Sabine Mayr v Bäckerei und Konditorei Gerhard Flöckner OHG.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2007:715
Docket NumberC-506/06
Celex Number62006CC0506
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Date27 November 2007

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. DÁMASO RUIZ-JARABO COLOMER

présentées le 27 novembre 2007 1(1)

Affaire C‑506/06

Sabine Mayr

contre

Bäckerei und Konditorei Gerhard Flöckner OHG

[demande de décision préjudicielle formée par l’Oberster Gerichtshof (Autriche)]

«Directive 92/85/CEE – Protection de la sécurité et de la santé des travailleuses enceintes – Notion de travailleuse enceinte – Directive 76/207/CEE – Discrimination fondée sur le sexe»





I – Introduction

1. Pendant longtemps, la grossesse a été entourée d’un halo de mystère; les tests rapides de maternité n’avaient pas encore été découverts, et les progrès techniques ne fournissaient pas d’images du fœtus dans le ventre de la mère. Autrefois, la femme enceinte n’avait pas de certitude immédiate sur son état, et il arrivait fréquemment qu’elle demeurât plusieurs semaines dans le doute. Certains observateurs, spécialement les pionniers de la science médicale, ont tenté de décrire les symptômes de la grossesse. Pline l’Ancien, dans le livre VII, V, de son Histoire naturelle, constate que «le dixième jour de la conception surviennent des douleurs de tête, des vertiges, des éblouissements, des dégoûts, des soulèvements d’estomac, indices qui annoncent qu’un être humain est ébauché»; il ajoute que «le teint est meilleur, la grossesse plus facile, quand c’est un garçon» (2).

2. Les sociétés se sont efforcées, pour la plupart, de distinguer la femme enceinte, autant pour lui rendre hommage que pour la protéger – ainsi que son enfant – des mauvais présages et des risques liés à la maternité. L’ethnologue français Arnold Van Gennep décrit, dans son célèbre ouvrage Les rites de passage (publié en 1909), plusieurs cérémonies destinées à marquer, dans les sociétés primitives, les changements que connaissant les êtres humains: grossesse, naissance, mariage et mort (3).

3. Dans Mémoires de deux jeunes mariées, l’une des héroïnes d’Honoré de Balzac, enceinte pour la première fois, s’étonne de ne rien ressentir de particulier au début et de découvrir son état dans le regard des autres, et non dans son propre corps; affirmant que «la maternité ne commence qu’en imagination» et, guettant les symptômes, elle révèle ensuite une curiosité excessive pour savoir quand elle commence (4). Francisco de Goya réalise le portrait de la belle comtesse de Chinchón, dans la splendeur de ses 21 ans, sans cacher l’enfant qu’elle attend, puisque le génie aragonais le signale discrètement en la touchant avec une délicate couronne d’épis de blé, symbole de la fertilité (5).

4. Mme Sabine Mayr souhaitait certainement garder pour elle son désir de maternité. Il n’est pas extravagant de penser qu’elle aurait préféré taire pendant quelques mois ce détail, qui relève de sa vie privée et de son intimité. Mais cela ne lui a pas été possible, puisque le processus de reproduction assistée auquel elle a dû recourir l’a obligée à révéler ensuite son secret. Alors qu’elle avait subi une ponction folliculaire, que ses ovocytes avaient été fécondés dans un laboratoire et que les embryons n’avaient pas été implantés dans son utérus, l’entreprise lui a notifié la rupture de son contrat de travail.

5. L’Oberster Gerichtshof (Autriche) interroge la Cour sur la portée de l’expression «travailleuse enceinte» de l’article 2, sous a), de la directive 92/85/CEE (6), en particulier pour préciser si, lorsque l’entreprise a licencié l’intéressée, celle-ci pouvait être considérée comme enceinte, et donc protégée par cette disposition communautaire.

6. Le renvoi pose donc la question de la détermination du moment auquel débute la grossesse aux fins de la directive en cause. C’est là une affaire extrêmement délicate puisque, ne serait-ce que de manière indirecte, elle pourrait déboucher sur un débat médico-éthique sur l’origine de la vie, lequel est superflu et n’a pas sa place dans cette enceinte.

II – Le cadre juridique

A – La réglementation communautaire

1. La directive 92/85

7. La question préjudicielle posée porte sur la directive 92/85, spécialement sur son article 2, sous a), selon lequel on entend par «travailleuse enceinte» celle «qui informe l’employeur de son état, conformément aux législations et/ou pratiques nationales».

8. Parmi les garanties octroyées aux employées relevant du champ d’application de ladite directive figure une interdiction de licenciement, comme garantie «de l’exercice des droits de protection de leur sécurité et de leur santé». En vertu de l’article 10 de la directive, les États membres prennent les mesures nécessaires pour interdire leur licenciement pendant la période allant du début de leur grossesse jusqu’au terme du congé de maternité, sauf dans les cas d’exception non liés à leur état, admis par les législations ou les pratiques nationales, pour autant que l’autorité compétente ait donné son accord (point 1); en outre, lorsqu’une travailleuse est licenciée pendant la période visée au point 1, l’employeur doit donner des motifs justifiés de licenciement par écrit (point 2).

2. La directive 76/207

9. Bien que la juridiction de renvoi ne la mentionne pas expressément, la directive 76/207/CEE (7) est également pertinente en l’espèce. Son article 2, paragraphe 1, exclut, en application du principe de l’égalité de traitement, «toute discrimination fondée sur le sexe, soit directement, soit indirectement par référence, notamment, à l’état matrimonial ou familial», avec cette nuance, au paragraphe 3, que les dispositions de la directive ne font pas obstacle «à la protection de la femme, notamment en ce qui concerne la grossesse et la maternité».

10. Quant à son article 5, il stipule que ce même principe de l’égalité de traitement en ce qui concerne les conditions de travail, y compris les conditions de licenciement, implique que soit assurée aux hommes et aux femmes la même position, sans discrimination fondée sur le sexe.

11. La directive 76/207 a été modifiée par la directive 2002/73/CE (8), puis abrogée et remplacée par la directive 2006/54/CE (9). Cependant, aucune de ces dernières dispositions ne s’applique en l’espèce, puisque les délais impartis pour la transposition de la directive 2002/73 et pour l’adoption de la directive 2006/54 n’étaient pas écoulés à la date des faits dans l’affaire principale.

B – La réglementation autrichienne

12. En vertu de l’article 10 de la loi autrichienne de protection maternelle (Mutterschutzgesetz, ci-après le «MSchG»), les travailleuses ne peuvent pas valablement être licenciées pendant leur grossesse ni au cours des quatre mois suivant l’accouchement, dès lors que l’employeur a été informé de ces circonstances avant le licenciement ou dans le délai de cinq jours suivant l’annonce ou la notification du licenciement.

13. En outre, la loi autrichienne sur la procréation médicalement assistée (Fortpflanzungsmedizingesetz, ci-après le «FMedG») définit comme «pré-embryons viables» les ovocytes fécondés et les cellules obtenues (article 1er, paragraphe 3), autorisant leur conservation durant une période de dix années au maximum (article 17, paragraphe 1).

III – Les faits, le litige principal et la question préjudicielle

14. Mme Mayr travaillait comme serveuse pour la société Bäckerei und Konditorei Gerhard Flöckner OHG depuis le 3 janvier 2005.

15. Après un traitement hormonal d’une durée d’environ un mois et demi, elle a subi une ponction de follicule le 8 mars 2005, et son médecin traitant lui a prescrit un congé de maladie du 8 au 13 mars, date prévue pour le transfert de deux embryons dans son utérus (10).

16. Dans l’intervalle, le 10 mars, l’entreprise lui a annoncé, au cours d’une conversation téléphonique, qu’il était mis fin à son contrat de travail à partir du 26 mars 2005. Dans une lettre de ce même jour, le 10 mars, Mme Mayr a informé son employeur de l’intervention programmée pour le 13 mars. Selon la juridiction de renvoi, il est établi que, le jour de la communication du licenciement, les ovocytes prélevés sur l’intéressée avaient déjà fusionné avec les spermatozoïdes de son partenaire, de sorte qu’il existait des embryons in vitro.

17. Dans ces circonstances, Mme Mayr a réclamé à l’employeur par la voie judiciaire son salaire et la part correspondante de sa rémunération annuelle, faisant valoir que le licenciement du 10 mars 2005 était nul parce que, depuis le 8 mars, jour où la fécondation in vitro de ses ovocytes a été effectuée, elle était protégée par l’interdiction établie à l’article 10, paragraphe 1, du MSchG. La société défenderesse a conclu au rejet de la demande en faisant valoir qu’il n’y avait pas encore grossesse lorsqu’elle a notifié le licenciement.

18. Le Landesgericht Salzburg a admis en première instance la demande de Mme Mayr, en relevant que, selon la jurisprudence de l’Oberster Gerichtshof, la protection de la femme consacrée à l’article 10 du MSchG débute avec la fécondation de l’ovule; elle devrait donc s’étendre à une fécondation in vitro, puisque le MSchG a pour objectif d’assurer la subsistance économique de la mère.

19. La Bäckerei und Konditorei Gerhard Flöckner a fait appel de cette décision judiciaire devant l’Oberlandesgericht Linz, qui a annulé le jugement de première instance, en se fondant sur l’idée que, indépendamment du moment de la grossesse auquel commencent les modifications hormonales, la gestation ne peut pas être conçue séparément du corps dans lequel elle se déroule. Par conséquent, dans une fécondation in vitro, la grossesse – et donc la protection contre le licenciement – débuterait avec le transfert de l’ovocyte fécondé dans l’utérus.

20. En désaccord avec ce jugement rendu en appel, Mme Mayr s’est pourvue devant l’Oberster Gerichtshof. Estimant que la solution du litige dépend de l’interprétation de normes du droit communautaire, la juridiction autrichienne a soumis à la Cour, en vertu de l’article 234 CE, la question préjudicielle suivante:

«Une travailleuse qui se soumet à une fécondation in vitro est-elle, si, au...

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