Opinion of Advocate General Hogan delivered on 24 September 2020.

JurisdictionEuropean Union
Date24 September 2020
CourtCourt of Justice (European Union)

Édition provisoire

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. GERARD HOGAN

présentées le 24 septembre 2020 (1)

Affaire C398/19

BY

en présence de :

Generalstaatsanwaltschaft Berlin

[demande de décision préjudicielle du Kammergericht Berlin (tribunal régional supérieur de Berlin, Allemagne)]

« Renvoi préjudiciel – Citoyenneté de l’Union – Extradition vers un pays tiers d’un ressortissant d’un État membre —Personne recherchée n’ayant obtenu la citoyenneté de l’Union qu’après avoir transféré le centre de ses intérêts dans l’État membre requis – Protection des ressortissants contre l’extradition – Obligations de l’État requis et de l’État membre d’origine du citoyen de l’Union – Objectif de prévention du risque d’impunité dans les procédures pénales »






I. Introduction

1. La décision-cadre 2002/584/JAI du Conseil, du 13 juin 2002, relative au mandat d’arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres(2) a grandement simplifié le régime de remise des personnes suspectées entre les États membres. Comme le montre toutefois clairement la présente affaire, des difficultés ne s’en présentent pas moins en relation avec les demandes d’extradition qui émanent de pays tiers.

2. On pourrait certes penser que ces demandes émanant de pays tiers ne devraient en principe pas relever du champ d’application du droit de l’Union, mais la question particulière qui se pose dans le cadre de la présente demande de décision préjudicielle découle du fait que la plupart des États membres (3) excluent l’extradition de leurs ressortissants vers des pays tiers (4) et privilégient plutôt, en pareil cas, l’application de la partie « aut judicare » du principe « aut dedere, aut judicare » (extrader ou poursuivre) (5). Étant donné que les États membres qui refusent d’extrader leurs ressortissants vers des pays tiers prévoient aussi systématiquement dans leur législation nationale que le fait pour leurs citoyens de commettre pareilles infractions où que ce soit dans le monde est passible de poursuites dans leur propre État, conformément à un principe de compétence extraterritoriale dans les affaires pénales largement admis en droit international (c’est‑à‑dire conformément au principe dit de la « personnalité active ») (6), cette restriction en matière d’extradition pose en pratique moins de problèmes qu’elle n’en poserait à défaut de telles dispositions.

3. C’est sur ce point que se présentent les difficultés qu’ont soulevées pour la première fois les faits ayant donné lieu à l’arrêt de la Cour du 6 septembre 2016, Petruhhin (7). Quelle est la situation qui se présente lorsqu’un citoyen de l’un des États membres exerce ses droits à la libre circulation pour se déplacer vers un autre État membre qui refuse d’extrader ses ressortissants vers des États tiers et se prévaut du principe « aut dedere, aut judicare » ? Les principes de non‑discrimination sur la base de la nationalité (article 18 TFUE) et du droit à la libre circulation (article 21 TFUE) impliquent-ils que l’État membre d’accueil est également tenu en principe d’étendre d’une façon ou d’une autre la règle interdisant l’extradition de ses propres ressortissants aux citoyens des autres États membres qui ont exercé leurs droits à la libre circulation ?

4. Une réponse affirmative – quoiqu’assortie de multiples réserves – a été donnée à ces questions par la Cour dans son arrêt Petruhhin. Ce faisant, la Cour a toutefois également admis que la situation de la personne exerçant son droit à la libre circulation dans cet exemple ne peut pas être totalement assimilée à celle du citoyen de l’État membre d’accueil et ce, précisément, parce que les législations nationales des États membres ne prévoient normalement pas l’exercice d’une compétence à l’égard des infractions extraterritoriales commises à l’étranger par d’autres que leurs citoyens, à tout le moins pas sans que certaines conditions soient réunies. Comme l’indique la Cour :

« […] si […] la non‑extradition des ressortissants nationaux est généralement compensée par la possibilité pour l’État membre requis de poursuivre ses propres ressortissants pour des infractions graves commises hors de son territoire, cet État membre est, en règle générale, incompétent pour juger de tels faits lorsque ni l’auteur ni la victime de l’infraction supposée n’ont la nationalité dudit État membre » (8).

C’est ce dilemme qui est au cœur de la jurisprudence Petruhhin.

5. Ceci nous amène directement à la présente demande de décision préjudicielle. Par ses questions, le Kammergericht Berlin (tribunal régional supérieur de Berlin, Allemagne) voudrait obtenir des précisions en ce qui concerne les obligations, au titre du TFUE, d’un État membre dont le droit national interdit l’extradition de ses citoyens vers un pays tiers aux fins d’une procédure pénale, s’agissant des demandes d’extradition concernant des citoyens d’autres États membres qui séjournent ou résident effectivement sur son territoire.

6. La Cour est donc invitée, une nouvelle fois, à préciser les obligations des États membres qui découlent des principes décrits dans l’arrêt Petruhhin (9). On peut mesurer le caractère novateur de la solution proposée dans cet arrêt au fait qu’il semble n’avoir peut-être pas bénéficié d’une reconnaissance universelle de la part des États membres. Certains ont souligné les difficultés d’ordre juridique et pratique qu’elle pose à ces derniers quant à son application. Avant d’examiner ces questions, il est toutefois nécessaire, tout d’abord, d’exposer les dispositions légales pertinentes en cause, puis de résumer les faits de la présente affaire.

II. Le cadre juridique

A. La convention européenne d’extradition de 1957 (10)

7. L’article 1er de la convention européenne d’extradition de 1957 est libellé comme suit :

« Les Parties contractantes s’engagent à se livrer réciproquement, selon les règles et sous les conditions déterminées par les articles suivants, les individus qui sont poursuivis pour une infraction ou recherchés aux fins d’exécution d’une peine ou d’une mesure de sûreté par les autorités judiciaires de la Partie requérante. »

8. L’article 6 de la convention européenne d’extradition de 1957 prévoit :

« 1 a Toute Partie contractante aura la faculté de refuser l’extradition de ses ressortissants.

b Chaque Partie contractante pourra, par une déclaration faite au moment de la signature ou du dépôt de son instrument de ratification ou d’adhésion, définir, en ce qui la concerne, le terme ‘ressortissants’ au sens de la présente Convention.

c La qualité de ressortissant sera appréciée au moment de la décision sur l’extradition. Toutefois, si cette qualité n’est reconnue qu’entre l’époque de la décision et la date envisagée pour la remise, la Partie requise pourra également se prévaloir de la disposition de l’alinéa a du présent paragraphe.

2 Si la Partie requise n’extrade pas son ressortissant, elle devra, sur la demande de la Partie requérante, soumettre l’affaire aux autorités compétentes afin que des poursuites judiciaires puissent être exercées s’il y a lieu. À cet effet, les dossiers, informations et objets relatifs à l’infraction seront adressés gratuitement par la voie prévue au paragraphe 1 de l’article 12. La Partie requérante sera informée de la suite qui aura été donnée à sa demande. »

9. L’article 12 de la convention européenne d’extradition de 1957 (tel qu’amendé par le deuxième protocole additionnel à la convention européenne d’extradition de 1957 (11)) prévoit désormais :

« 1 La requête sera formulée par écrit et adressée par le ministère de la Justice de la Partie requérante au ministère de la Justice de la Partie requise ; toutefois, la voie diplomatique n’est pas exclue. Une autre voie pourra être convenue par arrangement direct entre deux ou plusieurs Parties [(12)].

2 Il sera produit à l’appui de la requête :

a l’original ou l’expédition authentique soit d’une décision de condamnation exécutoire, soit d’un mandat d’arrêt ou de tout autre acte ayant la même force, délivré dans les formes prescrites par la loi de la Partie requérante ;

b un exposé des faits pour lesquels l’extradition est demandée. Le temps et le lieu de leur perpétration, leur qualification légale et les références aux dispositions légales qui leur sont applicables seront indiqués le plus exactement possible ; et

c une copie des dispositions légales applicables ou, si cela n’est pas possible, une déclaration sur le droit applicable, ainsi que le signalement aussi précis que possible de l’individu réclamé et tous autres renseignements de nature à déterminer son identité et sa nationalité. »

10. L’article 17 de la convention européenne d’extradition de 1957, intitulé « Concours de requêtes », prévoit :

« Si l’extradition est demandée concurremment par plusieurs États, soit pour le même fait, soit pour des faits différents, la Partie requise statuera compte tenu de toutes circonstances et notamment de la gravité relative et du lieu des infractions, des dates respectives des demandes, de la nationalité de l’individu réclamé et de la possibilité d’une extradition ultérieure à un autre État. »

11. La République Fédérale d’Allemagne a fait la déclaration suivante au moment du dépôt de l’instrument de ratification, le 2 octobre 1976, en relation avec l’article 6 de la convention européenne d’extradition de 1957 :

« L’extradition de ressortissants allemands, de la République Fédérale d’Allemagne vers un pays étranger, est interdite par l’article 16, paragraphe 2, 1ère phrase, de la Loi fondamentale de la République Fédérale d’Allemagne et devra en conséquence être refusée dans tous les cas. Le terme ‘ressortissants’ au sens de l’article 6, paragraphe 1 b. de la Convention européenne d’extradition, englobe tous les allemands au sens de l’article 116, paragraphe 1, de la Loi fondamentale de la République Fédérale d’Allemagne. »

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