Heidelberger Bauchemie GmbH.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2004:23
Date15 January 2004
Celex Number62002CC0049
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Docket NumberC-49/02
Conclusions
CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL
M. PHILIPPE LÉGER
présentées le 15 janvier 2004(1)



Affaire C-49/02

Heidelberger Bauchemie GmbH




[demande de décision préjudicielle formée par le Bundespatentgericht (Allemagne)]

«Marques – Première directive 89/104/CEE – Article 2 – Signes susceptibles de constituer une marque – Deux couleurs en elles-mêmes – Exclusion»






1. La présente affaire porte, à nouveau, sur la question de l’aptitude de couleurs en elles-mêmes, c’est-à-dire sans forme ni contour, à constituer une marque au sens de l’article 2 de la première directive 89/104/CEE du Conseil (2) . Dans l’arrêt du 6 mai 2003, Libertel (3) , la Cour s’est prononcée sur le point de savoir si une couleur en elle‑même remplit les conditions prescrites par cet article. Dans la présente affaire, le Bundespatentgericht (tribunal fédéral en matière de propriété industrielle) (Allemagne) demande si deux couleurs en elles‑mêmes, c’est‑à‑dire deux couleurs en tant que telles, sans forme ni contour, et sans aucun arrangement déterminé entre elles, sont susceptibles de constituer une marque au sens dudit article 2. I – Le cadre juridique A – Le droit communautaire 2. La directive a pour but de supprimer les disparités entre les législations des États membres sur les marques susceptibles de fausser les conditions de concurrence dans le marché commun (4) . Elle vise à rapprocher les dispositions des législations des États membres en matière de marques qui ont l’incidence la plus directe sur le fonctionnement du marché intérieur (5) . Parmi ces dispositions figurent celles qui définissent les conditions auxquelles est subordonné l’enregistrement d’une marque (6) et celles qui déterminent la protection dont jouissent les marques régulièrement enregistrées (7) . 3. L’article 2 de la directive définit les signes qui sont susceptibles de constituer une marque. Il est rédigé de la manière suivante: «Peuvent constituer des marques tous les signes susceptibles d’une représentation graphique, notamment les mots, y compris les noms de personnes, les dessins, les lettres, les chiffres, la forme du produit ou de son conditionnement, à condition que de tels signes soient propres à distinguer les produits ou les services d’une entreprise de ceux d’autres entreprises.» 4. L’article 3 de la directive énumère les motifs de refus et de nullité qui peuvent être opposés à l’enregistrement d’une marque. Cet article prévoit, à son paragraphe 1, sous b), que sont refusées à l’enregistrement ou susceptibles d’être déclarées nulles si elles sont enregistrées les marques qui sont dépourvues de caractère distinctif. 5. L’article 3, paragraphe 3, de la directive prévoit qu’une marque n’est pas refusée à l’enregistrement ou, si elle est enregistrée, n’est pas susceptible d’être déclarée nulle en application du paragraphe 1, sous b), du même article si, avant la date de la demande d’enregistrement et après l’usage qui en a été fait, elle a acquis un caractère distinctif. B – Le droit national 6. Le Gesetz über den Schutz von Marken und sonstigen Kennzeichnungen (8) (loi allemande sur la protection des marques et des autres signes distinctifs), du 25 octobre 1994, qui a transposé la directive en droit allemand et qui est entré en vigueur le 1er janvier 1995 (9) , énonce, à son article 3, paragraphe 1, que sont susceptibles d’être protégés comme marques «tous les signes, notamment […] les couleurs et les combinaisons de couleurs […], qui sont propres à distinguer les produits ou les services d’une entreprise de ceux d’autres entreprises». 7. L’article 8 du Markengesetz énonce que sont exclus de l’enregistrement les signes susceptibles d’être protégés comme marques au sens de l’article 3 qui ne sont pas susceptibles d’une représentation graphique ainsi que ceux qui sont dénués de tout caractère distinctif pour les produits ou les services désignés dans la demande d’enregistrement. Il prévoit également que ces motifs ne s’appliquent pas lorsque, au moment où il est statué sur l’enregistrement, la marque a été consacrée dans le public concerné à la suite de son usage pour ces produits ou ces services. II – Les faits et le litige au principal 8. Le 22 mars 1995, la société Heidelberger Bauchemie GmbH (10) a demandé au Deutsches Patent‑ und Markenamt (Office allemand des brevets et des marques) l’enregistrement comme marque des couleurs bleu et jaune. Sous la partie de la demande consacrée à la reproduction de la marque figurait un morceau de papier rectangulaire dont la moitié supérieure était de couleur bleu et la moitié inférieure de couleur jaune. La marque faisait l’objet de la description suivante: «La marque demandée est constituée des couleurs de l’entreprise de la demanderesse qui sont utilisées sous toutes les formes imaginables, en particulier dans les emballages et les étiquettes. La référence précise des couleurs est: RAL 5015/HKS 47 – bleu RAL 1016/HKS 3 – jaune.» 9. L’enregistrement litigieux a été demandé pour un grand nombre de produits destinés aux travaux du bâtiment, tels que des adjuvants, des colles, des résines, des produits de démoulage, de protection, de nettoyage, d’étanchéité, de jointoiement, des peintures, des vernis, des produits d’isolation thermique, des matériaux de construction, des ciments, des enduits ainsi que des pistolets à pression et des appareils de projection. 10. Par décision du 18 septembre 1996, le Deutsches Patent‑ und Markenamt a rejeté cette demande au motif que le signe en cause n’était pas apte à constituer une marque. Il a indiqué que des couleurs ou des combinaisons de couleurs abstraites sans contour, c’est‑à‑dire dépourvues de toute forme ou aspect, ne sont pas des signes susceptibles d’être protégés comme marques au sens de l’article 3 du Markengesetz. 11. Heidelberger Bauchemie s’est ensuite prévalue de la décision «marque de couleurs noir/jaune» du Bundesgerichtshof du 10 décembre 1998 (11) , dans laquelle cette juridiction a admis que des couleurs et des combinaisons de couleurs abstraites et sans contour pouvaient constituer une marque. 12. Par décision du 2 mai 2000, le Deutsches Patent‑ und Markenamt, tout en admettant que les conditions requises par l’article 3 du Markengesetz étaient satisfaites, a rejeté à nouveau la demande au motif d’une absence de tout caractère distinctif. 13. Heidelberger Bauchemie a formé un recours à l’encontre de cette décision devant le Bundespatentgericht. III – Le renvoi préjudiciel 14. Par décision du 22 janvier 2002, parvenue à la Cour le 20 février 2002, le Bundespatentgericht a décidé de surseoir à statuer et de soumettre à la Cour le présent renvoi préjudiciel. 15. Selon la décision de renvoi, le Bundespatentgericht s’est trouvé confronté à la problématique suivante. Jusqu’à l’adoption de la nouvelle loi allemande sur les marques, une couleur ou une combinaison de couleurs abstraite était considérée dans son ordre juridique national comme inapte à constituer une marque. Les couleurs ne pouvaient être protégées que dans la forme concrète dans laquelle elles étaient utilisées. À la suite de l’adoption de la nouvelle loi, la doctrine a admis majoritairement qu’une couleur ou une combinaison de couleurs abstraite pouvait désormais constituer une marque. C’est également la position adoptée par le Bundesgerichtshof. 16. Le Bundespatentgericht estime néanmoins que cette position se heurte à de sérieuses objections juridiques. Selon lui, une marque de couleur abstraite permet de concevoir un nombre infini d’aspects. Il s’agirait donc d’une option prise sur des marques à concevoir ultérieurement, dont seule la couleur serait définie. Il serait donc douteux qu’une marque de couleur abstraite soit un signe au sens de cet article et qu’il puisse lui être reconnu un pouvoir distinctif. 17. En outre, l’enregistrement comme marque de couleurs abstraites se heurte, selon le Bundespatentgericht, au principe de précision, en vertu duquel une demande d’enregistrement de marque doit permettre de déterminer clairement quel est l’objet de la protection. Ce serait pour satisfaire à cette exigence que l’article 2 de la directive exige que le signe en cause puisse faire l’objet d’une représentation graphique. Cette exigence aurait également pour objet de permettre d’apprécier les motifs de refus tirés des articles 3 et 4 de la directive ainsi que le bon usage de la marque requis par l’article 10 de celle‑ci. Un échantillon des couleurs et leur désignation par un code international ne constitueraient donc pas une représentation graphique au sens de l’article 2 de la directive parce qu’une telle marque pourrait apparaître dans la réalité sous une infinité de formes différentes. 18. C’est au vu de ces considérations que le Bundespatentgericht a décidé de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes: «Des couleurs ou combinaisons de couleurs désignées de manière abstraite et sans contour dans une demande d’enregistrement, dont les nuances sont énoncées par référence à un échantillon de couleur (essai de couleur) et précisées selon une classification de couleurs reconnue, remplissent‑elles les conditions pour constituer une marque au sens de l’article 2 de la [directive]? Au sens de l’article 2 de la directive, une telle marque, dite ‘marque de couleur (abstraite)’, est‑elle en particulier
a)
un signe,
b)
propre à distinguer en caractérisant l’origine,
c)
susceptible d’une représentation graphique?»
IV – L’arrêt Libertel et l’interprétation de l’article 2 de la directive par la Cour 19. Postérieurement à la décision de renvoi, la Cour a rendu l’arrêt Libertel, précité. Dans cette affaire, le litige au principal portait sur...

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