European Commission v Portuguese Republic.

JurisdictionEuropean Union
Date25 March 2010
CourtCourt of Justice (European Union)

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

Mme JULIANE KOKOTT

présentées le 25 mars 2010 (1)

Affaire C‑105/08

Commission européenne

contre

République portugaise

«Libre prestation des services – Fiscalité directe – Intérêts perçus – Différence de traitement entre institutions financières résidentes et non-résidentes – Impôt à la source sur les revenus bruts des institutions financières non-résidentes»





I – Introduction

1. Dans la présente procédure de manquement, la Commission européenne fait grief à la République portugaise d’imposer les intérêts versés à des institutions financières non-résidentes plus lourdement que ceux versés à des institutions financières résidant sur le territoire portugais. Les paiements d’intérêts transfrontaliers sont soumis à un impôt à la source allant jusqu’à 20 % des revenus bruts. Il n’est pas possible de déduire les coûts de refinancement liés à l’octroi du prêt. Les bénéficiaires résidents sont, en revanche, soumis à un impôt sur les bénéfices à hauteur de 25 % des seuls revenus nets.

2. Selon la Commission, la République portugaise viole ainsi la libre circulation des services et la libre circulation des capitaux garanties par le traité CE et par l’accord sur l’Espace économique européen du 2 mai 1992 (2) (ci-après l’«accord EEE»).

3. La République portugaise rétorque, en premier lieu, que la Commission n’a pas apporté la preuve effective d’une imposition supérieure des institutions financières non-résidentes. À titre subsidiaire, elle allègue que la situation des institutions financières résidentes et celle des institutions financières non‑résidentes ne sont pas comparables. Les bailleurs de fonds non-résidents sont, selon cet État membre, assujettis de manière limitée à l’impôt pour les intérêts perçus au Portugal. Pour la République portugaise, l’État de la source devrait donc, selon la jurisprudence (3), ne prendre en compte que les coûts directement liés à l’activité économique exercée dans cet État. Selon la la République portugaise, les coûts de refinancement ne peuvent toutefois pas être imputés à des prêts particuliers. Il ne serait donc pas possible de déterminer les coûts afférents directement aux intérêts perçus au Portugal par les banques non-résidentes.

4. Selon la République portugaise, les revenus nets des contribuables résidents peuvent, en revanche, être déterminés sans difficulté. Ces contribuables étant assujettis à l’impôt au Portugal pour l’ensemble de leurs revenus mondiaux, ils peuvent déduire de ces revenus l’intégralité de leurs frais professionnels, sans qu’il soit nécessaire d’imputer ces frais à des revenus déterminés.

5. La Commission considère la présente procédure comme une procédure pilote et part du principe que d’autres États membres imposent également les intérêts perçus par les banques non-résidentes en vertu de règles analogues qui s’inspirent du modèle de convention fiscale concernant la suppression des doubles impositions et la prévention de la fraude fiscale sur le revenu et sur la fortune élaboré par l’Organisation de coopération et de développement économiques (ci‑après le «modèle de convention fiscale de l’OCDE»).

6. À la différence de la fiscalité des distributions de dividendes transfrontalières, la Cour n’a pas encore pris position, de manière plus précise, sur la fiscalité des paiements d’intérêts transfrontaliers dans l’État de la source. On peut mentionner, tout au plus, l’arrêt Truck Center (4), qui concerne les paiements d’intérêts entre entreprises associées. Ces paiements ont été, entre-temps, exonérés d’impôt à la source en vertu de la directive 2003/49/CE (5). La fiscalité des paiements d’intérêts à des personnes physiques non-résidentes est également réglementée par le droit de l’Union européenne (6). Il n’existe, en revanche, aucune prescription en droit dérivé concernant le traitement fiscal des paiements d’intérêts aux institutions financières ayant leur siège dans un autre État membre.

II – Cadre juridique

7. Les articles 49 CE et 56 CE, qui garantissent la libre circulation des services et la libre circulation des capitaux, constituent le cadre de la présente procédure en droit de l’Union européenne. Les articles 36 et 40 de l’accord EEE, mentionnés par ailleurs, correspondent, en substance, aux dispositions citées du traité.

8. Conformément à l’article 4, paragraphe 2, du code portugais de l’impôt sur le revenu des personnes morales (Código do Imposto sobre o Rendimento das Pessoas colectivas (7), ci-après le «CIRC»), les personnes morales et les autres entités qui ne sont pas établies sur le territoire portugais sont soumises à l’impôt uniquement en ce qui concerne les revenus acquis sur ce territoire. Parmi les revenus d’origine portugaise des non-assujetis soumis à l’impôt figurent, en vertu de l’article 4, paragraphe 3, sous c), du CIRC, les intérêts payés par des débiteurs qui résident, ont leur siège ou leur direction effective sur le territoire portugais, ou dont le paiement est imputable à un établissement stable établi dans cet État.

9. En vertu des articles 88, paragraphes 1 et 3, sous b), et 5 du CIRC, l’impôt est prélevé sous forme de retenue définitive à la source. En application de l’article 80, paragraphe 2, sous c), du CIRC, le taux d’imposition est de 20 %. Les conventions fiscales bilatérales concernant la suppression des doubles impositions (ci-après les «CFB») signées entre la République portugaise et tous les autres États membres, à l’exception de la République de Chypre, et tous les États parties à l’accord EEE, à l’exception de la Principauté de Liechtenstein, prévoient une diminution du taux d’imposition appliqué par l’État de la source à 10, 12 et 15 %. Ces CFB prévoient, conformément au modèle de convention fiscale de l’OCDE, que le montant brut des revenus du bénéficiaire non-résident constitue l’assiette de l’impôt à la source.

10. En revanche, les revenus des bénéficiaires résidents sont imposés au taux général de l’impôt sur les bénéfices de 25 % (article 80, paragraphe 1, du CIRC). Dans leur cas, l’impôt ne frappe toutefois que le montant net des intérêts, c’est-à-dire les intérêts après déduction des frais professionnels, y compris les coûts de refinancement.

III – Procédure précontentieuse et recours

11. Dans la procédure précontentieuse, qui s’est déroulée dans les règles, la Commission a fait grief à la République portugaise du fait qu’elle impose les intérêts hypothécaires et les intérêts d’autres types de crédits versés par des débiteurs résidents à des institutions financières établies dans un autre État membre ou dans un État partie à l’accord EEE plus lourdement que ceux perçus par des institutions financières résidentes. Cela est contraire aux articles 49 CE et 56 CE. La Commission n’ayant pas été convaincue par les arguments présentés par la République portugaise, elle a introduit le présent recours le 6 mars 2008 et conclut à ce qu’il plaise à la Cour:

– constater que, en imposant les intérêts payés à des institutions financières non-résidentes plus lourdement que ceux payés à des institutions financières résidentes, la République portugaise restreint la libre prestation des services de crédit hypothécaire et d’autres formes de crédit par les institutions financières résidant dans d’autres États membres ainsi que dans des États parties à l’accord EEE et, partant, manque aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 49 CE, 56 CE ainsi que 36 et 40 de l’accord EEE,

– condamner la République portugaise aux dépens.

12. La République portugaise conclut au rejet du recours et à la condamnation de la Commission aux dépens.

13. Par ordonnance du 4 août 2008, le président de la Cour a autorisé la République de Lituanie à intervenir au soutien des conclusions de la République portugaise.

IV – Analyse juridique

A – Le grief tiré de la violation des articles 49 CE et 56 CE

1. Liberté fondamentale applicable

14. Il est de jurisprudence constante que, pour déterminer si une législation nationale relève de l’une ou l’autre des libertés de circulation, il y a lieu de prendre en considération l’objet de la législation en cause (8).

15. En vertu des règles litigieuses, tous les revenus financiers perçus par des personnes morales étrangères font l’objet d’une retenue à la source. En vertu de leur libellé, elles s’appliquent donc également aux intérêts des prêts ou autres flux de capitaux entre entreprises dont l’objet principal ne réside pas dans la fourniture de services financiers.

16. Le recours de la Commission n’a toutefois pour objet que le seul traitement fiscal des intérêts perçus par les établissements financiers pour les prêts qu’ils consentent. Il est de jurisprudence constante que l’activité d’octroi de crédits d’un établissement de crédit constitue un service au sens de l’article 49 CE (9).

17. Il est exact que, dans le cadre des services financiers, le montant du prêt et les intérêts doivent être transférés d’un État membre à un autre. Ces flux financiers transfrontaliers constituent également, en principe, des opérations de circulation des capitaux et des paiements. Ils ne servent, néanmoins, que la seule exécution de l’opération de crédit qui constitue en substance un service.

18. On peut constater, concernant l’applicabilité de l’article 56 CE, que les éventuels effets restrictifs des règles nationales contestées sur la libre circulation des capitaux et des paiements ne seraient que la conséquence inévitable des éventuelles restrictions à la libre circulation des services. Lorsqu’une mesure nationale se rapporte à la fois à plusieurs libertés fondamentales, la Cour examine la mesure en cause, en principe, au regard de l’une seulement de ces deux libertés s’il s’avère que, dans les circonstances de l’espèce, l’une d’elles est tout à fait secondaire par rapport à l’autre et peut lui être rattachée (10).

19. Par conséquent, les dispositions attaquées doivent être examinées uniquement à l’aune du critère de la...

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