Wolf Naturprodukte GmbH v SEWAR spol. s r.o..

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2012:54
Date02 February 2012
Celex Number62010CC0514
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Docket NumberC‑514/10
62010CC0514

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. PEDRO CRUZ VILLALÓN

présentées le 2 février 2012 ( 1 )

Affaire C-514/10

Wolf Naturprodukte GmbH

contre

Sewar spol. sro

[demande de décision préjudicielle formée par le Nejvyšší soud (République tchèque)]

«Compétence judiciaire et exécution des décisions en matière civile et commerciale — Champ d’application temporel du règlement (CE) no 44/2001 — Obligation d’exécution d’une décision rendue avant l’adhésion à l’Union européenne de l’État requis»

I – Introduction

1.

Le règlement (CE) no 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale ( 2 ), indépendamment de son entrée en vigueur le 1er mars 2002 ( 3 ), consacre son article 66 à déterminer ratione temporis les litiges et, le cas échéant, les décisions auxquels s’appliquent ses dispositions réglementaires, qui concernent notamment, comme cela est indiqué dans son intitulé, la détermination de la compétence judiciaire et la reconnaissance et l’exécution des décisions correspondantes.

2.

Dans le cadre de la demande d’exécution en République tchèque d’une décision rendue en Autriche, le Nejvyšší soud (Cour suprême) (République tchèque) demande, en substance, si ladite disposition doit être interprétée en ce sens qu’il suffit (ou pas), pour en fonder l’applicabilité, que, au moment du prononcé de cette décision, le règlement no 44/2001 ait été en vigueur uniquement dans l’État dans lequel la juridiction a rendu ladite décision, donc indépendamment de la situation de ce règlement dans l’État d’exécution.

3.

Par conséquent, ainsi que je m’efforcerai de le montrer, la question qui se pose en pratique, et qui constitue en même temps l’intérêt principal de la présente affaire, est celle de savoir dans quelle mesure les dispositions de l’article 66 du règlement no 44/2001 peuvent s’appliquer sur le territoire des États membres qui adhèrent à l’Union européenne postérieurement à l’entrée en vigueur de ce règlement, détail qui n’est pas expressément abordé par ledit règlement.

II – Le cadre juridique

A – Le droit de l’Union: le règlement no 44/2001

4.

Ainsi qu’il est disposé au cinquième considérant du règlement no 44/2001:

«Les États membres ont conclu le 27 septembre 1968, dans le cadre de l’article 293, quatrième tiret, du traité, la convention de Bruxelles concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale [JO 1972, L 299, p. 32], qui a été modifiée par les conventions relatives à l’adhésion des nouveaux États membres à cette convention […] (ci-après dénommée ‘convention de Bruxelles’). Les États membres et les États de l’AELE ont conclu le 16 septembre 1988 la convention de Lugano concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale [JO L 319, p. 9, ci-après la «convention de Lugano»], qui est une convention parallèle à la convention de Bruxelles de 1968. Ces conventions ont fait l’objet de travaux de révision et le Conseil a marqué son accord sur le contenu du texte révisé. Il y a lieu d’assurer la continuité des résultats obtenus dans le cadre de cette révision.»

5.

Le dix-neuvième considérant du même règlement dispose:

«Pour assurer la continuité nécessaire entre la convention de Bruxelles et le présent règlement, il convient de prévoir des dispositions transitoires. La même continuité doit être assurée en ce qui concerne l’interprétation des dispositions de la convention de Bruxelles par la Cour de justice des Communautés européennes et le protocole de 1971 […] doit continuer à s’appliquer également aux procédures déjà pendantes à la date d’entrée en vigueur du présent règlement.»

6.

Les dispositions transitoires visées au dix-neuvième considérant du règlement no 44/2001 sont contenues à l’article 66 de ce dernier:

«1.

Les dispositions du présent règlement ne sont applicables qu’aux actions judiciaires intentées et aux actes authentiques reçus postérieurement à son entrée en vigueur.

2.

Toutefois, si l’action dans l’État membre d’origine a été intentée avant la date d’entrée en vigueur du présent règlement, les décisions rendues après cette date sont reconnues et exécutées conformément aux dispositions du chapitre III:

a)

dès lors que l’action dans l’État membre d’origine a été intentée après l’entrée en vigueur de la convention de Bruxelles ou de la convention de Lugano à la fois dans l’État membre d’origine et dans l’État membre requis;

b)

dans tous les autres cas, dès lors que les règles de compétence appliquées sont conformes à celles prévues soit par le chapitre II, soit par une convention qui était en vigueur entre l’État membre d’origine et l’État membre requis au moment où l’action a été intentée.»

7.

L’article 76 du règlement no 44/2001 prévoit que «[l]e présent règlement entre en vigueur le 1er mars 2002».

B – La réglementation nationale

8.

En vertu de l’article 37, paragraphe 1, de la loi no 97/1963 relative au droit international privé et procédural (ci-après la «DIPP»), «[l]es juridictions tchèques sont compétentes pour connaître des litiges patrimoniaux dès lors que leur compétence est prévue par la législation tchèque».

9.

L’article 63 de la DIPP dispose que «[l]es décisions rendues par les autorités judiciaires d’un État étranger dans les affaires mentionnées à l’article 1er […] produisent leurs effets en République tchèque, si l’autorité étrangère compétente constate qu’elles ont acquis l’autorité de chose jugée et si elles ont été reconnues par les autorités tchèques».

10.

L’article 64 de la même loi prévoit:

«Une décision étrangère n’est ni reconnue ni exécutée si:

[…]

c)

la partie à l’instance contre laquelle la reconnaissance de la décision est demandée a été privée, en raison de la procédure mise en œuvre par l’autorité étrangère, de la possibilité de participer effectivement à l’instance, notamment si la convocation à l’audience ou l’acte introductif d’instance ne lui a pas été remis en mains propres, ou si l’acte introductif d’instance n’a pas été remis en mains propres au défendeur;

d)

la reconnaissance serait contraire à l’ordre public tchèque;

e)

la réciprocité n’est pas assurée; cette dernière n’est pas requise dès lors que la décision étrangère n’est pas dirigée à l’encontre d’un citoyen ou d’une personne morale tchèques».

III – Le litige au principal et la question préjudicielle

11.

Par décision rendue le 15 avril 2003, le Landesgericht für Zivilrechtssachen Graz (tribunal régional de Graz) (Autriche), une juridiction régionale compétente en matière civile, a condamné la société Sewar spol. sro au paiement de certains montants à Wolf Naturprodukte GmbH.

12.

Le 21 mai 2007, Wolf Naturprodukte GmbH a introduit un recours devant l’Okresní soud v Znojmě (tribunal d’arrondissement de Znojmo) (République tchèque), demandant que la décision rendue par ledit tribunal autrichien soit déclarée exécutoire sur le territoire de la République tchèque et que soit ordonnée à cet effet la saisie des biens de la défenderesse. Wolf Naturprodukte GmbH a invoqué les dispositions du règlement no 44/2001 à l’appui de son recours.

13.

L’Okresní soud v Znojmě a rejeté la demande de la requérante par décision du 25 octobre 2007, en estimant que le contenu de l’article 66, paragraphes 1 et 2, du règlement no 44/2001 n’était pas applicable ratione temporis en l’espèce. Ainsi, en se fondant sur la DIPP, l’Okresní soud v Znojmě a conclu que la décision autrichienne ne réunissait pas les conditions nécessaires à sa reconnaissance et à son exécution en République tchèque. D’une part, il s’agissait d’une décision rendue par défaut, et il pouvait être déduit des données de la procédure que le créancier condamné avait été privé de la possibilité de participer effectivement à la procédure (l’acte introductif d’instance a été signifié au créancier le 15 avril 2003 et la décision définitive a été rendue le même jour). D’autre part, la condition de la réciprocité concernant la reconnaissance et l’exécution des décisions entre la République tchèque et la République d’Autriche n’était pas remplie.

14.

Wolf Naturprodukte GmbH a fait appel de cette décision. Par ordonnance du 30 juin 2008, le Krajský soud v Brno (tribunal régional de Brno) (République tchèque) a rejeté l’appel et confirmé l’ordonnance de la juridiction de première instance.

15.

L’entreprise créancière a alors formé un pourvoi en cassation devant le Nejvyšší soud, en alléguant que l’article 66 du règlement no 44/2001 devait être interprété en ce sens que la date décisive pour son application était sa date d’entrée en vigueur en général et non sa date d’entrée en vigueur dans l’État membre en particulier.

16.

Estimant que les termes dudit article 66 ne permettaient pas de déterminer clairement le champ d’application temporel du règlement no 44/2001, le Nejvyšší soud a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

«L’article 66, paragraphe 2, du règlement (CE) no 44/2001 […] doit-il être interprété en ce sens que, pour fonder l’applicabilité [de ce règlement], il est nécessaire que, au moment du prononcé d’une décision, [ledit] règlement ait été en vigueur tant dans l’État dans lequel la juridiction a rendu la décision que dans l’État dans lequel une partie demande la reconnaissance et l’exécution de cette décision?»

IV – La procédure devant la Cour

17.

La demande de décision...

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