Roche Nederland BV and Others v Frederick Primus and Milton Goldenberg.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2005:749
Docket NumberC-539/03
Celex Number62003CC0539
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Date08 December 2005

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. Philippe LÉger

présentées le 8 décembre 2005 (1)

Affaire C-539/03

Roche Nederland BV,

Roche Diagnostic Systems Inc.,

NV Roche SA,

Hoffmann-La Roche AG,

Produits Roche SA,

Roche Products Ltd,

F. Hoffmann-La Roche AG,

Hoffmann-La Roche Wien GmbH,

Roche AB

contre

Frederick Primus,

Milton Goldenberg

[demande de décision préjudicielle formée par le Hoge Raad der Nederlanden (Pays-Bas)]

«Convention de Bruxelles – Article 6, point 1 – Conditions d’application – Pluralité de défendeurs – Compétence du tribunal du domicile de l’un des défendeurs – Action en contrefaçon d’un brevet européen intentée contre des sociétés établies dans différents États contractants – Lien de connexité entre les demandes»





1. Le titulaire d’un brevet européen est-il en droit, en vertu de l’article 6, point 1, de la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (2), d’intenter une action en contrefaçon à l’encontre de plusieurs sociétés, établies dans différents États contractants et appartenant au même groupe, devant un seul et unique tribunal, à savoir celui dans le ressort duquel est établie l’une desdites sociétés?

2. Telle est, en substance, la question posée par le Hoge Raad der Nederlanden (Pays-Bas), dans le cadre d’un litige opposant deux particuliers, domiciliés aux États-Unis et titulaires d’un brevet européen portant sur un procédé d’analyse médicale et sur l’équipement correspondant, à neuf sociétés du groupe pharmaceutique Roche qui sont établies aux Pays-Bas, dans d’autres pays européens, ainsi qu’aux États-Unis, à la suite de la commercialisation par ces dernières de certaines marchandises qui porteraient atteinte aux droits des titulaires dudit brevet.

3. La Cour a déjà été saisie, il y a quelques années, d’une question similaire par la Court of Appeal (England & Wales) (Civil Division) (Royaume-Uni) à la suite d’actions croisées (en cessation de contrefaçon, puis en non-contrefaçon et en nullité du brevet concerné) opposant, successivement devant les juridictions néerlandaises et britanniques, une société de droit américain, titulaire d’un brevet européen portant sur du matériel médical, à plusieurs sociétés établies aux Pays-Bas, au Royaume-Uni et aux États-Unis (3). Toutefois, la Cour ne s’est finalement pas prononcée sur ce point car cette affaire a été radiée à la suite d’un règlement amiable par les parties de leurs différends (4).

4. En revanche, la Cour demeure saisie d’une question préjudicielle émanant d’une juridiction allemande qui, bien que sensiblement différente, n’est pas sans lien avec la présente procédure (5). Si cette précédente question a trait à un brevet national, et non à un brevet européen, et ne concerne pas les conditions d’application de l’article 6, point 1, de la convention de Bruxelles, en l’absence d’une pluralité de défendeurs, mais uniquement la portée de la règle de compétence exclusive prévue à l’article 16, point 4, de cette convention en matière d’inscription ou de validité des brevets, elle est néanmoins susceptible de présenter un intérêt pour l’examen de la présente question préjudicielle. En effet, il arrive fréquemment que, dans le cadre d’un litige en matière de contrefaçon de brevet, la validité de ce dernier soit mise en cause (par le défendeur à une action en contrefaçon ou par le demandeur à une action dite «en non-contrefaçon»), de sorte qu’il peut être utile d’examiner l’articulation entre ledit article 16, point 4 et d’autres règles de compétences figurant dans la convention de Bruxelles, telles que celle prévue à l’article 6, point 1.

I – Le cadre juridique

A – La convention de Bruxelles

5. Adoptée en 1968, sur le fondement de l’article 220 du traité CEE (devenu article 220 du traité CE, lui-même devenu article 293 CE), la convention de Bruxelles a pour but, selon son préambule, de «renforcer dans la Communauté la protection juridique des personnes qui y sont établies».

6. Il s’agit d’une convention «double», en ce sens qu’elle comporte non seulement des règles de reconnaissance et d’exécution, mais aussi des règles de compétence directe applicables dans l’État contractant d’origine, c’est-à-dire dès le stade de la procédure d’adoption de la décision de justice susceptible de reconnaissance et d’exécution dans un autre État contractant.

7. S’agissant des règles de compétence directe, elles s’articulent autour du principe posé à l’article 2, premier alinéa, de la convention de Bruxelles, selon lequel, «[s]ous réserve des dispositions de la présente convention, les personnes domiciliées sur le territoire d’un État contractant sont attraites, quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de cet État». Ainsi, lorsqu’un défendeur est domicilié dans un État contractant, les juridictions de cet État sont en principe compétentes.

8. Conformément à cette logique, l’article 3, premier alinéa, de ladite convention ajoute que «[l]es personnes domiciliées sur le territoire d’un État contractant ne peuvent être attraites devant les tribunaux d’un autre État contractant qu’en vertu des règles énoncées aux sections 2 à 6 du […] titre [II]» (6). Ces règles sont de plusieurs types.

9. Certaines d’entre elles ont un caractère optionnel. Elles permettent au demandeur de choisir de porter son action devant un tribunal d’un État contractant autre que celui du domicile du défendeur.

10. C’est le cas, notamment, de la règle de compétence spéciale figurant à l’article 5, point 3, de la même convention qui prévoit que, en matière délictuelle ou quasi délictuelle, le défendeur peut être attrait devant le tribunal «du lieu où le fait dommageable s’est produit».

11. C’est également le cas, notamment, de la règle de compétence spéciale énoncée à l’article 6, point 1, de la convention de Bruxelles selon laquelle «[c]e même défendeur [qui est domicilié sur le territoire d’un État contractant et a donc vocation à être attrait, en principe, devant les juridictions de cet État, conformément à l’article 2] peut aussi être attrait, s’il y a plusieurs défendeurs, devant le tribunal du domicile de l’un d’eux».

12. D’autres règles de compétence posées par la convention de Bruxelles imposent la saisine des juridictions d’un État contractant, à l’exclusion de tout autre État contractant. Au nombre de ces règles de compétences, dites «exclusives», figure celle prévue à l’article 16, point 4, de cette convention. Aux termes dudit article, «[s]ont seuls compétents, sans considération de domicile, en matière d’inscription ou de validité des brevets, marques, dessins et modèles, et autres droits analogues donnant lieu à dépôt ou à un enregistrement, les juridictions de l’État contractant sur le territoire duquel le dépôt ou l’enregistrement a été demandé, a été effectué ou est réputé avoir été effectué aux termes d’une convention internationale».

13. À la suite de l’entrée en vigueur de la convention sur la délivrance de brevets européens, signée à Munich le 5 octobre 1973 (7), il a été ajouté à l’article 16, point 4, de la convention de Bruxelles un second alinéa, aux termes duquel, «[s]ans préjudice de la compétence de l’Office européen des brevets selon la convention [de Munich], les juridictions de chaque État contractant sont seules compétentes, sans considération de domicile, en matière d’inscription ou de validité d’un brevet européen délivré pour cet État […]» (8).

14. En raison du caractère impératif des règles de compétences exclusives figurant à l’article 16 de la convention de Bruxelles, l’article 19 de cette dernière exige que «[l]e juge d’un État contractant, saisi à titre principal d’un litige pour lequel une juridiction d’un autre État contractant est exclusivement compétente en vertu de l’article 16, se déclare d’office incompétent».

15. Dans le prolongement de l’ensemble des règles attributives de compétence posées par ladite convention, cette dernière prévoit certains mécanismes procéduraux afin de régir leur mise en œuvre. Ces mécanismes, en matière de litispendance et de connexité, sont destinés à prévenir les contrariétés de décisions entre des juridictions d’États contractants différents.

16. Ainsi, l’article 21 de la convention de Bruxelles, qui traite de la litispendance, prévoit que, lorsque des demandes ayant le même objet et la même cause sont formées entre les mêmes parties devant des juridictions d’États contractants différents, la juridiction saisie en second lieu est tenue de surseoir à statuer jusqu’à ce que la compétence du tribunal premier saisi soit établie, puis, s’il en est ainsi, se dessaisir en faveur de ce dernier.

17. Quant à la connexité, l’article 22, premier et deuxième alinéas, de ladite convention prévoit que, lorsque des demandes connexes sont formées devant des juridictions d’États contractants différents et sont pendantes au premier degré, la juridiction saisie en second lieu peut soit surseoir à statuer, soit se dessaisir à la demande de l’une des parties, à condition que sa loi permette la jonction d’affaires connexes et que le tribunal premier saisi soit compétent pour connaître des deux demandes. Le troisième alinéa dudit article précise que «[s]ont connexes, au sens du présent article, les demandes liées entre elles par un rapport si étroit qu’il y a intérêt à les instruire et à [les] juger en même temps afin d’éviter des solutions qui pourraient être inconciliables si les causes étaient jugées séparément».

18. Dans la logique de l’ensemble de ces règles attributives de compétences ou d’exercice desdites compétences, la convention de Bruxelles a institué, à son titre III, un mécanisme simplifié de reconnaissance et d’exécution des décisions de justice. Ce mécanisme, qui s’applique aux décisions rendues par les juridictions d’un État contractant dans le cadre de leur reconnaissance et de leur exécution dans un autre État contractant, se caractérise notamment par une...

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