CLT-UFA SA v Finanzamt Köln-West.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2005:227
Docket NumberC-253/03
Celex Number62003CC0253
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Date14 April 2005

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. PHILIPPE LÉGER

présentées le 14 avril 2005 (1)

Affaire C-253/03

CLT-UFA SA

contre

Finanzamt Köln-West

[demande de décision préjudicielle formée par le Bundesfinanzhof (Allemagne)]

«Liberté d'établissement – Législation fiscale – Impôts sur les bénéfices des sociétés – Imposition définitive des bénéfices d'une succursale de société non-résidente – Législation nationale excluant les établissements stables de sociétés non-résidentes de la possibilité de réduire le taux d'imposition de leurs bénéfices – Inadmissibilité»





1. La question de la compatibilité avec le droit communautaire de législations fiscales nationales qui soumettent à des régimes différents une société d’un État membre selon qu’elle a ouvert un établissement secondaire dans un autre État membre sous la forme d’une filiale, dotée d’une personnalité juridique propre, ou d’un établissement stable, comme une succursale, a déjà donné lieu à un certain nombre de procédures préjudicielles et continue de soulever des problèmes complexes.

2. Ces différences de régime, dans le domaine de la fiscalité directe des sociétés, portent principalement soit sur la compensation transfrontalière des pertes (2), soit sur l’octroi d’un avantage fiscal dans le cadre de l’imposition des bénéfices. Le présent litige se rattache à cette seconde catégorie de différences.

3. Il a pour origine le conflit qui oppose la société CLT-UFA SA (3) au Finanzamt Köln-West (Allemagne) (4) à propos de l’imposition des bénéfices de ladite société au titre de l’année 1994. CLT-UFA est une société anonyme dont le siège et la direction se trouvent au Luxembourg et qui a exercé ses activités en Allemagne pendant l’année 1994 par l’intermédiaire d’un établissement stable, sans personnalité juridique propre, sous la forme d’une succursale. Elle a été imposée par les autorités allemandes au titre des bénéfices obtenus par sa succursale en Allemagne et cette imposition a été fixée à 42 % de ces bénéfices, conformément au droit national en vigueur.

4. CLT-UFA conteste le taux de cette imposition au motif que, si elle avait exercé ses activités en Allemagne durant l’exercice litigieux par l’intermédiaire d’une filiale et si cette dernière lui avait transféré l’intégralité de ses bénéfices, il aurait été réduit à 33,5 ou à 30 %.

5. Le Bundesfinanzhof (Allemagne) demande si un tel régime est compatible avec les articles 52 (5) et 58 du traité CE (6) et, le cas échéant, si le taux d’imposition des bénéfices réalisés par la requérante en Allemagne doit être réduit à 30 %.

I – Le cadre juridique communautaire

6. Le domaine de la fiscalité directe, qui recouvre tous les prélèvements fiscaux qui sont perçus «directement» auprès des contribuables, tels que l’impôt sur le revenu des personnes physiques et l’impôt sur les bénéfices des sociétés (7), continue de relever de la compétence des États membres. Conformément à l’article 220 du traité CE (8), c’est à ces derniers qu’il incombe, «en tant que de besoin», d’engager les négociations nécessaires aux fins d’éviter la double imposition de leurs ressortissants à l’intérieur de la Communauté. Le traité CE ne confère donc pas de compétence au législateur communautaire en matière de fiscalité directe, si ce n’est à son article 100 (9), qui permet au Conseil, à l’unanimité, d’adopter des directives visant au rapprochement des droits nationaux dans les domaines qui ont une incidence directe sur l’établissement ou le fonctionnement du marché commun.

7. Ainsi, en ce qui concerne la fiscalité des entreprises, malgré les efforts importants déployés par la Commission des Communautés européennes aux fins d’obtenir un minimum d’harmonisation des régimes d’imposition nationaux (10), les États membres gardent la possibilité de fixer librement l’assiette et le taux d’imposition des bénéfices des sociétés.

8. Pour autant, cette compétence n’est pas sans limites. Il est, en effet, de jurisprudence constante que les États membres doivent exercer leurs compétences en matière de fiscalité directe dans le respect du droit communautaire (11). Il s’ensuit que les dispositions par lesquelles les États membres déterminent l’imposition des bénéfices obtenus par les sociétés et les modalités visant à éviter une double imposition de leurs bénéfices ne doivent pas enfreindre les libertés fondamentales, telles que la liberté d’établissement consacrée par les articles 52 et 58 du traité.

9. L’article 52 du traité, qui, selon une formule habituelle, «constitue une des dispositions fondamentales du droit communautaire» et qui est directement applicable dans les États membres (12), dispose que la liberté d’établissement des ressortissants d’un État membre sur le territoire d’un autre État membre comporte l’accès aux activités non salariées et leur exercice, ainsi que la constitution et la gestion d’entreprises dans les conditions définies par la législation du pays d’établissement pour ses propres ressortissants. Aux termes de ce même article, premier alinéa, seconde phrase, la suppression des restrictions à la liberté d’établissement s’étend aux restrictions à la création d’agences, de succursales ou de filiales par les ressortissants d’un État membre établis sur le territoire d’un autre État membre.

10. L’article 58 du traité, quant à lui, étend aux sociétés constituées en conformité avec la législation d’un État membre, dont le siège statutaire est situé à l’intérieur de la Communauté et qui poursuivent un but lucratif, les droits conférés par l’article 52 du traité aux personnes physiques. Selon la jurisprudence, le siège des sociétés, dans ce contexte, joue un rôle analogue à celui de la nationalité des personnes physiques en ce qu’il sert à déterminer leur rattachement à l’ordre juridique d’un État (13).

11. La liberté d’établissement garantie par le traité vise donc à permettre aux sociétés ayant leur siège dans un autre État membre d’exercer leurs activités dans l’État d’établissement selon les règles en vigueur dans celui-ci pour les sociétés nationales. Fondée sur les mêmes principes que les dispositions du traité relatives à la libre circulation des travailleurs (14), la liberté d’établissement prohibe, en principe, toute discrimination ostensible fondée sur la nationalité ou, en ce qui concerne les sociétés, sur la situation de leur siège dans un autre État membre (15). Elle prohibe aussi les discriminations indirectes ou dissimulées, c’est-à-dire les réglementations qui, par application d’autres critères de distinction que ceux de la nationalité ou du siège des sociétés, aboutissent, en fait, aux mêmes résultats (16).

12. La liberté d’établissement s’oppose également aux mesures en vigueur dans l’État d’accueil qui, bien qu’étant indistinctement applicables à toutes les entreprises nationales et étrangères, interdisent, gênent ou rendent moins attrayant l’exercice de cette liberté (17) ainsi qu’aux mesures par lesquelles l’État d’origine entrave l’établissement dans un autre État membre d’une société constituée en conformité avec sa législation (18).

13. En outre, l’article 52, premier alinéa, seconde phrase, du traité, lu en combinaison avec l’article 58 du traité, accorde aux sociétés le droit de choisir librement la forme juridique la plus adaptée à l’exercice de leurs activités dans un autre État membre entre une agence, une succursale ou une filiale (19).

14. Au terme de cette présentation, il convient encore de mentionner la directive 90/435/CEE du Conseil (20) qui, bien qu’elle ne couvre pas les transferts de bénéfices d’une succursale à sa société mère ayant son siège dans un autre État membre, a néanmoins une incidence sur la réponse à apporter aux questions posées par la juridiction de renvoi. Cette directive a instauré des règles communes visant, notamment, à éliminer la double imposition des revenus distribués par les filiales à leur société mère ayant leur siège dans un autre État membre. Elle prévoit, en substance, que, afin d’éviter que ces bénéfices ne subissent une seconde imposition lorsqu’ils sont distribués à la société mère, l’État de ladite société doit les exonérer ou bien, s’il les impose, permettre à la société mère d’imputer sur sa propre imposition la fraction de l’impôt acquitté par la filiale au titre des bénéfices distribués. Cette directive n’affecte pas l’application de dispositions nationales ou conventionnelles visant à supprimer ou à atténuer la double imposition économique des dividendes.

II – Le cadre juridique national

15. La réglementation fiscale allemande qui se trouvait applicable à l’époque de l’exercice litigieux est décrite par la juridiction de renvoi de la manière suivante.

16. En ce qui concerne, tout d’abord, l’imposition en Allemagne du bénéfice réalisé dans cet État membre par une succursale d’une société ayant son siège dans un autre État membre, le droit national prévoyait que les sociétés étrangères qui n’ont en Allemagne ni leur direction ni leur siège ne sont soumises à l’impôt sur les sociétés dans cet État que de manière limitée, c’est-à-dire uniquement sur leurs revenus générés dans ce même État (21). Parmi les revenus qui peuvent ainsi être imposés en Allemagne figure le bénéfice réalisé dans cet État par un établissement stable, tel qu’une succursale.

17. En outre, conformément à l’accord passé entre la République fédérale d’Allemagne et le Grand-Duché de Luxembourg, le bénéfice d’une société établie au Luxembourg ne peut être imposé en Allemagne que sur les revenus générés par un établissement stable de cette même société situé sur le territoire de cet État. Le bénéfice de cet établissement stable est calculé en imputant à celui-ci le bénéfice qu’il aurait réalisé s’il avait exercé des activités identiques ou similaires dans des conditions identiques ou similaires, comme une entreprise indépendante (22).

18. L’impôt sur les sociétés applicable au bénéfice d’un établissement stable est fixé à 42 % de ce bénéfice (23).

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