait que la vente sur Internet ne répondrait pas aux attentes des consommateurs et des professionnels de santé sur nos produits et par conséquent aux exigences que nous fixons dans nos conditions générales de vente. Ces produits sont aussi recommandés par le corps médical […]».

8. Le commerce intracommunautaire étant susceptible d’être affecté de manière sensible (3), le Conseil de la concurrence a examiné lesdites pratiques au regard des dispositions de l’article L.420-1 du code de commerce ainsi que de l’article 81 CE. Dans sa décision, il a estimé que, du fait de l’interdiction faite à ses distributeurs agréés de vendre les produits sur Internet, la société PFDC limitait la liberté commerciale de ses distributeurs en excluant un moyen de commercialisation de ses produits cosmétiques et d’hygiène corporelle, et restreignait également le choix des consommateurs souhaitant acheter via Internet. Il a également relevé que l’interdiction faite aux distributeurs agréés les privait de la possibilité de prospecter les clients par l’envoi de messages ou de satisfaire à des demandes non sollicitées adressées sur leur site, et que cette pratique revenait donc à limiter les ventes actives et passives des distributeurs.

9. Le Conseil de la concurrence a jugé que l’interdiction avait nécessairement un objet restrictif de la concurrence, venant s’ajouter à la limitation de la concurrence inhérente au choix même d’un système de distribution sélective par le fabricant, choix qui limite le nombre de distributeurs habilités à distribuer le produit et empêche ceux-ci de vendre les biens à des distributeurs non agréés. Puisque la part de marché de Pierre Fabre est inférieure à 30 %, le Conseil de la concurrence a recherché si la pratique restrictive pouvait relever du règlement (CE) n° 2790/1999 de la Commission, du 22 décembre 1999, concernant l’application de l’article 81, paragraphe 3, du traité à des catégories d’accords verticaux et de pratiques concertées (4), ce qui supposerait qu’elle ne constitue pas une restriction caractérisée. Le Conseil de la concurrence a considéré que, bien que n’étant pas expressément mentionnée dans le règlement communautaire, la pratique consistant à interdire les ventes sur Internet équivalait à une interdiction des ventes actives et passives. C’est pourquoi l’interdiction, si elle est mise en œuvre au sein d’un réseau de distribution sélective, représenterait une restriction caractérisée au sens de l’article 4, sous c), du règlement n° 2790/1999 et ne pourrait pas bénéficier d’une exemption automatique au titre de ce règlement.

10. PFDC a objecté, notamment, qu’elle était en droit d’interdire les ventes sur Internet dès lors que l’animateur d’un réseau conserve le droit d’interdire à un distributeur agréé de vendre «à partir d’un lieu d’établissement non autorisé». Elle a soutenu que, même si l’interdiction de vendre sur Internet devait constituer une restriction caractérisée, l’autorité de la concurrence aurait la charge de démontrer l’objet ou l’effet de cette pratique au moyen d’un examen individuel de celle-ci, ce que le rapporteur n’a pas fait en l’espèce. PFDC fait aussi valoir que, grâce à la couverture territoriale exceptionnelle et homogène que représentent les points de vente physiques des distributeurs, tous les consommateurs ont accès à des revendeurs PFDC et que la pratique est donc dépourvue de tout effet sur la concurrence intramarque.

11. Le Conseil de la concurrence a estimé qu’un site Internet n’était pas un lieu où des produits sont commercialisés, mais un moyen de vente alternatif. Il a jugé, notamment, que les pratiques caractérisées au sens du règlement n° 2790/1999 forment des restrictions de concurrence par objet, et qu’il n’était pas nécessaire de démontrer plus en détail en quoi cet objet est restrictif de la concurrence, ni d’analyser les effets des pratiques.

12. Sur la question de l’exemption individuelle au titre de l’article 81, paragraphe 3, CE (devenu article 101, paragraphe 3, TFUE) et de l’article L.420-4 du code de commerce...

To continue reading

Request your trial

VLEX uses login cookies to provide you with a better browsing experience. If you click on 'Accept' or continue browsing this site we consider that you accept our cookie policy. ACCEPT