Opinion of Advocate General Bobek delivered on 5 September 2018.

JurisdictionEuropean Union
CourtCourt of Justice (European Union)
Date05 September 2018
62017CC0422

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MICHAL BOBEK

présentées le 5 septembre 2018 ( 1 )

Affaire C‑422/17

Szef Krajowej Administracji Skarbowej

contre

Skarpa Travel sp. z o.o. w Krakowie

[demande de décision préjudicielle formée par le Naczelny Sąd Administracyjny (Cour suprême administrative, Pologne)]

« Renvoi préjudiciel – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) – Acomptes – Fait générateur de la taxe – Régime particulier des agences de voyages – Détermination de la marge – Coût effectif supporté par l’agence de voyages »

I. Introduction

1.

Skarpa Travel sp. z o.o. w Krakowie (ci-après « Skarpa ») est une agence de voyages. Elle perçoit auprès de ses clients des acomptes qui peuvent s’élever jusqu’à 100 % du prix à payer. Conformément aux dispositions générales du droit de l’Union en matière de taxe sur la valeur ajoutée (TVA), lorsque des acomptes sont versés avant que les services ne soient effectivement fournis, la TVA devient exigible au moment de leur encaissement, à concurrence du montant encaissé.

2.

Dans le même temps, les services fournis par Skarpa sont soumis aux règles du régime particulier des agences de voyages. Conformément à ce régime, Skarpa applique la TVA sur sa marge. Toutefois, au moment où elle perçoit les acomptes, Skarpa ignore encore quelle sera sa marge définitive : il se peut que les montants exacts qu’elle doit verser à ses fournisseurs ne soient pas encore fixés ou qu’ils soient modifiés.

3.

Skarpa et l’administration fiscale nationale sont en désaccord sur le moment où la TVA sur les services de voyages devient exigible. Skarpa estime que la taxe est exigible au moment où la marge définitive est connue. Le Minister Finansów (ministre des Finances, Pologne) considère que la taxe est déjà exigible au moment où l’acompte est versé.

4.

C’est dans ce contexte que le Naczelny Sąd Administracyjny (Cour suprême administrative, Pologne) demande, en substance, si la règle générale relative à l’exigibilité de la taxe sur les acomptes s’applique aux services qui relèvent du régime particulier de la marge des agences de voyages. En cas de réponse positive, la juridiction de renvoi souhaite savoir sur quel montant il convient d’appliquer la TVA puisque la marge définitive ne peut être déterminée qu’après le paiement des acomptes.

II. Le cadre juridique

A. Le droit de l’Union

5.

L’article 63 de la directive 2006/112/CE ( 2 ) (ci-après la « directive TVA ») prévoit que « [l]e fait générateur de la taxe intervient et la taxe devient exigible au moment où la livraison de biens ou la prestation de services est effectuée ».

6.

L’article 65 de la même directive précise qu’« [e]n cas de versements d’acomptes avant que la livraison de biens ou la prestation de services ne soit effectuée, la taxe devient exigible au moment de l’encaissement, à concurrence du montant encaissé ».

7.

En outre, par dérogation aux articles 63, 64 et 65, l’article 66 de la directive TVA permet aux États membres de prévoir que la taxe devient exigible pour certaines opérations ou certaines catégories d’assujettis à un des trois moments qu’il définit.

8.

Les articles 306 à 310 de la directive TVA énoncent les règles relatives au régime particulier des agences de voyages. Les articles 306 à 308 disposent :

« Article 306

1. Les États membres appliquent un régime particulier de la TVA aux opérations des agences de voyages conformément au présent chapitre, dans la mesure où ces agences agissent en leur propre nom à l’égard du voyageur et lorsqu’elles utilisent, pour la réalisation du voyage, des livraisons de biens et des prestations de services d’autres assujettis.

Le présent régime particulier n’est pas applicable aux agences de voyages qui agissent uniquement en qualité d’intermédiaire et auxquelles s’applique, pour calculer la base d’imposition, l’article 79, premier alinéa, point c).

2. Aux fins du présent chapitre, les organisateurs de circuits touristiques sont considérés comme agences de voyages.

Article 307

Les opérations effectuées, dans les conditions prévues à l’article 306, par l’agence de voyages pour la réalisation du voyage sont considérées comme une prestation de services unique de l’agence de voyages au voyageur.

La prestation unique est imposée dans l’État membre dans lequel l’agence de voyages a établi le siège de son activité économique ou un établissement stable à partir duquel elle a fourni la prestation de services.

Article 308

Pour la prestation de services unique fournie par l’agence de voyages, est considérée comme base d’imposition et comme prix hors TVA, au sens de l’article 226, point 8, la marge de l’agence de voyages, c’est‑à‑dire la différence entre le montant total, hors TVA, à payer par le voyageur et le coût effectif supporté par l’agence de voyages pour les livraisons de biens et les prestations de services d’autres assujettis, dans la mesure où ces opérations profitent directement au voyageur. »

B. Le droit polonais

9.

L’Ustawa z dnia 11 marca 2004 r. o podatku od towarów i usług (loi du 11 mars 2004 relative à la taxe sur les biens et les services) [Dziennik Ustaw (recueil des lois) 2011, no 177, position 1054], telle que modifiée (ci-après la « loi sur la TVA ») prévoit :

« Article 19a, paragraphe 8

Si, avant d’effectuer une livraison de biens ou une prestation de services, l’ensemble ou une partie du paiement est encaissé (notamment : une avance, un acompte, des arrhes, une mensualité, un apport aux frais de construction ou au logement collectif avant l’établissement d’un droit coopératif sur un local d’habitation ou un local ayant une autre destination), la taxe devient exigible au moment de son encaissement à concurrence du montant encaissé, sous réserve du paragraphe 5, point 4.

[…]

Article 119

1. La base d’imposition d’une prestation de services touristiques est la marge diminuée de la taxe due, sous réserve du paragraphe 5.

2. Par marge au sens du paragraphe 1, on entend la différence entre le montant que doit payer le destinataire du service et le coût effectif supporté par l’assujetti au titre de l’acquisition de produits et services d’autres assujettis pour le bénéfice direct du voyageur ; par services bénéficiant directement au voyageur on entend des services qui constituent le service touristique fourni, et notamment le transport, l’hébergement, les repas, l’assurance. »

10.

Selon la décision de renvoi, la République de Pologne avait recouru à la possibilité offerte par l’article 66 de la directive TVA et appliquait une règle particulière aux acomptes versés pour des services de voyages ( 3 ). Le gouvernement polonais a confirmé lors de l’audience que la loi prévoyant cette règle a été abrogée au 1er janvier 2014, apparemment sans avoir été remplacée par d’autres dispositions spécifiques pour les agences de voyages ( 4 ).

III. Les faits, la procédure au principal et les questions préjudicielles

11.

Skarpa est une agence de voyages. Ses services relèvent du régime particulier des agences de voyages (ci-après le « régime particulier des agences de voyages ») prévu aux articles 306 à 310 de la directive TVA et à l’article 119 de la loi sur la TVA. Estimant que le moment où la TVA devient exigible sur les acomptes encaissés par les agences de voyages n’est pas précisé clairement, Skarpa a demandé au ministre des Finances de lui fournir une interprétation individuelle sur cette question.

12.

Skarpa considère que la TVA sur ses services ne devrait devenir exigible qu’au moment où il lui est possible de déterminer la marge définitive. Le ministre des Finances a en revanche estimé que la TVA devient exigible au moment où les acomptes sont payés puisque ce paiement est effectué en contrepartie d’un service spécifique et clairement défini. Afin de déterminer la marge, c’est-à-dire la base d’imposition, Skarpa devrait tenir compte des coûts prévisibles et procéder par la suite aux corrections qui seraient nécessaires.

13.

Skarpa a contesté l’interprétation individuelle du ministre des Finances devant le Wojewódzki Sąd Administracyjny w Krakowie (tribunal administratif de voïvodie de Cracovie, Pologne). Considérant que cette interprétation était inexacte et devait être annulée, cette juridiction a jugé que la TVA ne devient exigible qu’au moment où la marge est établie de manière définitive : toute autre solution entraînerait une modification inadmissible des principes fondamentaux relatifs à la base d’imposition, parce qu’elle ne permettrait pas de tenir compte de la « marge réelle » et se fonderait sur une estimation, ce qui ne serait permis que dans des cas définis strictement. La correction de déclarations fiscales ne devrait intervenir que dans des situations exceptionnelles et ne saurait devenir la règle.

14.

Le ministre des Finances s’est pourvu en cassation devant le Naczelny Sąd Administracyjny (Cour suprême administrative, Pologne), qui est la juridiction de renvoi. Cette dernière se demande si la règle particulière relative à la base d’imposition des services des agences de voyages a une incidence sur le moment où la TVA sur ces services devient exigible. Bien que le client achète un service spécifique et identifiable, les coûts que supportera l’agence de voyages ne seront connus qu’ultérieurement. C’est pourquoi la juridiction de renvoi considère que la règle générale visée à l’article 65 de la directive TVA n’est pas applicable. Elle reconnaît toutefois que la directive TVA ne prévoit pas cette solution qui ne pourrait qu’être déduite du cadre général de la directive.

15.

Si la Cour devait juger que la TVA devient exigible au moment où l’acompte est encaissé, la juridiction de renvoi...

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