Theodor Jäger v Finanzamt Kusel-Landstuhl.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2007:500
Docket NumberC-256/06
Celex Number62006CC0256
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Date11 September 2007

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. JÁN MAZÁK

présentées le 11 septembre 2007 (1)

Affaire C‑256/06

Theodor Jäger

contre

Finanzamt Kusel-Landstuhl

[demande de décision préjudicielle formée par le Bundesfinanzhof (Allemagne)]

«Libre circulation des capitaux – Articles 56 CE et 58 CE – Restrictions – Impôt sur les successions – Terrains agricoles et patrimoine forestier sur le territoire national et dans un autre État membre – Méthodes différentes d’évaluation du patrimoine et de calcul de l’impôt dû»





1. En la présente affaire, le Bundesfinanzhof (Allemagne) souhaite obtenir une interprétation des dispositions du traité CE en matière de libre circulation des capitaux. En particulier, il est question de l’application du droit fiscal allemand des successions en ce qui concerne la propriété sous forme de terrains agricoles et forestiers. Ce droit établit une distinction entre le patrimoine interne et celui qui est détenu dans un autre État membre.

I – Cadre juridique

A – Le droit communautaire

2. L’article 56, paragraphe 1, CE (ancien article 73 B, paragraphe 1, du traité CE) dispose ce qui suit: «Dans le cadre des dispositions du présent chapitre, toutes les restrictions aux mouvements de capitaux entre les États membres et entre les États membres et les pays tiers sont interdites».

3. D’autre part, l’article 58 CE (ancien article 73 D du traité CE) dispose ce qui suit: «1. L’article 56 [CE] ne porte pas atteinte au droit qu’ont les États membres: a) d’appliquer les dispositions pertinentes de leur législation fiscale qui établissent une distinction entre les contribuables qui ne se trouvent pas dans la même situation en ce qui concerne leur résidence ou le lieu où leurs capitaux sont investis […] 3. Les mesures et procédures visées [au paragraphe 1] ne doivent constituer ni un moyen de discrimination arbitraire ni une restriction déguisée à la libre circulation des capitaux et des paiements telle que définie à l’article 56 [CE]».

4. Le 7 février 1992, la Conférence des représentants des gouvernements des États membres a adopté, inter alia, une déclaration sur l’article 58 CE (2) (ci-après la «déclaration»), qui est libellée comme suit:

«La Conférence affirme que le droit des États membres d’appliquer les dispositions pertinentes de leur législation fiscale visées à l’article [58] paragraphe 1 point a) [CE] porte uniquement sur les dispositions qui existent à la fin de 1993. Toutefois, la présente déclaration n’est applicable qu’aux mouvements de capitaux et aux paiements entre les États membres.»

5. Les successions et les legs sont énumérés au point D de la rubrique XI, intitulée «Mouvements de capitaux à caractère personnel», de l’annexe I de la directive 88/361/CEE du Conseil (3).

B – Le droit national

1. L’application des droits de succession aux biens situés dans un autre État membre

6. Conformément à l’article 2, paragraphe 1, point 1, première phrase, de la loi sur les droits de succession et de donation (Erbschaftsteuer- und Schenkungsteuergesetz, ci-après l’«ErbStG»), dans la version applicable en 1998, si la dernière résidence du testateur se trouvait en Allemagne, l’héritier est redevable des droits de succession allemands à hauteur de la totalité de la dévolution patrimoniale (interne et étrangère).

7. Aux termes de l’article 21, paragraphe 1, première phrase, lu en combinaison avec l’article 2, paragraphe 1, point 1, sous a), de l’ErbStG – et pour autant qu’il soit ici pertinent –, lorsque des acquéreurs dont le patrimoine étranger est soumis, dans un pays étranger, à une imposition – étrangère – correspondant aux droits de succession allemands, les droits étrangers fixés et dus par l’acquéreur, acquittés et non susceptibles de bénéficier d’une réduction sont, si la dernière résidence du testateur se trouvait en Allemagne, et dans la mesure où les dispositions d’une convention préventive de double imposition ne sont pas applicables, imputés, si une demande est faite en ce sens, sur les droits de succession allemands dans la mesure où le patrimoine étranger est également soumis aux droits de succession allemands. D’après la deuxième phrase de l’article 21, paragraphe 1, de l’ErbStG, si le patrimoine dévolu n’est composé qu’en partie d’un patrimoine étranger, la part des droits de succession allemands correspondant à ce patrimoine doit être déterminée de telle manière que les droits de succession qui en découlent pour l’ensemble du patrimoine imposable, y compris le patrimoine étranger imposable, soient divisés proportionnellement selon le rapport entre le patrimoine étranger imposable et l’ensemble du patrimoine imposable.

2. Les règles d’évaluation des biens agricoles et forestiers

8. Aux termes de l’article 12, paragraphe 6, de l’ErbStG, lu en combinaison avec les articles 31 et 9 de la loi d’évaluation (Bewertungsgesetz, ci-après le «BewG»), le patrimoine agricole et forestier étranger, de même que le patrimoine immobilier ou professionnel étranger, est évalué à sa valeur vénale, qui, aux termes de l’article 9, paragraphe 2, du BewG, se définit par le prix auquel un bien pourrait être vendu, en fonction de sa nature, dans le cadre de transactions commerciales normales.

9. À l’inverse, le patrimoine agricole et forestier interne acquis postérieurement au 31 décembre 1995 est évalué, conformément à l’article 12, paragraphe 3, de l’ErbStG, selon une procédure spéciale prévue aux articles 140 à 144 du BewG, dont les résultats n’équivalent en moyenne qu’à 10 % de la valeur vénale.

3. Les règles des droits de succession en matière de bien agricole et forestier

10. L’ErbStG prévoit également un abattement octroyé en fonction des biens. En conséquence, en ce qui concerne l’acquisition, par succession, de biens agricoles et forestiers, le premier point de l’article 13a, paragraphe 1, de l’ErbStG, dans la version applicable en 1998, prévoit un abattement de 500 000 DEM (256 000 euros).

11. D’après l’article 13a, paragraphe 2, de l’ErbStG, dans la version applicable en 1998, la valeur d’un patrimoine agricole et forestier, à savoir le montant restant à la suite de la déduction de cet abattement (octroyé en fonction des biens) au titre de l’article susmentionné, doit être évaluée à seulement 60 %. Enfin, l’article 13a, paragraphe 4, de cette loi limite chacun des deux avantages susmentionnés à certains cas, c’est-à-dire que les avantages ne s’appliquent pas, inter alia, à un patrimoine agricole et forestier situé à l’étranger.

C – Le droit international

12. La République fédérale d’Allemagne et la République française n’ont pas conclu de convention préventive de double imposition de droits de succession.

II – Le contexte factuel et procédural et la question présentée à titre préjudiciel

13. M. Theodor Jäger (ci-après le «requérant»), qui est résident en France, est l’unique héritier de sa mère. Sa mère est décédée en 1998 et son dernier lieu de résidence a été Landau/Pfalz (Allemagne). La succession comportait une propriété foncière située en France exploitée à des fins agricoles et forestières qui, selon les principes juridiques allemands de l’imposition sur les bénéfices, a fait partie du patrimoine de deux exploitations agricoles et forestières à l’époque où elle appartenait à la défunte.

14. L’acquisition de ce terrain en France, évalué à 5 444 666 FRF (1 618 152 DEM) a été assujettie à des droits de succession en France, qui se sont élevés à un montant de 1 192 148 FRF. Par décision du 3 janvier 2000, le Finanzamt Kusellandstuhl a établi les droits de succession dus par le requérant à 17 405 DEM. Cette décision s’est fondée sur une masse successorale de 1 737 167 DEM, parmi lesquels la propriété à l’étranger représentait 1 618 152 DEM. Les 119 015 DEM restants étaient composés de biens nationaux.

15. Après déduction de l’abattement personnel du montant de 400 000 DEM, il est resté un montant arrondi s’élevant à 1 337 100 DEM. À la requête du requérant, formée au titre de l’article 21 de l’ErbStG, l’administration a imputé les 354 306,38 DEM de droits de succession qui avaient été versés en France (1 192 148 FRF x 0,2972) à concurrence de 236 644 DEM sur les droits s’élevant à 254 049 DEM.

16. La réclamation du requérant en ce qui concerne l’évaluation fiscale du Finanzamt ainsi que son recours devant le Finanzgericht n’ont pas été accueillis. Il a ensuite formé un pourvoi en Revision contre la décision du Finanzgericht devant le Bundesfinanzhof selon lequel, au plus tard depuis l’arrêt Barbier (4), il y a un doute quant à la compatibilité des dispositions allemandes avec la libre circulation des capitaux (5), pour autant qu’elles établissent une distinction suivant l’endroit où les biens, ou une partie de ceux-ci, sont situés au moment du décès du testateur. Par ordonnance du 11 avril 2006, le Bundesfinanzhof a donc sursis à statuer et a adressé la question suivante à la Cour à titre préjudiciel:

«Est-il compatible avec l’article 73 B du traité instituant la Communauté européenne (devenu article 56, paragraphe 1, CE) que, aux fins des droits de succession:

a) un patrimoine agricole et forestier (étranger) situé dans un autre État membre soit évalué à sa valeur vénale (valeur marchande), alors qu’un patrimoine agricole et forestier interne se voit appliquer une procédure particulière d’évaluation dont les résultats ne correspondent en moyenne qu’à 10 % de la valeur vénale, et

b) que l’acquisition d’un patrimoine agricole et forestier allemand soit exonérée à concurrence d’un abattement particulier et que la valeur résiduelle ne soit évaluée qu’à 60 %,

dès lors que cette réglementation aboutit, si un héritier recueille une succession se composant d’un patrimoine interne et d’un patrimoine agricole et forestier étranger, à ce que l’acquisition du patrimoine interne soit soumise, du fait de la situation à l’étranger du...

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