EMI Group Ltd v The Commissioners for Her Majesty's Revenue and Customs.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2010:194
Docket NumberC-581/08
Celex Number62008CC0581
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Date15 April 2010

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. NIILO Jääskinen

présentées le 15 avril 2010 (1)

Affaire C‑581/08

EMI Group Ltd

contre

The Commissioners for Her Majesty’s Revenue & Customs

[demande de décision préjudicielle formée par le VAT and Duties Tribunal, London (Royaume-Uni)]

«Sixième directive TVA – Article 5, paragraphe 6 – Cadeaux de faible valeur – échantillons – Notion – Enregistrements musicaux – Distribution gratuite à des fins promotionnelles»





I – Introduction

1. Dans son Essai sur le don, publié pour la première fois en 1925, Marcel Mauss, célèbre anthropologue français, a voulu démontrer que, au sein des sociétés archaïques, les échanges et les contrats prennent la forme de dons. S’ils sont en théorie volontaires, c’est en réalité obligatoirement qu’ils sont faits et rendus (2).

2. La nature humaine n’ayant pas changé, il n’est pas surprenant que le législateur de l’Union européenne (ci-après l’«UE»), qui définit la taxe sur la valeur ajoutée (ci-après la «TVA») comme un impôt général sur la consommation appliqué à toutes les livraisons de biens et les prestations de services effectuées à titre onéreux (3), n’ait pas pris en compte les opérations effectuées à titre gratuit selon leur valeur nominale (4). Dans la plupart des cas, comme je le verrai plus loin, ces opérations sont soumises à la TVA par application des dispositions relatives au prélèvement d’un bien pour les besoins privés de l’assujetti (5). S’agissant des cadeaux offerts dans le cadre de la représentation ou du divertissement, on obtient le même effet en excluant l’acquisition de ces biens du champ des règles relatives à la déduction (6).

3. Cependant, les prélèvements effectués pour donner des échantillons et des cadeaux de faible valeur sont exonérés de la TVA (7). Compte tenu du régime fiscal avantageux de ces cessions, la connaissance de la portée exacte de ces notions revêt un intérêt économique considérable pour les assujettis. Leur simplicité apparente s’avère illusoire lorsqu’il s’agit, comme en l’espèce, d’appliquer ces notions dans le cadre complexe de la distribution de biens représentant des œuvres protégées par le droit d’auteur.

4. La demande de décision préjudicielle formée en l’espèce par le London VAT and Duties Tribunal (Royaume-Uni) porte sur l’interprétation de l’article 5, paragraphe 6, dernière phrase, de la sixième directive, qui exonère de TVA les prélèvements effectués pour donner des échantillons et des cadeaux de faible valeur (8). Si la première phrase de l’article 5, paragraphe 6, a été examinée dans le cadre de plusieurs affaires portées devant la Cour (9), c’est la première fois que celle-ci est appelée à interpréter la dernière phrase de cette disposition.

II – Cadre juridique

A – Le droit de l’Union européenne (10)

5. L’article 5, paragraphe 6, de la sixième directive est libellé comme suit:

«Est assimilé à une livraison effectuée à titre onéreux le prélèvement par un assujetti d’un bien de son entreprise pour ses besoins privés ou ceux de son personnel ou qu’il transmet à titre gratuit ou, plus généralement, qu’il affecte à des fins étrangères à son entreprise, lorsque ce bien ou les éléments le composant ont ouvert droit à une déduction complète ou partielle de la taxe sur la valeur ajoutée. Toutefois, ne sont pas visés les prélèvements effectués pour les besoins de l’entreprise pour donner des cadeaux de faible valeur et des échantillons.»

B – Le droit national

6. Les dispositions nationales applicables figurent à l’article 5, paragraphe 1, du Value Added Tax Act de 1994 et à l’annexe 4, paragraphe 5, sous-paragraphes 1, 2, 2ZA et 3, de cette loi; elles ont été modifiées à plusieurs reprises au cours de la période litigieuse (depuis avril 1987 jusqu’à ce jour).

7. Dans leur version actuelle, ces dispositions traitent, en substance, le transfert ou la cession, à titre onéreux ou non, des biens d’une entreprise assujettie comme une livraison. Une exception est faite pour les cadeaux d’entreprise et la distribution d’échantillons. S’agissant des cadeaux d’entreprise, la valeur par personne et par an ne doit pas excéder un coût de 50 GBP pour le donateur. S’agissant des échantillons, seul le premier est exonéré lorsque plusieurs échantillons identiques sont remis à une même personne. Avant juillet 1993, l’exonération s’appliquait uniquement aux échantillons industriels présentés sous une forme qui n’est d’ordinaire pas proposée à la vente au public.

III – Faits et questions déférées à la Cour

8. EMI Group Limited (ci-après «EMI»), une société d’édition musicale et de production et de vente d’enregistrements musicaux, distribue gratuitement des copies de ces enregistrements, sous forme de disques vinyles, de cassettes et de disques compacts (ci-après les «CD»), à différentes personnes en vue de promouvoir ses nouveautés musicales. EMI estime qu’une telle distribution est nécessaire à son activité, en ce que cela lui permet d’évaluer la qualité commerciale d’un enregistrement ainsi que sa viabilité sur le marché.

9. Dans le cadre de cette stratégie promotionnelle, des CD sont distribués à des personnes susceptibles d’influencer le comportement des consommateurs (il s’agit de personnes travaillant pour la presse, des stations de radio, des émissions de télévision, des agences de publicité, des points de vente au détail et des cinémas), ainsi qu’à des promoteurs connus sous le nom de «pluggers», qui distribuent des CD à leurs propres contacts. EMI a recours à la fois à des «pluggers» internes et externes s’ils possèdent une compétence particulière en matière de promotion d’enregistrements musicaux ou ont rencontré un succès particulier dans ce domaine.

10. EMI fournit, à cette fin, des enregistrements musicaux sous différentes formes: les disques compacts inscriptibles (ci-après les «CDR») (11) «filigranés» portant le nom du destinataire et permettant d’identifier la provenance d’éventuelles copies; les CDR non filigranés fournis dans une pochette cartonnée blanche; les CD «échantillon» fournis dans une pochette cartonnée comportant une illustration identique à celle qui figure sur l’album définitif; ou les CD «produit fini», prêts à la commercialisation. Ces derniers portent un autocollant avec la mention «copie promotionnelle non destinée à la revente», tandis que les autres comportent une mention précisant que les droits de propriété demeurent acquis au label d’enregistrement VRL, une filiale d’EMI. Il convient de noter que le «produit fini» est remis aux artistes, à leurs managers et aux éditeurs, aux agents et à tous les autres contacts au sein des médias qui, selon EMI, doivent disposer du produit fini.

11. Selon l’ordonnance de renvoi, environ 90 pour cent des CD promotionnels sont envoyés à des personnes nommément désignées. Il ressort du dossier que les enregistrements peuvent également faire l’objet d’envois individuels à plusieurs personnes au sein d’une même organisation. Environ 2 500 copies gratuites sont distribuées pour la sortie d’un titre; entre 3 000 et 3 750 copies pour celle d’un album. Un seul «plugger» peut recevoir jusqu’à 600 enregistrements gratuits qu’il devra ensuite redistribuer. Pour relativiser ces chiffres, j’observerai que, selon EMI, un album CD à succès peut se vendre à des millions d’exemplaires.

12. Entre avril 1987 et le début de l’année 2003, EMI a déclaré la TVA pour les enregistrements distribués dans les conditions décrites ci‑dessus. Estimant la législation nationale incompatible avec l’article 5, paragraphe 6, de la sixième directive, de sorte qu’aucune TVA n’était due, EMI a adressé aux Commissioners for Her Majesty’s Revenue and Customs (ci-après les «Commissioners») une demande de remboursement des sommes versées au titre de la TVA sur ces enregistrements. Les Commissioners ayant rejeté la demande de remboursement, EMI a saisi la juridiction de renvoi.

13. à partir de juillet 2003, EMI a cessé de déclarer la TVA sur les CD remis à titre gratuit. Pour la période s’étalant du mois de juillet 2003 au mois de décembre 2004, les Commissioners lui ont transmis un avis d’imposition, contre lequel EMI a introduit un recours auprès de la juridiction de renvoi.

14. C’est dans ces circonstances que la juridiction de renvoi a saisi la Cour d’une demande de décision préjudicielle portant sur les questions suivantes:

«1) Comment l’article 5, paragraphe 6, dernière phrase, de la sixième directive doit-il être interprété dans le contexte des circonstances de la présente affaire?

2) Quelles sont, en particulier, les caractéristiques essentielles d’un ‘échantillon’ au sens de l’article 5, paragraphe 6, dernière phrase, de la sixième directive?

3) Un État membre est-il autorisé à limiter l’interprétation du terme ‘échantillon’, figurant à l’article 5, paragraphe 6, dernière phrase, de la sixième directive, à:

i) un échantillon industriel donné à un client existant ou potentiel de l’entreprise, sous une forme qui n’est d’ordinaire pas disponible à la vente au public (jusqu’en 1993),

ii) un échantillon seulement, ou seulement le premier échantillon parmi ceux donnés par la même personne au même destinataire, lorsque ces échantillons sont identiques ou ne diffèrent pas de manière substantielle les uns par rapport aux autres (à partir de 1993)?

4) Un État membre est-il autorisé à limiter l’interprétation du terme ‘cadeaux de faible valeur’, figurant à l’article 5, paragraphe 6, dernière phrase, de la sixième directive, de manière à exclure:

i) un cadeau faisant partie d’une série ou d’une succession de cadeaux faits régulièrement à la même personne (jusqu’en octobre 2003),

ii) les cadeaux d’entreprise faits à la même personne au cours d’une période de douze mois, dont le coût total n’est pas supérieur à 50 GBP (à partir d’octobre 2003)?

5) En cas de réponse positive à la troisième question, sous ii), ci-dessus ou à une partie de la quatrième question ci-dessus, lorsqu’un assujetti fait un cadeau similaire ou...

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