TV10 SA contra Commissariaat voor de Media.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:1994:251
Docket NumberC-23/93
Celex Number61993CC0023
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Date16 June 1994
EUR-Lex - 61993C0023 - FR 61993C0023

Conclusions de l'avocat général Lenz présentées le 16 juin 1994. - TV10 SA contre Commissariaat voor de Media. - Demande de décision préjudicielle: Raad van State - Pays-Bas. - Libre prestation des services - Législation nationale visant à préserver un réseau de radiodiffusion pluraliste et non commercial. - Affaire C-23/93.

Recueil de jurisprudence 1994 page I-04795
édition spéciale suédoise page I-00159
édition spéciale finnoise page I-00161


Conclusions de l'avocat général

++++

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

A ° Introduction

1. Dans la présente demande de décision préjudicielle, le Raad van State der Nederlanden pose des questions relatives à l' application à certaines activités d' un organisme de radiodiffusion des dispositions sur la libre prestation de services.

2. La procédure principale oppose l' organisme de radiodiffusion TV10, société anonyme de droit luxembourgeois (ci-après la "demanderesse"), au Commissariaat voor de Media des Pays-Bas (ci-après le "défendeur"). L' objet du litige était le refus de la part du défendeur d' autoriser l' insertion des programmes transmis par TV10 dans le réseau câblé néerlandais. Dans la décision de rejet, le défendeur constatait que TV10 ne pouvait être considérée comme un organisme de radiodiffusion étranger au sens de l' article 66, paragraphe 1, de la Mediawet (loi sur les médias), étant donné que la demanderesse s' était établie au Luxembourg dans le dessein manifeste d' échapper à la législation néerlandaise applicable aux installations nationales de radiodiffusion.

3. La disposition pertinente en l' espèce est la suivante:

"1. Le gérant d' un réseau de télédistribution peut:

a) transmettre les programmes qui sont émis par un organisme de radiodiffusion étranger au moyen d' un émetteur de radiodiffusion et qui, la plupart du temps, peuvent être captés directement dans la zone desservie par le réseau câblé au moyen d' une antenne individuelle normale dans des conditions de qualité généralement satisfaisantes;

b) transmettre des programmes autres que ceux visés sous a), et qui sont émis par un organisme de radiodiffusion étranger ou par un ensemble de tels organismes de programmes de radiodiffusion, conformément à la législation applicable dans le pays d' émission..."

4. TV10 a formé un recours en annulation de cette décision devant la section juridictionnelle du Raad van State. La demanderesse juge la décision critiquable à plusieurs égards. Elle estime inexacte l' appréciation juridique des faits constatés. De plus, il y aurait, selon elle, infraction au principe d' égalité et aux articles 10 et 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l' homme et des libertés fondamentales, ainsi que 7, 52 et suivants, et 59 et suivants du traité CEE (1) du 31 août 1992).

5. La juridiction de renvoi a constaté que la demanderesse n' est pas un organisme de radiodiffusion au sens des articles 14 à 30 de la Mediawet. Elle tient pour prouvé que la demanderesse s' est établie à l' étranger dans l' intention manifeste de se soustraire à la législation applicable aux Pays-Bas en matière de radiodiffusion intérieure. Elle estime toutefois que le grief, invoqué par la demanderesse, d' incompatibilité de la décision attaquée avec le droit communautaire mérite examen.

6. Dans ce contexte, la juridiction de renvoi, se référant à l' arrêt rendu dans l' affaire Debauve (2), estime que les dispositions du traité CEE sur la libre prestation des services ne sont pas applicables à des activités dont aucun des éléments essentiels ne se manifeste par-delà les frontières d' un État membre. S' appuyant sur l' arrêt rendu dans l' affaire Van Binsbergen (3), la juridiction de renvoi fait valoir qu' un État membre ne saurait se voir retirer le droit de prendre des dispositions destinées à empêcher le prestataire d' un service dont l' activité est dirigée en totalité ou de façon très prépondérante vers son territoire de se prévaloir de la liberté garantie par l' article 59 pour se soustraire aux règles professionnelles qui s' appliqueraient à lui s' il était domicilié sur le territoire de cet État. Selon le Raad van State, on peut se demander si le chapitre applicable dans un tel cas n' est pas celui sur le droit d' établissement au lieu de celui relatif aux prestations de services. Ayant à l' esprit l' arrêt Segers (4), le Raad van State se demande comment il convient de juger l' activité exercée à partir d' un autre État membre par un organisme de radiodiffusion légalement constitué et officiellement établi dans cet État membre.

7. En conséquence, la juridiction de renvoi demande à la Cour de répondre aux questions suivantes:

"1) Doit-on parler de services ayant un caractère transfrontalier pertinent au regard du droit communautaire lorsqu' un organisme de radiodiffusion qui n' entre pas en ligne de compte pour l' accès au réseau câblé dans l' État membre A émet des programmes à partir de l' État membre B avec l' intention manifeste, inférée de circonstances objectives, de se soustraire de cette façon à la législation de l' État membre auquel les programmes sont principalement, mais pas exclusivement, destinés ?

2) Le droit communautaire, eu égard également aux dispositions combinées des articles 10 et 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l' homme et des libertés fondamentales, autorise-t-il l' État membre destinataire à soumettre la prestation des services visés à la première question à des restrictions en vertu desquelles l' organisme de radiodiffusion, bien qu' il ait choisi de s' établir dans un autre État membre, est considéré comme un organisme de radiodiffusion non étranger et se voit pour cette raison refuser l' accès de ses programmes au réseau câblé national aussi longtemps qu' il ne satisfait pas aux conditions d' accès applicables aux organismes de radiodiffusion nationaux, au motif qu' en s' établissant dans un autre État membre cet organisme de radiodiffusion tente de contourner les dispositions prises par l' État membre destinataire en vue de maintenir le caractère pluraliste et non commercial du système de radiodiffusion national?"

8. Ont participé à la procédure la demanderesse, le défendeur, les gouvernements néerlandais, allemand et français, ainsi que la Commission, le défendeur faisant siennes en totalité les observations du gouvernement néerlandais. Nous reviendrons, dans le cadre de l' appréciation juridique, sur les particularités de la cause et les observations des parties.

B ° Discussion

Remarque liminaire

9. Qu' il nous soit permis une remarque liminaire, avant d' entamer l' appréciation juridique du cas. Les faits sous-tendant la présente espèce remontent à une époque où il n' était obligatoire ni de transposer la directive 89/552/CEE (5), ni de modifier le droit néerlandais des médias afin d' autoriser la radiodiffusion commerciale. Le contexte juridique de l' affaire aurait été fondamentalement différent si les faits s' étaient produits ultérieurement. L' appréciation juridique de la présente espèce n' a donc qu' une valeur limitée à l' égard d' affaires ultérieures.

10. Nous souhaiterions attirer l' attention d' emblée sur une autre considération. La juridiction de renvoi ne pose pas, sur l' application à la présente espèce de l' interdiction de la discrimination en droit communautaire, la question qui aurait pu être soulevée compte tenu de l' autorisation donnée à RTL 4 d' émettre par le biais du réseau câblé néerlandais. La juridiction de renvoi semble y avoir répondu d' elle-même. Seule la Cour, dans le cadre de l' application de l' article 14 de la convention européenne des droits de l' homme, est chargée de vérifier le respect de l' interdiction de discrimination. Dans ce domaine, les compétences de contrôle de la Cour sont sensiblement plus limitées que lorsqu' il s' agit de l' interdiction de la discrimination en droit communautaire.

I ° Sur la première question

Prestation de services au sens du droit communautaire

11. La première question vise à savoir si une activité d' émission purement transfrontière peut être qualifiée de prestation de services au sens du droit communautaire, quand bien même l' organisme de radiodiffusion s' est établi à l' étranger afin de se soustraire à la législation applicable dans l' État de réception aux organismes nationaux de radiodiffusion.

12. Tant le gouvernement néerlandais que le gouvernement allemand sont d' avis, compte tenu de la jurisprudence de la Cour (6), qu' il ne saurait être ici question de prestations de services au sens du droit communautaire, de sorte que seule la législation de l' État de réception doit s' appliquer à une affaire purement interne.

13. En revanche, la demanderesse estime qu' il s' agit bien d' une activité de service au sens du droit communautaire, étant donné que la société de radiodiffusion s' est établie effectivement au Luxembourg et a entrepris d' émettre conformément à la législation luxembourgeoise. Ainsi a-t-elle obtenu des autorités luxembourgeoises compétentes l' autorisation de diffuser ses programmes par l' intermédiaire du satellite Astra. Selon la demanderesse, il ne s' agit en l' espèce que de la définition des limites de la libre prestation de services, qui du reste ne peut se faire que selon des critères objectifs.

14. Tant le gouvernement français que la Commission sont d' avis qu' il y a prestation de services au sens du droit communautaire. Selon eux, ce point est distinct d' une autre question qui est de savoir quelles sont les mesures qu' un État membre est autorisé à prendre pour empêcher le prestataire de services de contourner sa législation interne.

15. Les services au sens du droit communautaire sont définis à l' article 60 du traité comme "les prestations fournies normalement contre rémunération, dans la mesure où elles ne sont pas régies par les dispositions relatives à la libre circulation des marchandises, des...

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