Kingdom of Spain v Eurojust.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2004:817
CourtCourt of Justice (European Union)
Docket NumberC-160/03
Date16 December 2004
Procedure TypeRecours en annulation - irrecevable
Celex Number62003CC0160
Conclusions
CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL
M. M. POIARES MADURO
présentées le 16 décembre 2004(1)



Affaire C-160/03

Royaume d'Espagne
contre
Eurojust




«Eurojust – Appels à candidatures – Recevabilité d'un recours contre un organe de l'Union européenne – Article 35 UE – Exigences professionnelles – Régime linguistique des institutions de l'Union»






1. La présente affaire est importante à un double titre. D’une part, le recours introduit par le royaume d’Espagne contre des appels à candidatures pour le recrutement d’agents temporaires auprès d’Eurojust offre à nouveau l’occasion à la Cour d’examiner le sens et la portée du régime linguistique des institutions et des organes de l’Union européenne. La Cour a déjà pu se prononcer sur le régime linguistique applicable aux procédures d’enregistrement engagées devant une agence de la Communauté européenne, l’Office de l’harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins et modèles) (OHMI) (2) . Il lui revient, à présent, de statuer sur le régime linguistique applicable aux procédures de recrutement et aux travaux internes d’un organe de l’Union, Eurojust. Mais, d’autre part, ce pas ne pourra être franchi que si la Cour admet la recevabilité d’un recours en annulation introduit par un État membre à l’encontre d’un acte adopté par un organe de l’Union dans le cadre des dispositions du titre VI du traité sur l’Union européenne. Dans cette affaire, la Cour est donc invitée à prendre position à la fois sur les voies de recours ouvertes dans le cadre du traité sur l’Union européenne et sur les exigences linguistiques requises au sein des institutions et des organes de l’Union. I – L’affaire et son contexte 2. Il importe d’apporter quelques précisions sur l’auteur et sur le contenu des appels à candidatures contestés (ci-après les «actes attaqués»), avant de rappeler l’objet et les moyens de ce recours. A – L’auteur des actes attaqués 3. Eurojust est une pièce importante du développement de l’Union en tant qu’espace de liberté, de sécurité et de justice (3) . Conformément à l’article 29 UE, la création d’Eurojust correspond à la nécessité d’accorder un niveau élevé de protection aux citoyens de l’Union, en améliorant la coopération judiciaire entre les États membres. 4. Eurojust a été institué en tant qu’organe de l’Union, doté de la personnalité juridique, par la décision 2002/187/JAI du Conseil, du 28 février 2002 (4) (ci-après la «décision Eurojust»). Il a pour tâche, dans les domaines touchant aux formes graves de criminalité, de promouvoir et d’améliorer la coordination des enquêtes et poursuites pénales dans les différents États membres, d’améliorer la coopération entre les autorités compétentes des États membres et d’apporter un soutien à celles-ci. 5. Il est doté, à cette fin, d’une structure originale. D’une part, en vertu de l’article 2 de la décision Eurojust, cet organe est composé de membres nationaux détachés par chaque État membre. La réunion de tous les membres nationaux forme le collège. Ce dernier est responsable de l’organisation et du fonctionnement d’Eurojust. Il nomme le directeur administratif qui est responsable de la gestion quotidienne de l’organe (5) . D’autre part, Eurojust dispose de sa propre structure administrative. Il résulte de l’article 25 du règlement intérieur d’Eurojust (6) que le personnel de l’organe est recruté par le directeur administratif, après évaluation et approbation des postes à pourvoir par le collège. Ce sont précisément les conditions de recrutement du personnel de l’organe qui sont mises en cause par le présent recours. B – Le contenu des actes attaqués 6. Le 13 février 2003, huit appels à candidatures visant à constituer des listes de réserve pour pourvoir des postes d’agents temporaires auprès d’Eurojust ont été publiés au Journal officiel de l’Union européenne (7) . Ces appels concernaient notamment un poste de délégué à la protection des données, un poste de comptable, un poste d’expert en informatique et technologies de l’information (administrateur de site web) du réseau judiciaire européen, un poste de conseiller juridique, un poste de bibliothécaire/archiviste, un poste d’attaché de presse et un poste de secrétaire auprès de l’administration générale. Chacun de ces appels décrit la nature des fonctions proposées, indique les qualifications requises en vue de postuler à ces fonctions et précise les conditions de recrutement et de sélection des candidats. 7. S’agissant des qualifications requises, il est notamment exigé de posséder certaines connaissances linguistiques. Ces exigences varient selon les postes à pourvoir. Pour les postes de délégué à la protection des données et de conseiller juridique, une excellente connaissance du français et de l’anglais est exigée; il est précisé également qu’une aptitude à travailler dans d’autres langues officielles des Communautés constituerait un atout. Les candidats au poste d’attaché de presse doivent avoir la capacité à communiquer au moins en anglais et en français; à leur égard, la connaissance d’autres langues officielles des Communautés constituerait un atout. Pour le poste de secrétaire auprès de l’administration générale, des connaissances approfondies de l’anglais et du français sont requises; en outre, une connaissance satisfaisante d’autres langues des Communautés constituerait un atout. Pour le poste d’expert en informatique et technologies de l’information, une bonne connaissance de l’anglais est essentielle, et la capacité de communiquer dans au moins deux autres langues officielles des Communautés, y compris le français, est considérée comme un atout. Aux candidats au poste de comptable, il est demandé de posséder une connaissance approfondie de l’une des langues officielles des Communautés et une connaissance satisfaisante d’une autre langue des Communautés, y compris une connaissance satisfaisante de l’anglais. Seul l’appel concernant le poste de bibliothécaire/archiviste ne mentionne aucune exigence particulière en matière linguistique. 8. Les conditions de présentation des candidatures sont présentées dans les mêmes termes dans tous les actes attaqués. D’une part, l’acte de candidature doit être complété non seulement dans la langue de publication dans laquelle le candidat prend connaissance de l’appel, mais également en anglais. D’autre part, certains des documents à transmettre, à savoir la lettre de motivation et le curriculum vitae, doivent être rédigés en anglais. C – Objet et moyens du recours 9. L’objet de ce recours est double. Par sa requête, le royaume d’Espagne demande à la Cour d’annuler, d’une part, le point relatif aux documents à transmettre en anglais dans chacun des actes attaqués et, d’autre part, les points relatifs aux qualifications linguistiques dans les actes attaqués qui en contiennent. En concentrant l’objet du recours sur les questions linguistiques, la partie requérante entend attaquer à la fois la procédure de sélection et les critères de sélection. 10. À l’appui de cette demande, elle fait valoir trois moyens. En premier lieu, elle prétend que les actes attaqués ont été adoptés en violation du régime applicable aux autres agents des Communautés européennes (ci-après le «RAA») (8) . Ces actes seraient contraires à l’article 12, paragraphe 2, sous e), du RAA en ce qu’ils exigeraient, selon les cas, plus qu’une connaissance satisfaisante d’une langue autre que la langue maternelle du candidat, une connaissance de la langue française et, en tout cas, une connaissance indispensable de la langue anglaise. En deuxième lieu, elle allègue une violation du régime linguistique d’Eurojust (9) , en ce que celui-ci obligerait Eurojust à se conformer au régime linguistique communautaire qui impose l’usage et le respect de toutes les langues officielles des Communautés européennes (10) . En dernier lieu, elle soutient qu’il y a violation du principe de non-discrimination en raison de la nationalité, découlant de l’article 12 CE, dès lors que les exigences et les conditions posées dans les actes attaqués favoriseraient, sans aucune justification, les candidats de langue maternelle anglaise ou française. II – La recevabilité du recours 11. La recevabilité du recours est contestée par Eurojust. Or, cette question est délicate. Elle mérite, à mon avis, de faire l’objet d’un examen attentif. 12. Deux sortes de considérations pourraient être invoquées au soutien d’une solution d’irrecevabilité. La première est de portée générale. Elle est tirée de ce que les actes mis en cause ont été adoptés hors du cadre du droit communautaire et, de plus, par un organe autonome situé hors du cadre institutionnel de l’Union tel qu’il est établi aux articles 7 CE et 5 UE. Il en résulterait que les actes attaqués échappent, à double titre, au contentieux communautaire de la légalité. L’autre série de considérations est tirée de la lettre même des dispositions des traités. Ni l’article 230 CE ni l’article 35 UE ne permettraient d’introduire un recours contre ce type d’actes. Il n’y aurait qu’une possibilité de recours, et elle serait réservée aux candidats malheureux, conformément à l’article 91 du statut des fonctionnaires des Communautés européennes applicable par analogie aux agents temporaires en vertu de l’article 73 du RAA. 13. Il ne faut pas se dissimuler que ces considérations ont un certain poids. Elles permettraient à la Cour d’adopter une solution simple. Il lui suffirait ainsi de conclure qu’aucune base juridique n’autorise l’examen de ce recours. Pareille solution présente, cependant, l’inconvénient majeur de ne point correspondre aux principes qui ont toujours guidé la jurisprudence de la Cour. Elle aboutirait à priver un État membre de la possibilité...

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