Arrêts nº T-836/16 of Tribunal General de la Unión Europea, May 16, 2019

Resolution DateMay 16, 2019
Issuing OrganizationTribunal General de la Unión Europea
Decision NumberT-836/16

Aides d’État - Impôt polonais dans le secteur de la vente au détail - Impôt progressif sur le chiffre d’affaires - Décision d’ouvrir la procédure formelle d’examen - Décision finale qualifiant la mesure d’aide d’État incompatible avec le marché intérieur - Notion d’aide d’État - Condition relative à la sélectivité

Dans les affaires jointes T-836/16 et T-624/17,

République de Pologne, représentée par MM. B. Majczyna, M. Rzotkiewicz et Mme A. Kramarczyk-Szaładzińska, en qualité d’agents,

partie requérante,

soutenue par

Hongrie, représentée, dans l’affaire T-836/16, par MM. M. Fehér, G. Koós et Mme E. Tóth et, dans l’affaire T-624/17, par MM. Fehér et Koós, en qualité d’agents,

partie intervenante,

contre

Commission européenne, représentée par Mme K. Herrmann et M. P.-J. Loewenthal, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet des demandes fondées sur l’article 263 TFUE et tendant à l’annulation, d’une part, de la décision C(2016) 5596 final de la Commission, du 19 septembre 2016, relative à l’aide d’État SA.44351 (2016/C) (ex 2016/NN) - Pologne - Impôt polonais dans le secteur de la vente au détail, ouvrant la procédure formelle d’examen prévue à l’article 108, paragraphe 2, TFUE à l’égard de cette mesure, et, d’autre part, de la décision (UE) 2018/160 de la Commission, du 30 juin 2017, relative à l’aide d’État SA.44351 (2016/C) (ex 2016/NN) mise à exécution par la Pologne relative à l’impôt sur le commerce de détail (JO 2018, L 29, p. 38), clôturant la procédure et selon laquelle ladite mesure constitue une aide d’État incompatible avec le marché intérieur et a été mise à exécution de manière illégale,

LE TRIBUNAL (neuvième chambre élargie),

composé de MM. S. Gervasoni, président, L. Madise (rapporteur), R. da Silva Passos, Mme K. Kowalik-Bańczyk et M. C. Mac Eochaidh, juges,

greffier : M. F. Oller, administrateur,

vu la phase écrite de la procédure et à la suite de l’audience du 26 septembre 2018,

rend le présent

Arrêt

Antécédents du litige

1 Au début de l’année 2016, le gouvernement polonais a envisagé un nouvel impôt dans le secteur de la vente au détail de marchandises. Si un certain nombre de modalités de cet impôt devaient être soumises à diverses consultations, le principe retenu était celui d’un impôt dont l’assiette serait le chiffre d’affaires et qui aurait un caractère progressif.

2 Informée de ce projet, la Commission européenne a envoyé aux autorités polonaises des demandes de renseignements et, en se référant à la position qu’elle avait prise en juillet 2015 au sujet d’une modification de la redevance d’inspection de la chaîne alimentaire appliquée en Hongrie, qui retenait également le principe d’une imposition progressive sur le chiffre d’affaires, elle a indiqué :

Les taux de l’impôt progressif sur le chiffre d’affaires payé par les entreprises sont, de fait, liés à la taille de l’entreprise et non à sa rentabilité ou à sa solvabilité. Ils entraînent une discrimination entre entreprises et sont susceptibles de provoquer de graves perturbations du marché. En ce qu’ils instaurent une inégalité de traitement entre entreprises, ils ont été considérés comme sélectifs. Toutes les conditions visées à l’article 107, paragraphe 1, TFUE étant remplies, [ils engendrent des aides d’État au sens de cet article].

3 Le 6 juillet 2016, la Sejm Rzeczypospolitej Polskiej (Diète de la République de Pologne) a adopté la loi sur l’impôt dans le secteur du commerce de détail, dont les caractéristiques essentielles ont été en définitive les suivantes. Le secteur concerné est celui de la vente au détail de marchandises au consommateur personne physique. Les redevables sont tous les détaillants quel que soit leur statut juridique. L’assiette est constituée par le chiffre d’affaires mensuel réalisé au-delà de 17 millions de zlotys polonais (PLN), soit environ 4 millions d’euros. Les taux d’imposition sont de 0,8 % pour la tranche de chiffre d’affaires mensuel comprise entre 17 et 170 millions de PLN et de 1,4 % pour la tranche de chiffre d’affaires mensuel réalisée au-delà. La loi en question est entrée en vigueur le 1er septembre 2016.

4 Après quelques échanges entre les autorités polonaises et la Commission, celle-ci a ouvert la procédure prévue à l’article 108, paragraphe 2, TFUE à l’égard de la mesure en cause par décision du 19 septembre 2016, relative à l’aide d’État SA.44351 (2016/C) (ex 2016/NN) (ci-après la « décision d’ouvrir la procédure, première décision attaquée »). Par cette décision, la Commission a non seulement mis les intéressés en demeure de présenter leurs observations, mais a aussi enjoint, sur le fondement de l’article 13, paragraphe 1, du règlement (UE) 2015/1589 du Conseil, du 13 juillet 2015, portant modalités d’application de l’article 108 [TFUE] (JO 2015, L 248, p. 9), aux autorités polonaises de suspendre sans délai l’« application du taux progressif de l’impôt jusqu’à ce que la Commission ait adopté une décision sur sa compatibilité avec le marché intérieur ».

5 Tout au long de la procédure, les autorités polonaises, qui ont effectivement suspendu l’application de la mesure en cause, ont contesté sa qualification d’aide d’État, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE.

6 Le gouvernement polonais a d’ailleurs, parallèlement à la poursuite des discussions avec la Commission, demandé au Tribunal l’annulation de la décision d’ouvrir la procédure, première décision attaquée (affaire T-836/16).

7 La Commission a clos la procédure par la décision (UE) 2018/160, du 30 juin 2017, relative à l’aide d’État SA.44351 (2016/C) (ex 2016/NN) mise à exécution par la Pologne relative à l’impôt sur le commerce de détail (JO 2018, L 29, p. 38) (ci-après la « décision finale, seconde décision attaquée »). La Commission y a indiqué que la mesure en cause constituait une aide d’État incompatible avec le marché intérieur et qu’elle avait été mise à exécution de manière illégale. Les autorités polonaises devaient définitivement annuler tous les paiements suspendus en vertu de la décision d’ouvrir la procédure, première décision attaquée. La mesure en cause n’ayant concrètement pas été mise en œuvre, la Commission a estimé qu’il n’y avait pas lieu de procéder à la récupération d’éléments d’aide auprès de bénéficiaires.

8 Le gouvernement polonais a également demandé au Tribunal l’annulation de la décision finale, seconde décision attaquée (affaire T-624/17).

9 En substance, dans la décision d’ouvrir la procédure, première décision attaquée, et dans la décision finale, seconde décision attaquée (ci-après, prises ensemble, les « décisions attaquées »), mais avec une argumentation complétée sur certains aspects dans la décision finale, seconde décision attaquée, la Commission a pour l’essentiel justifié la qualification d’aide d’État de la mesure en cause de la façon suivante, au regard de la définition figurant à l’article 107, paragraphe 1, TFUE.

10 Tout d’abord, quant à l’imputabilité de la mesure en cause à l’État et à son financement par des ressources d’État, la Commission a estimé que certaines des entreprises concernées, à savoir celles réalisant un faible chiffre d’affaires, bénéficiaient, du fait de la loi sur l’impôt dans le secteur du commerce de détail, d’un traitement fiscal avantageux par rapport à d’autres entreprises redevables de cet impôt et que la renonciation de l’État aux ressources fiscales qu’il aurait perçues si toutes les entreprises avaient été imposées au même taux effectif moyen entraînait un transfert de ressources d’État aux entreprises avantagées.

11 Quant à l’existence d’un avantage, la Commission a rappelé que des mesures qui allègent les charges normalement supportées par les entreprises apportent, tout comme les prestations positives, un avantage. En l’occurrence, les taux d’imposition moyens nuls ou moins élevés des entreprises réalisant un faible chiffre d’affaires par rapport aux taux d’imposition moyens plus élevés des entreprises réalisant un chiffre d’affaires plus important auraient apporté un avantage aux premières. Dans la décision finale, seconde décision attaquée, la Commission a ajouté que les structures de distribution organisées sur le principe de magasins franchisés étaient avantagées par rapport aux structures de distribution intégrées, car le chiffre d’affaires était divisé en autant de parts que de franchisés pour les premières alors qu’il était globalisé dans le cas des secondes.

12 Quant au fait que l’avantage identifié favorise certaines entreprises (critère de sélectivité), la Commission a exposé que, s’agissant d’un avantage fiscal, l’analyse devait s’effectuer en plusieurs étapes. D’abord, il aurait fallu identifier le système fiscal de référence, ensuite voir si la mesure en cause constituait une dérogation à ce système, en ce sens qu’elle introduisait des différenciations entre entreprises qui, au regard des objectifs intrinsèques du système, se trouvaient dans une situation factuelle et juridique comparable et, enfin, en cas de réponse positive, déterminer si cette dérogation était justifiée par la nature ou l’économie générale du système fiscal de référence. Une réponse négative à la deuxième étape ou, le cas échéant, une réponse positive à la troisième auraient permis d’écarter l’existence d’un avantage sélectif au profit de certaines entreprises, tandis qu’une réponse positive à la deuxième étape et une réponse négative à la troisième auraient permis au contraire de conclure à son existence.

13 En l’occurrence, la Commission a, d’abord, estimé que le système de référence était l’impôt sur le chiffre d’affaires dans le secteur du commerce de détail, y compris pour ce qui concerne les entreprises réalisant un chiffre d’affaires inférieur à 17 millions de PLN, mais sans qu’en fasse partie la structure progressive de l’imposition (les taux de 0 % - correspondant à la tranche de chiffre d’affaires non imposable - de 0,8 % et de 1,4 % et les tranches de chiffre d’affaires associées).

14 Dans cette mesure, la...

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