Daniela Mühlleitner v Ahmad Yusufi and Wadat Yusufi.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2012:313
Date24 May 2012
Celex Number62011CC0190
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Docket NumberC‑190/11
62011CC0190

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. PEDRO CRUZ VILLALÓN

présentées le 24 mai 2012 ( 1 )

Affaire C‑190/11

Daniela Mühlleitner

contre

Ahmad Yusufi,

Wadat Yusufi,

[demande de décision préjudicielleformée par l’Oberster Gerichtshof (Autriche)]

«Compétence judiciaire en matière civile et commerciale — Compétence en matière de contrats conclus par les consommateurs — Règlement (CE) no 44/2001 — Article 15, paragraphe 1, sous c) — Interprétation de l’arrêt Pammer et Hotel Alpenhof — Activité dirigée vers un État membre au moyen d’Internet — Limitation du for aux contrats de consommation à distance»

I – Introduction

1.

Par l’intermédiaire de sa question préjudicielle, l’Oberster Gerichtshof (Autriche) demande à la Cour si les contrats de consommation, lorsqu’ils sont précédés d’actes préparatoires sur Internet, doivent nécessairement avoir été conclus à distance pour que le consommateur puisse bénéficier du for spécial prévu aux articles 15 et 16 du règlement (CE) no 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale ( 2 ).

2.

Ainsi formulée, cette question trouverait facilement une réponse dans le libellé de l’article 15, paragraphe 1, sous c), du règlement no 44/2001, lu avec suffisamment d’attention et conjointement avec ses antécédents législatifs. Néanmoins, un point de l’arrêt Pammer et Hotel Alpenhof ( 3 ), rendu récemment par la Cour (en formation de grande chambre), pourrait être interprété en ce sens qu’il érige en condition le fait que le contrat de consommation ait été conclu à distance. Telle est, en tout état de cause, la question posée par la juridiction de renvoi.

3.

La présente affaire et ces conclusions ont donc pour seul objet de préciser la portée du passage susmentionné de l’arrêt Pammer et Hotel Alpenhof, précité, lequel devrait, selon moi, être limité aux caractéristiques spécifiques de cette affaire, sans qu’il soit nécessaire d’en déduire une condition supplémentaire, générale et restrictive du for spécial en matière de droit de la consommation.

II – Le cadre juridique

4.

Les articles 15 et 16 du règlement no 44/2001, qui figurent sous la section 4, intitulée «Compétence en matière de contrats conclus par les consommateurs», du chapitre II de ce règlement, intitulé «Compétence», disposent:

«Article 15

1. En matière de contrat conclu par une personne, le consommateur, pour un usage pouvant être considéré comme étranger à son activité professionnelle, la compétence est déterminée par la présente section, sans préjudice des dispositions de l’article 4 et de l’article 5, point 5:

[…]

c)

lorsque, dans tous les autres cas, le contrat a été conclu avec une personne qui exerce des activités commerciales ou professionnelles dans l’État membre sur le territoire duquel le consommateur a son domicile ou qui, par tout moyen, dirige ces activités vers cet État membre ou vers plusieurs États, dont cet État membre, et que le contrat entre dans le cadre de ces activités.

[...]

Article 16

1. L’action intentée par un consommateur contre l’autre partie au contrat peut être portée soit devant les tribunaux de l’État membre sur le territoire duquel est domiciliée cette partie, soit devant le tribunal du lieu où le consommateur est domicilié.

2. L’action intentée contre le consommateur par l’autre partie au contrat ne peut être portée que devant les tribunaux de l’État membre sur le territoire duquel est domicilié le consommateur.

[…]»

III – Les faits et les procédures devant les juridictions nationales

5.

Mme Mühlleitner, requérante dans la procédure au principal et domiciliée à Schwanenstadt (Autriche), a recherché sur Internet une voiture d’occasion pour ses besoins privés. Sur une plate-forme de recherche allemande (www.mobil.de), elle a introduit les caractéristiques du véhicule souhaité, jusqu’à ce qu’elle trouve un lien présentant une offre retenant son intérêt. En cliquant sur ce lien, la requérante est parvenue sur le site Internet de MM. A. Yusufi et W. Yusufi, défendeurs dans la procédure au principal et domiciliés à Hambourg (Allemagne).

6.

Sur la page Internet des défendeurs apparaissait un numéro de téléphone précédé du préfixe international allemand. Mme Mühlleitner a composé ce numéro et sa demande a été traitée par le personnel de la société des défendeurs. Il lui a été indiqué que le véhicule proposé n’était plus disponible, mais qu’il existait d’autres offres similaires. Mme Mühlleitner a accepté de recevoir par courrier électronique des informations supplémentaires, dont des photographies, concernant un autre véhicule. Il est établi que, au cours de la conversation téléphonique, Mme Mühlleitner a informé les défendeurs du fait qu’elle était domiciliée en Autriche et qu’elle a demandé si cette circonstance pouvait poser un problème en ce qui concerne l’achat du véhicule. Les défendeurs lui ont répondu que cela ne présentait aucune difficulté.

7.

Par la suite, la requérante s’est rendue chez les défendeurs en Allemagne et elle y a conclu le contrat de vente. Elle a pris possession du véhicule et est rentrée chez elle en Autriche, où, après avoir constaté plusieurs défauts et après plusieurs contacts infructueux avec les défendeurs, elle a saisi les juridictions autrichiennes afin de réclamer le remboursement du prix de vente ainsi qu’une indemnisation.

8.

La juridiction de première instance a rejeté le recours au motif qu’elle n’était pas compétente internationalement, compte tenu de ce que la simple accessibilité de la page Internet des défendeurs depuis l’Autriche ne justifiait pas l’application du for spécial prévu aux articles 15 et 16 du règlement no 44/2001. Cette décision ayant fait l’objet d’un appel, la juridiction de deuxième instance en a confirmé les conclusions et a de nouveau rejeté la compétence des juridictions autrichiennes. Cette dernière décision a fait l’objet d’un recours en «Revision» devant l’Oberster Gerichtshof, lequel a adressé à la Cour la présente question préjudicielle.

IV – La procédure devant la Cour

9.

Le 22 avril 2011, le greffe de la Cour a enregistré la question préjudicielle adressée à la Cour par l’Oberster Gerichtshof dans les termes suivants:

«L’application de l’article 15, paragraphe 1, sous c), du règlement [no 44/2001] (le règlement Bruxelles I) suppose-t-elle que le contrat entre le consommateur et le professionnel ait été conclu à distance?»

10.

Des observations écrites ont été présentées dans cette affaire par la requérante, les défendeurs dans la procédure au principal, la République tchèque, la République italienne, la République de Pologne, la République portugaise et la Confédération suisse, ainsi que par la Commission européenne.

V – La question préjudicielle

11.

La réponse à la question préjudicielle formulée par la juridiction de renvoi découle clairement du règlement no 44/2001 et de la jurisprudence de la Cour. Ainsi que je l’ai précédemment avancé dans l’introduction des présentes conclusions, le seul élément perturbant cette solution est un passage de l’arrêt Pammer et Hotel Alpenhof, précité, à savoir le point 87, en vertu duquel il y a lieu de comprendre que l’application de l’article 15, paragraphe 1, sous c), dudit règlement dépend de ce que le contrat de consommation ait été conclu à distance ( 4 ). Partant, nous n’avons pas à nous prononcer sur le critère de rattachement prévu dans cet article, qui est centré sur la direction dans laquelle l’activité est projetée. La présente affaire se limite à la question préalable, à savoir la nécessaire existence d’un contrat conclu à distance afin de pouvoir invoquer une compétence spéciale en matière de droit de la consommation.

12.

Je démontrerai ci-après que cette condition n’est pas nécessaire, que ce soit au regard d’une lecture de la réglementation applicable ou de l’arrêt Pammer et Hotel Alpenhof, précité, lui-même. Si ledit article exigeait que le contrat de consommation soit conclu à distance, la portée du for serait limitée à un nombre réduit de situations, ce qui ne semble pas être dans les objectifs du règlement no 44/2001. De même, tous les États qui ont participé à la présente procédure ainsi que la Commission nient que l’article 15, paragraphe 1, sous c), du règlement no 44/2001 soit limité aux contrats de consommation conclus à distance et estiment que la disposition susmentionnée ne doit pas être interprétée au détriment du consommateur.

13.

Je partage l’avis des États et de la Commission. Afin de justifier cette position, j’analyserai dans un premier temps les antécédents législatifs de l’article 15, paragraphe 1, sous c), du règlement no 44/2001 avant d’étudier cet article au regard de la jurisprudence de la Cour, y compris au regard de l’arrêt Pammer et Hotel Alpenhof, précité. J’examinerai notamment en détail le point 87 de cet arrêt, dont la rédaction est à l’origine de la présente question préjudicielle.

A – Les antécédents de l’article 15, paragraphe 1, sous c), du règlement no 44/2001

14.

La convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 1972, L 299, p. 32, ci-après la «convention de Bruxelles»), remplacée aujourd’hui par le règlement no 44/2001, prévoyait un for spécial en matière de contrats de consommation, et la rédaction de l’article relatif à ce for était substantiellement différente de celle de l’actuel article 15 du règlement no 44/2001. Selon l’article 13, paragraphe 3, de la convention de Bruxelles, le for spécial s’appliquait si le contrat de consommation avait pour objet une fourniture de...

To continue reading

Request your trial

VLEX uses login cookies to provide you with a better browsing experience. If you click on 'Accept' or continue browsing this site we consider that you accept our cookie policy. ACCEPT