Jessy Saint Prix v Secretary of State for Work and Pensions.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2013:841
Docket NumberC-507/12
Celex Number62012CC0507
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Date12 December 2013
62012CC0507

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. NILS WAHL

présentées le 12 décembre 2013 ( 1 )

Affaire C‑507/12

Jessy Saint Prix

contre

Secretary of State for Work and Pensions

[demande de décision préjudicielle formée par la Supreme Court of the United Kingdom (Royaume-Uni)]

«Libre circulation des travailleurs — Article 45 TFUE — Discrimination fondée sur la nationalité — Discrimination fondée sur le sexe — Directive 2004/38/CE — Article 7, paragraphes 1 et 3 — Définition de la notion de ‘travailleur’ — Droit de séjour — Citoyenne de l’Union ayant cessé temporairement de travailler en raison des contraintes liées à sa grossesse et aux suites de son accouchement — Complément de revenu — Ressources suffisantes — Proportionnalité»

1.

Une citoyenne de l’Union européenne résidant et travaillant dans un État membre autre que le sien cesse temporairement de travailler en raison des contraintes liées aux derniers stades de sa grossesse et des suites immédiates de son accouchement. Elle sollicite alors une prestation non contributive spéciale versée en espèces pour une période durant laquelle les femmes qui sont ressortissantes de l’État membre d’accueil ne sont pas tenues de travailler ou de chercher activement un emploi. Sa demande est rejetée par les autorités nationales compétentes. Dans ces circonstances, doit-elle être traitée comme un «travailleur» aux fins de l’article 45 TFUE et, plus spécifiquement, est-elle couverte par l’article 7 de la directive 2004/38/CE ( 2 ) (ci‑après la «directive sur la citoyenneté»)?

2.

Il est évident à mes yeux qu’il convient de répondre affirmativement à cette question. Comme je tenterai de le montrer ci‑après, toute autre interprétation de l’article 7 de la directive sur la citoyenneté impliquerait une méconnaissance non seulement du principe de l’interdiction des discriminations fondées sur la nationalité, mais aussi du principe de l’interdiction des discriminations fondées sur le sexe, qui jouissent tous deux indubitablement d’un statut constitutionnel en droit de l’Union.

I – Les faits à l’origine du litige, la procédure au principal et les questions préjudicielles

3.

Mme Saint Prix est une ressortissante française qui réside de manière continue au Royaume-Uni depuis le 10 juillet 2006. De septembre 2006 à août 2007, elle a occupé divers emplois, généralement en tant qu’enseignante auxiliaire. Elle s’est ensuite inscrite à un cours de troisième cycle en relation avec son emploi antérieur dans le domaine de l’éducation. En février 2008, elle a abandonné ses études parce qu’elle était tombée enceinte.

4.

Mme Saint Prix a alors cherché un emploi dans les écoles secondaires. Comme aucun emploi de ce type n’était disponible, elle a travaillé durant plusieurs mois comme intérimaire dans des écoles maternelles. Le 12 mars 2008, c’est-à-dire douze semaines avant la date prévue de son accouchement, elle a cessé de travailler, car son travail, qui consistait à s’occuper d’enfants de l’école maternelle, était devenu trop fatigant. Elle a cherché un travail plus léger durant quelques jours, mais en vain.

5.

Le 18 mars 2008, sur le conseil de son médecin, Mme Saint Prix a sollicité un complément de revenu, une prestation non contributive spéciale versée en espèces ( 3 ). Sa demande a été rejetée parce que, en vertu de la législation nationale pertinente, elle avait perdu son «droit de séjour au Royaume-Uni», qui est une condition requise pour l’obtention du complément de revenu. Toutes les parties paraissent convenir que la demande a été introduite dans un délai de onze semaines avant la date prévue de l’accouchement.

6.

Le bébé de Mme Saint Prix est né le 21 mai 2008. Environ trois mois après la naissance, Mme Saint Prix a repris le travail.

7.

Mme Saint Prix a introduit un recours devant le First‑tier Tribunal (Royaume-Uni) contre la décision lui refusant le complément de revenu. Son recours a été accueilli par un jugement du 4 septembre 2008. Le Secretary of State for Work and Pensions a, à son tour, introduit un recours contre ce jugement devant l’Upper Tribunal, qui a accueilli ce recours le 7 mai 2010. Mme Saint Prix a alors interjeté appel de ce jugement devant la Court of Appeal. Cette dernière ayant rejeté son appel le 13 juillet 2011, elle a formé un pourvoi devant la Supreme Court of the United Kingdom.

8.

Nourrissant des doutes quant à l’interprétation correcte de l’article 7 de la directive sur la citoyenneté, la Supreme Court of the United Kingdom a décidé de surseoir à statuer et de déférer les questions suivantes à la Cour:

«1)

Le droit de séjour conféré à un ‘travailleur salarié’ par l’article 7 de la directive sur la citoyenneté doit-il être interprété comme s’appliquant seulement à ceux qui sont i) dans une relation de travail existante, ii) (au moins dans certaines circonstances) à la recherche d’un emploi ou iii) couverts par les extensions de l’article 7, paragraphe 3, ou cet article doit-il être interprété comme ne faisant pas obstacle à la reconnaissance d’autres personnes demeurant des ‘travailleurs salariés’ à cette fin?

2)

a)

Dans cette dernière hypothèse, s’étend-il à une femme qui, légitimement, cesse de travailler ou de chercher un emploi, en raison des contraintes physiques liées aux derniers stades de sa grossesse (et aux suites de son accouchement)?

b)

Si oui, a-t-elle le droit de bénéficier de la définition que donne la législation nationale du moment où il est légitime de cesser de travailler ou de chercher un emploi?»

9.

Des observations écrites ont été présentées par Mme Saint Prix, par l’AIRE Centre ( 4 ), par les gouvernements du Royaume-Uni et polonais, par la Commission européenne ainsi que par l’Autorité de surveillance AELE, qui tous – à l’exception du gouvernement polonais – ont présenté des observations orales lors de l’audience du 14 novembre 2013.

II – Analyse juridique

A – Une citoyenne de l’Union se trouvant dans la situation de Mme Saint Prix doit conserver la qualité de travailleur

10.

La décision de renvoi explique que, en vertu du droit du Royaume-Uni, une femme enceinte – qui est une ressortissante du Royaume-Uni – n’est pas tenue d’être disponible sur le marché de l’emploi ou même de chercher activement un emploi durant la période commençant onze semaines avant la date prévue de son accouchement. Après son accouchement, il est admis qu’elle soit absente du marché de l’emploi durant 15 semaines ( 5 ). Si elle remplit les conditions requises, une ressortissante du Royaume-Uni a aussi droit au complément de revenu durant cette période.

11.

Cette possibilité n’est pas ouverte à une ressortissante d’un autre État membre, comme Mme Saint Prix, à moins qu’elle ne soit couverte par l’article 7 de la directive sur la citoyenneté, qui régit le droit pour les citoyens de l’Union de séjourner sur le territoire d’un autre État membre pour une durée de plus de trois mois ( 6 ). En plus des circonstances (y compris le droit de séjour des travailleurs salariés ou non salariés) visées à l’article 7, paragraphe 1, de cette directive, celles énumérées à l’article 7, paragraphe 3, de celle-ci revêtent une importance particulière en l’espèce. Il s’agit des situations dans lesquelles un citoyen de l’Union qui n’exerce plus d’activité salariée ou non salariée conserve néanmoins la qualité de travailleur salarié ou non salarié. Ces circonstances incluent l’incapacité de travail temporaire résultant d’une maladie ou d’un accident. Cependant, l’article 7, paragraphe 3, ne mentionne pas la grossesse. Selon la juridiction de renvoi, Mme Saint Prix – qui était enceinte à l’époque en cause – ne peut, par conséquent, bénéficier du complément de revenu que si elle peut être considérée comme étant un travailleur durant la période en question.

12.

Je conclus de ce qui précède que, par ses questions, la juridiction de renvoi vise essentiellement à savoir si une femme se trouvant dans la situation de Mme Saint Prix doit être assimilée à un travailleur aux fins de l’article 7 de la directive sur la citoyenneté.

13.

Pour répondre à cette question, je commencerai par décrire les principes fondamentaux de la jurisprudence pertinente de la Cour en matière de libre circulation des travailleurs. Ensuite, je me pencherai – à la lumière de cette jurisprudence – sur l’interprétation correcte de l’article 7 de la directive sur la citoyenneté en examinant, en particulier, les arguments avancés par le gouvernement du Royaume-Uni.

1. Jurisprudence de la Cour

14.

Selon une jurisprudence constante, la notion de travailleur doit être interprétée largement ( 7 ). Il en est ainsi parce qu’elle définit le champ d’application de l’une des libertés fondamentales garanties par le traité ( 8 ).

15.

Par conséquent, un travailleur migrant qui a travaillé dans un État membre d’accueil doit être traité comme relevant du champ d’application de l’article 45 TFUE ( 9 ). En principe, donc, une personne est considérée comme travailleur pendant la durée de son emploi ( 10 ). Cependant, la Cour a aussi constamment jugé que les droits garantis aux travailleurs migrants ne sont pas nécessairement liés à l’existence effective ou continue d’une relation d’emploi. En fait, certains droits découlant de la qualité de travailleur sont garantis aux travailleurs migrants même lorsqu’ils ne sont plus dans une telle situation. Ces droits incluent le bénéfice d’une prestation de sécurité sociale dans l’État membre d’accueil ( 11 ).

16.

Sur ce point, je voudrais attirer l’attention sur le fait que, selon une jurisprudence constante, l’article 45 TFUE – et...

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