Carbonati Apuani Srl v Comune di Carrara.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2004:296
Date06 May 2004
Celex Number62003CC0072
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Docket NumberC-72/03
Conclusions
CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL
M. M. POIARES MADURO
présentées le 6 mai 2004(1)



Affaire C-72/03

Carbonati Apuani Srl
contre
Comune di Carrara


[demande de décision préjudicielle formée par la Commissione tributaria provinciale di Massa Carrara (Italie)]

«Libre circulation des marchandises – Taxe d'effet équivalent à un droit de douane – Taxe sur les marbres extraits sur le territoire d'une commune et transportés hors de celui-ci – Situation purement interne»






1. Il n’est plus rare que la Cour soit sollicitée pour se prononcer sur l’application des règles de libre circulation à des situations internes aux États membres. L’une des questions ouvertes de notre jurisprudence, dans cette matière, est certainement de savoir jusqu’où s’étend le champ d’application du droit communautaire et, par suite, jusqu’à quel point la Cour est compétente pour répondre à une question préjudicielle touchant à de telles situations. Il me semble que le présent renvoi offre à la Cour l’occasion d’aborder à nouveau cette question. 2. Par ce renvoi, en effet, la Commissione tributaria provinciale di Massa Carrara (Italie) demande à la Cour de se prononcer sur la compatibilité avec le droit communautaire d’une taxe perçue lors du transport de marchandises hors du territoire d’une commune située dans un État membre, frappant de la même manière les marchandises exportées vers un autre État membre et les marchandises expédiées vers une autre partie de l’État membre en question (2) . À première vue, il peut être tentant de se demander s’il convient de distinguer le cas des produits taxés en raison de leur exportation hors de l’Italie et le cas des produits taxés en raison de leur expédition vers d’autres parties du territoire italien. 3. Si l’on tient compte des arrêts rendus dans les affaires Lancry e.a. et Simitzi, la réponse paraît simple (3) . Du moment qu’elle est perçue à l’occasion du franchissement d’une frontière, fût-elle une frontière interne, une taxe est susceptible de constituer une taxe d’effet équivalent à un droit de douane. Il est en ce cas tout à fait inutile de se demander si la taxe affecte seulement les échanges intracommunautaires ou, également, les échanges internes. Il suffit qu’un franchissement de frontière ait lieu, et la réglementation ayant institué la taxe est en tant que telle et dans sa totalité contraire à l’article 25 CE. La jurisprudence de la Cour fournit donc une solution apparemment simple et claire à la question qui se pose dans cette affaire. 4. Cependant, cette solution ne me paraît guère satisfaisante. Une jurisprudence constante de la Cour conduit à poser pratiquement le principe inverse de celui qui prévaut en matière de taxes d’effet équivalent. Suivant celle-ci, les règles de libre circulation sont inapplicables à une situation qui n’atteint que les échanges internes à un État membre. Si des exceptions ont été apportées à la rigueur de ce principe, elles l’ont été à titre exceptionnel, compte tenu des circonstances particulières de l’espèce, et en maintenant toujours le principe de l’inapplicabilité des règles de libre circulation aux situations purement internes (4) . C’est pourquoi il convient de se demander si la solution retenue en matière de taxes d’effet équivalent est toujours justifiée et, si elle ne l’est pas, s’il n’y aurait pas lieu d’adopter une approche plus cohérente susceptible de mener au même résultat. I – Le cadre juridique, les faits et la question préjudicielle 5. La taxe en cause dans cette affaire est un legs de l’histoire. On en trouve trace dans une Notificazione Governatoriale du 14 juillet 1846 édictée par le gouverneur de la province de Lunigiana Estense. Après l’unification du royaume d’Italie, elle fut instituée comme droit de péage pour le passage des marbres sur les routes de Carrare par décret royal le 19 septembre 1860. Par la loi n° 749, du 15 juillet 1911, elle fut transformée en une taxe sur le transport des marbres extraits dans la commune. 6. Cette taxe repose à présent sur un dispositif complexe. Modifiée, en certaines de ses dispositions, par la loi n° 449, du 27 décembre 1997, la loi n° 749/1911 dispose, au moment des faits, en son article unique: «Une taxe sur les marbres extraits sur le territoire de la commune de Carrare et transportés hors de ce territoire est instituée au profit de ladite commune. Cette taxe est appliquée et perçue par la commune lorsque le marbre sort de son territoire, en vertu d’un règlement spécial arrêté par le conseil municipal après consultation des partenaires sociaux. Chaque année, lors de l’adoption du budget de la commune, le conseil municipal fixe le taux de la taxe qui sera perçue l’année suivante. Toutefois, lorsque la commune doit faire face à des engagements durables qui doivent être financés ou garantis par les produits de la taxe, le conseil municipal peut fixer à l’avance, pour plusieurs années, le taux minimal de ladite taxe. La commune pourra, par délibération du conseil municipal, selon les formes prévues par la loi communale et provinciale, et sous réserve d’approbation de la Giunta provinciale amministrativa, décider qu’une partie du produit de la taxe sera affectée en vue de subvenir aux dépenses ou aux engagements au titre de la construction et de l’exploitation du port de Marina di Carrara, le cas échéant en application de la loi n° 50, du 12 février 2003, et une partie destinée aux cotisations d’affiliation des ouvriers à l’industrie marbrière à la Cassa nazionale du previdenza operai.» 7. Cette disposition a ensuite été précisée par le décret-loi n° 8, du 26 janvier 1999, converti, avec modifications, en loi n° 75, du 25 mars 1999, laquelle dispose: «L’article unique de la loi n° 749/1911 […] est interprété en ce sens que la taxe qu’il institue est appliquée au marbre et à ses dérivés et est déterminée par rapport aux exigences des dépenses municipales directement ou indirectement liées aux activités du secteur marbrier local.» 8. Il convient enfin de tenir compte d’un règlement adopté par le Comune di Carrara (commune de Carrare) le 23 mars 1999 qui prévoit que le conseil municipal fixe annuellement le barème de la taxe, en tenant compte notamment de l’atteinte à l’environnement causée par l’industrie marbrière. En revanche, étant postérieures aux faits rapportés, les modifications réglementaires et législatives qui ont pu être apportées à cette législation en 2001 et en 2004 ne sont pas pertinentes pour l’analyse de la Cour dans cette affaire (5) . 9. Il ressort de l’ordonnance de renvoi que l’application de ce dispositif a pour conséquence que les marbres extraits et utilisés sur le territoire de la commune de Carrare sont exonérés de la taxe, tandis que les marbres utilisés ou travaillés dans les communes limitrophes sont susceptibles de l’être soit partiellement, soit totalement. 10. Les faits de la cause sont les suivants. La société Carbonati Apuani Srl exerce des activités d’enlèvement et de transformation d’éclats de marbre et d’enlèvement de terre dans la commune de Carrare. Par avis d’imposition du 7 mai 2001, la commune de Carrare a exigé d’elle la liquidation de la taxe sur les marbres due au titre des exportations réalisées hors de la commune durant le mois d’avril 2001. La société a attaqué cet avis devant le juge a quo en faisant valoir que la législation sur la base de laquelle cette liquidation était demandée est contraire au droit communautaire. 11. La question déférée par le juge saisi de l’affaire porte sur la conformité de cette législation avec les articles 23 CE, 81 CE, 85 CE et 86 CE. II – Les observations liminaires 12. Ces observations sont de trois ordres. Elles nous permettront de préciser le cadre dans lequel s’inscrit la question posée. A – Sur la recevabilité de la question déférée 13. Dans ses observations écrites, la Commission demande à la Cour de se prononcer sur la recevabilité de la question posée. Il y aurait lieu de se demander si ce renvoi préjudiciel satisfait aux exigences découlant de la jurisprudence de la Cour d’après lesquelles le juge national a l’obligation de définir le cadre factuel et réglementaire dans lequel s’insèrent les questions qu’il pose (6) . 14. Cette objection n’est pas fondée. La situation de fait ne présente aucune difficulté particulière, et, si elle n’est pas décrite avec force détails dans l’ordonnance de renvoi, une description complète découle aisément de la lecture des observations écrites déposées par les parties au principal. Quant au cadre juridique, il est restitué avec clarté dans l’ordonnance de renvoi (7) . Dans ces conditions, il serait malvenu d’exiger que la Cour disposât de l’intégralité des éléments du litige afin d’apprécier l’utilité de l’interprétation qui lui est demandée. Le seul fait que la Commission ait été en mesure de présenter des observations utiles dans cette affaire suffit d’ailleurs à démontrer que l’ordonnance était suffisamment motivée (8) . Dans cette affaire, la Cour possède les éléments nécessaires pour se prononcer sur la question de droit qui lui a été posée. 15. En matière de renvoi préjudiciel, il serait en tout état de cause imprudent d’étendre les motifs d’irrecevabilité au-delà des hypothèses dans lesquelles l’objet du litige est soustrait soit par défaut d’information (9) , soit au contraire par pure construction (10) , à la connaissance de la Cour. Une telle règle de prudence me paraît conforme à la nature et à l’esprit de la coopération juridictionnelle prévue à l’article 234 CE, laquelle repose sur la nécessaire collaboration de deux juridictions aux fins de la résolution d’un même litige. B – Sur la détermination du droit applicable en l’espèce 16. Le juge de renvoi demande...

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