Société thermale d'Eugénie-les-Bains v Ministère de l'Économie, des Finances et de l'Industrie.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2006:555
Date13 September 2006
Celex Number62005CC0277
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Docket NumberC-277/05

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. M. Poiares Maduro

présentées le 13 septembre 2006 (1)

Affaire C-277/05

Société thermale d’Eugénie-les-Bains

contre

Ministère de l’Économie, des Finances et de l’Industrie

[demande de décision préjudicielle formée par le Conseil d’État (France)]

«TVA – Champ d’application – Arrhes versées dans le cadre de contrats portant sur des prestations de services soumises à la TVA et conservées par le prestataire en cas de dédit – Qualification»





1. La présente demande préjudicielle, introduite par le Conseil d’État (France), porte essentiellement sur l’interprétation de l’article 2, point 1, de la sixième directive 77/388/CEE (2). Il s’agit, en effet, de savoir si des sommes versées d’avance pour une prestation de services hôteliers et que le prestataire a conservées en conséquence du désistement du client en faveur duquel une réservation a été faite sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée (ci‑après la «TVA»).

I – Les faits de la procédure au principal, le cadre juridique et la question préjudicielle soumise à la Cour

2. La société thermale d’Eugénie‑les‑Bains (ci‑après la «société thermale» ou la «société requérante»), établie dans la commune du même nom (France), a pour activité l’exploitation d’établissements thermaux, comportant également des activités hôtelières et de restauration. La société thermale perçoit des sommes versées à l’avance lors des réservations de séjours effectuées par les curistes.

3. Selon l’article L114‑1 du code de la consommation, issu de l’article 3‑1 de la loi n° 92‑60, du 18 janvier 1992, renforçant la protection des consommateurs, (3) «[s]auf stipulation contraire du contrat, les sommes versées d’avance sont des arrhes, ce qui a pour effet que chacun des contractants peut revenir sur son engagement, le consommateur en perdant les arrhes, le professionnel en les restituant au double». Les sommes d’argent ainsi perçues par la société thermale à titre d’arrhes sont soit déduites du paiement ultérieur des prestations de séjour, soit conservées par la société en cas de renonciation des curistes à leur séjour.

4. En 1992, la société thermale a fait l’objet d’une vérification de comptabilité portant sur la période comprise entre le 1er janvier 1989 et le 30 avril 1992. À l’issue de cette vérification, l’administration fiscale a estimé que devaient être assujetties à la TVA les arrhes qui avaient été perçues par la société thermale au moment de la réservation des séjours et qu’elle avait conservées après l’annulation de la réservation. Par conséquent, pour ladite période, des rappels d’impôts pour un montant de 84 054 FRF (12 814 euros) ont été portés à la charge de la société thermale le 8 décembre 1994. Cette dernière, ne partageant pas cette position, a formulé une réclamation auprès de l’administration fiscale qui l’a rejetée le 14 février 1995.

5. La société thermale a introduit un recours devant le tribunal administratif de Pau qui l’a rejeté par un jugement du 18 novembre 1999. La société thermale a ensuite interjeté appel devant la cour administrative d’appel de Bordeaux qui a aussi rejeté le recours par son arrêt du 18 novembre 2003. Ces deux juridictions ont considéré que, lorsque les arrhes sont conservées par la société en cas de désistement du client, celles‑ci constituent la contrepartie directe et la rémunération d’une prestation de services individualisable consistant à établir le dossier du client et à lui réserver un séjour. Les arrhes conservées par la société thermale en l’espèce devaient être ainsi assujetties à la TVA.

6. La société thermale, en soutenant que ces arrhes doivent être regardées comme des indemnités versées en réparation du préjudice subi par elle du fait de la défaillance de ses clients et, comme telles, non soumises à la TVA, a formé un recours devant le Conseil d’État, lequel a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

«Des sommes versées à titre d’arrhes dans le cadre de contrats de vente portant sur des prestations de services assujetties à la [TVA] doivent‑elles être regardées, lorsque l’acquéreur fait usage de la faculté de dédit qui lui est ouverte et que ces sommes sont conservées par le vendeur, comme rémunérant la prestation de réservation et comme telles soumises à la [TVA] ou comme des indemnités de résiliation versées en réparation du préjudice subi à la suite de la défaillance du client, sans lien direct avec un quelconque service rendu à titre onéreux et, comme telles, non soumises à cette même taxe?»

7. Cette question amène la Cour à interpréter plusieurs dispositions de la sixième directive, tout particulièrement l’article 2, point 1, selon lequel sont soumises à la TVA «les livraisons de biens et les prestations de services, effectuées à titre onéreux à l’intérieur du pays par un assujetti agissant en tant que tel».

8. L’article 6, paragraphe 1, de cette même directive définit comme «prestation de services» toute opération qui ne constitue pas une livraison d’un bien au sens de l’article 5 de la sixième directive et prévoit qu’une opération de prestation de services «peut consister entre autres […] en une obligation de ne pas faire ou de tolérer un acte ou une situation».

9. Également pertinent pour l’analyse est l’article 10, paragraphe 2, de la même directive, lequel prévoit que «[l]e fait générateur de la taxe intervient et la taxe devient exigible au moment où la livraison du bien ou la prestation de services est effectuée. Les livraisons de biens, autres que celles visées à l’article 5 paragraphe 4 sous b), et les prestations de services qui donnent lieu à des décomptes ou des paiements successifs sont considérées comme effectuées au moment de l’expiration des périodes auxquelles ces décomptes ou paiements se rapportent». La même disposition prévoit, toutefois, que, «en cas de versements d’acomptes avant que la livraison de biens ou la prestation de services ne soit effectuée, la taxe devient exigible au moment de l’encaissement à concurrence du montant encaissé».

10. Il y a lieu de signaler, enfin, qu’en vertu de l’article 11, A, paragraphe 1, sous a), de la sixième directive, la base d’imposition est constituée pour les prestations de services «par tout ce qui constitue la contrepartie obtenue ou à obtenir par […] le prestataire pour ces opérations de la part […] du preneur ou d’un tiers».

II – Analyse

11. Deux thèses s’opposent, essentiellement, dans la présente affaire au regard de la qualification des sommes versées à l’avance par les clients de la société thermale et retenues par celle‑ci à la suite d’un dédit de leur part. Pour la société thermale, ces montants, versés à titre d’arrhes, ont une nature indemnitaire et, par suite, ne sont pas soumis à la TVA. Tous les gouvernements qui ont présenté des observations dans la présente affaire et la Commission des Communautés européennes s’opposent à cette thèse. En effet, pour la République française, l’Irlande, la République portugaise et la Commission, les sommes d’argent versées et retenues par la société thermale à la suite du désistement des clients entrent bien dans le champ d’application du système commun de la TVA. La société thermale est la seule à contester que ces montants constituent la contrepartie directe de prestations de services individualisées et effectivement fournies par la société thermale à ses clients.

12. Pour trancher ce problème de qualification, dans le cadre du système commun de la TVA, des arrhes payées et perdues par les clients à cause de leur dédit, il convient, tout d’abord, de rappeler...

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