Procureur général près la cour d'appel d'Angers contre KL.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2022:558
Date14 July 2022
Docket NumberC-168/21
Celex Number62021CJ0168
CourtCourt of Justice (European Union)

ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)

14 juillet 2022 (*)

« Renvoi préjudiciel – Coopération judiciaire en matière pénale – Décision-cadre 2002/584/JAI – Article 2, paragraphe 4 – Condition de la double incrimination du fait – Article 4, point 1 – Motif de non‑exécution facultative du mandat d’arrêt européen – Contrôle par l’autorité judiciaire d’exécution – Faits en partie constitutifs d’une infraction au regard du droit de l’État membre d’exécution – Article 49, paragraphe 3, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Principe de proportionnalité des délits et des peines »

Dans l’affaire C‑168/21,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la Cour de cassation (France), par décision du 26 janvier 2021, parvenue à la Cour le 16 mars 2021, dans la procédure relative à l’exécution d’un mandat d’arrêt européen émis contre

KL

en présence de :

Procureur général près la cour d’appel d’Angers,

LA COUR (troisième chambre),

composée de Mme K. Jürimäe (rapporteure), présidente de chambre, MM. N. Jääskinen, M. Safjan, N. Piçarra et M. Gavalec, juges,

avocat général : M. A. Rantos,

greffier : Mme M. Ferreira, administratrice principale,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 20 janvier 2022,

considérant les observations présentées :

– pour KL, par Me A. Barletta, avvocato, Mes C. Glon et P. Mathonnet, avocats,

– pour le gouvernement français, par Mmes A. Daniel et A. L. Desjonquères, en qualité d’agents,

– pour le gouvernement italien, par Mme G. Palmieri, en qualité d’agent, assistée de Mme W. Ferrante, avvocato dello Stato,

– pour la Commission européenne, par Mmes A. Azéma et S. Grünheid, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 31 mars 2022,

rend le présent

Arrêt

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 2, paragraphe 4, et de l’article 4, point 1, de la décision‑cadre 2002/584/JAI du Conseil, du 13 juin 2002, relative au mandat d’arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres (JO 2002, L 190, p. 1), telle que modifiée par la décision‑cadre 2009/299/JAI du Conseil, du 26 février 2009 (JO 2009, L 81, p. 24) (ci-après la « décision-cadre 2002/584 »), ainsi que de l’article 49, paragraphe 3, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre de l’exécution, en France, d’un mandat d’arrêt européen émis par les autorités judiciaires italiennes contre KL aux fins de l’exécution d’une peine de douze ans et six mois d’emprisonnement pour des faits qualifiés de vol avec arme en réunion, de dévastation et pillage, de port d’armes et d’explosion d’engins commis à Gênes (Italie) en 2001.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3 Les considérants 6 et 12 de la décision-cadre 2002/584 sont libellés comme suit :

« (6) Le mandat d’arrêt européen prévu par la présente décision-cadre constitue la première concrétisation, dans le domaine du droit pénal, du principe de reconnaissance mutuelle que le Conseil européen a qualifié de “pierre angulaire” de la coopération judiciaire.

[...]

(12) La présente décision-cadre respecte les droits fondamentaux et observe les principes reconnus par l’article 6 [TUE] et reflétés dans la [Charte] [...], notamment son chapitre VI. [...] »

4 L’article 1er de cette décision-cadre, intitulé « Définition du mandat d’arrêt européen et obligation de l’exécuter », dispose :

« 1. Le mandat d’arrêt européen est une décision judiciaire émise par un État membre en vue de l’arrestation et de la remise par un autre État membre d’une personne recherchée pour l’exercice de poursuites pénales ou pour l’exécution d’une peine ou d’une mesure de sûreté privatives de liberté.

2. Les États membres exécutent tout mandat d’arrêt européen sur la base du principe de reconnaissance mutuelle et conformément aux dispositions de la présente décision-cadre.

3. La présente décision-cadre ne saurait avoir pour effet de modifier l’obligation de respecter les droits fondamentaux et les principes juridiques fondamentaux tels qu’ils sont consacrés par l’article 6 [TUE]. »

5 L’article 2 de ladite décision-cadre, intitulé « Champ d’application du mandat d’arrêt européen », prévoit, à ses paragraphes 1, 2 et 4 :

« 1. Un mandat d’arrêt européen peut être émis pour des faits punis par la loi de l’État membre d’émission d’une peine ou d’une mesure de sûreté privatives de liberté d’un maximum d’au moins douze mois ou, lorsqu’une condamnation à une peine est intervenue ou qu’une mesure de sûreté a été infligée, pour des condamnations prononcées d’une durée d’au moins quatre mois.

2. Les infractions suivantes, si elles sont punies dans l’État membre d’émission d’une peine ou d’une mesure de sûreté privatives de liberté d’un maximum d’au moins trois ans telles qu’elles sont définies par le droit de l’État membre d’émission, donnent lieu à remise sur la base d’un mandat d’arrêt européen, aux conditions de la présente décision‑cadre et sans contrôle de la double incrimination du fait :

[...]

4. Pour les infractions autres que celles visées au paragraphe 2, la remise peut être subordonnée à la condition que les faits pour lesquels le mandat d’arrêt européen a été émis constituent une infraction au regard du droit de l’État membre d’exécution, quels que soient les éléments constitutifs ou la qualification de celle-ci. »

6 Les articles 3, 4 et 4 bis de la même décision-cadre énumèrent les motifs de non-exécution obligatoire et facultative du mandat d’arrêt européen. En particulier, l’article 4 de la décision-cadre 2002/584, intitulé « Motifs de non-exécution facultative du mandat d’arrêt européen », dispose, à son point 1 :

« L’autorité judiciaire d’exécution peut refuser d’exécuter le mandat d’arrêt européen :

1) si, dans l’un des cas visés à l’article 2, paragraphe 4, le fait qui est à la base du mandat d’arrêt européen ne constitue pas une infraction au regard du droit de l’État membre d’exécution ; [...] »

7 L’article 5 de la décision-cadre 2002/584 prévoit les garanties à fournir par l’État membre d’émission dans des cas particuliers.

Le droit français

8 L’article 695-23 du code de procédure pénale prévoit :

« L’exécution d’un mandat d’arrêt européen est également refusée si le fait faisant l’objet dudit mandat d’arrêt ne constitue pas une infraction au regard de la loi française.

Par dérogation au premier alinéa, un mandat d’arrêt européen est exécuté sans contrôle de la double incrimination des faits reprochés lorsque les agissements considérés sont, aux termes de la loi de l’État membre d’émission, punis d’une peine privative de liberté d’une durée égale ou supérieure à trois ans d’emprisonnement ou d’une mesure de sûreté privative de liberté d’une durée similaire et entrent dans l’une des catégories d’infractions prévues par l’article 694-32.

Lorsque les dispositions de l’alinéa précédent sont applicables, la qualification juridique des faits et la détermination de la peine encourue relèvent de l’appréciation exclusive de l’autorité judiciaire de l’État membre d’émission. [...] »

Le droit italien

9 L’article 419 du codice penale (code pénal), dans sa version applicable aux faits du litige au principal, dispose :

« Quiconque commet, en dehors des cas prévus à l’article 285, des actes de dévastation ou de pillage est puni d’une peine d’emprisonnement de huit à quinze ans. Cette peine est aggravée si l’infraction est commise sur des armes, des munitions ou des denrées alimentaires dans un lieu de vente ou de stockage. »

Le litige au principal et les questions préjudicielles

10 Le 6 juin 2016, les autorités judiciaires italiennes ont émis contre KL un mandat d’arrêt européen aux fins de l’exécution d’une peine de douze ans et six mois d’emprisonnement, prononcée par l’arrêt de la Corte d’appello di Genova (cour d’appel de Gênes, Italie) du 9 octobre 2009 et devenue exécutoire, le 13 juillet 2012, à la suite du rejet du pourvoi de l’intéressé par la Corte suprema di cassazione (Cour de cassation, Italie), prononcé à la même date.

11 Cette peine correspond au cumul de quatre peines infligées pour quatre infractions, à savoir la première, le vol avec arme en réunion, punie d’une peine d’un an d’emprisonnement, la deuxième, la dévastation et le pillage, punie d’une peine de dix ans d’emprisonnement, la troisième, le port d’armes, punie d’une peine de neuf mois d’emprisonnement et la quatrième, l’explosion d’engins, punie d’une peine de neuf mois d’emprisonnement.

12 S’agissant spécifiquement de l’infraction qualifiée de « dévastation et pillage », le mandat d’arrêt européen décrit les circonstances de commission de cette infraction de la manière suivante :

« [E]n réunion avec d’autres, étant plus de cinq personnes, en prenant partie à la manifestation contre le sommet G 8, [KL] a commis [des] actions de dévastation et de pillage dans un contexte, d’un point de vue du lieu et du temps, dans lequel il y a eu un danger objectif pour l’ordre public ; plusieurs cas d’endommagement de l’ameublement urbain et de propriétés publiques avec dommage conséquent qui n’a pu être quantifié avec précision, mais pas inférieur à des centaines de millions de lires ; endommagement, pillage, destruction à l’aide d’incendie aussi d’[une] institution de crédit, de voitures et d’autres commerces, avec la circonstance aggravante d’avoir causé un préjudice patrimonial de gravité considérable aux personnes impliquées ».

13 Selon les indications fournies à la Cour, il résulte de l’arrêt de la Corte d’appello di Genova (cour d’appel de Gênes) du 9 octobre 2009 que, sous la qualification de « dévastation et pillage », prévue à l’article 419 du code pénal, sept actes, réprimés comme formant une seule et même infraction, ont été imputés à KL, à savoir l’endommagement d’aménagements urbains et de propriétés publiques, l’endommagement et le pillage d’un chantier de construction...

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