Conclusiones de la Abogado General Sra. J. Kokott, presentadas el 19 de diciembre de 2018.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2018:1030
Celex Number62018CC0202
CourtCourt of Justice (European Union)
Date19 December 2018
62018CC0202

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

MME JULIANE KOKOTT

présentées le 19 décembre 2018 ( 1 )

Affaire C‑202/18

Ilmārs Rimšēvičs

contre

République de Lettonie

et

Affaire C-238/18

Banque centrale européenne

contre

République de Lettonie

« Recours fondé sur la violation de l’article 14.2, second alinéa, des statuts du Système européen de Banques centrales et de la Banque centrale européenne – Décision d’une autorité nationale de suspendre le gouverneur de la banque centrale nationale de ses fonctions »

Table des matières

I. Introduction

II. Le cadre juridique

A. Le droit de l’Union

1. Le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne

2. Les statuts du Système européen de banques centrales et de la Banque centrale européenne

B. Le droit letton

1. Le code de procédure pénale

2. La loi relative à la banque de Lettonie

3. La loi relative au bureau de prévention et de lutte contre la corruption

III. Contexte du litige

IV. Les procédures devant la Cour et les conclusions des parties

V. Appréciation

A. Sur les contours du recours prévu à l’article 14.2 des statuts du SEBC et de la BCE

1. Sur la nature du recours

a) Libellé et genèse

b) Interprétation systématique et téléologique

2. Sur le défendeur à l’action

3. Conclusion intermédiaire

B. Sur la compétence de la Cour pour connaître des mesures contraignantes imposées à M. Rimšēvičs par le KNAB

1. Sur la compétence de la Cour

2. Sur les mesures imposées à M. Rimšēvičs comme relèvement de fonctions au sens de l’article 14.2 des statuts du SEBC et de la BCE

C. Sur le fond

1. Sur la violation de l’article 14.2 des statuts du SEBC et de la BCE

a) Observations liminaires

b) Sur les notions de conditions nécessaires à l’exercice des fonctions de gouverneur de banque centrale et de faute grave

c) Sur les preuves requises afin de démontrer que les conditions pour relever un gouverneur de ses fonctions sont réunies

1) Un jugement au fond rendu par un tribunal indépendant

2) Des éléments de preuve suffisants pour permettre à la Cour de s’assurer de la matérialité des faits

d) Conclusion intermédiaire

2. Sur la violation alléguée du protocole sur les privilèges et immunités de l’Union européenne

3. Sur la violation alléguée du droit letton

D. Conclusion intermédiaire

VI. Dépens

VII. Conclusion

I. Introduction

1.

Sous quelles conditions les États membres de l’Union européenne peuvent-ils relever de leurs fonctions les gouverneurs de leurs banques centrales ?

2.

C’est la question qui se pose dans les présentes affaires à propos de M. Ilmārs Rimšēvičs, gouverneur de la Latvijas Banka (banque de Lettonie), qui a été suspendu de ses fonctions par une décision du Korupcijas novēršanas un apkarošanas birojs (bureau de prévention et de lutte contre la corruption, Lettonie) (ci-après le « KNAB ») parce qu’il est soupçonné de trafic d’influence en faveur de la banque lettone Trasta Komercbanka ( 2 ).

3.

La Cour se trouve saisie de cette question, pour la première fois, au titre de la compétence que lui confère l’article 14.2 du protocole no 4 au traité FUE sur les statuts du Système européen de banques centrales et de la Banque centrale européenne ( 3 ) (ci‑après « les statuts du SEBC et de la BCE ») pour connaître des décisions relevant les gouverneurs des banques centrales des États membres de leurs fonctions.

4.

Cette compétence se fonde, notamment, sur le fait que les gouverneurs des banques centrales des États membres dont la monnaie est l’euro, bien que nommés et relevés de leurs fonctions par les États membres, sont également membres d’un organe d’une institution de l’Union, à savoir du conseil des gouverneurs de la Banque centrale européenne (ci-après le « conseil des gouverneurs »). Or, celui-ci est le principal organe de décision de la BCE et de l’Eurosystème ( 4 ) et joue également un rôle important dans la surveillance prudentielle des établissements de crédit au sein de l’Union ( 5 ).

5.

L’indépendance des gouverneurs des banques centrales nationales tout comme celle de la BCE bénéficie donc d’une protection particulière, notamment parce qu’elle est une condition essentielle de la stabilité des prix, objectif principal de la politique économique et monétaire de l’Union ( 6 ) dont l’importance est soulignée par sa mention à l’article 3 du traité UE ( 7 ).

II. Le cadre juridique

A. Le droit de l’Union

1. Le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne

6.

Les articles 129 à 131 TFUE disposent :

« Article 129

1. Le SEBC est dirigé par les organes de décision de la Banque centrale européenne, qui sont le conseil des gouverneurs et le directoire.

2. Les statuts du Système européen de banques centrales et de la Banque centrale européenne, ci-après dénommés ‘statuts du SEBC et de la BCE’, sont définis dans un protocole annexé aux traités.

[...]

Article 130

Dans l’exercice des pouvoirs et dans l’accomplissement des missions et des devoirs qui leur ont été conférés par les traités et les statuts du SEBC et de la BCE, ni la Banque centrale européenne, ni une banque centrale nationale, ni un membre quelconque de leurs organes de décision ne peuvent solliciter ni accepter des instructions des institutions, organes ou organismes de l’Union, des gouvernements des États membres ou de tout autre organisme. Les institutions, organes ou organismes de l’Union ainsi que les gouvernements des États membres s'engagent à respecter ce principe et à ne pas chercher à influencer les membres des organes de décision de la Banque centrale européenne ou des banques centrales nationales dans l’accomplissement de leurs missions.

Article 131

Chaque État membre veille à la compatibilité de sa législation nationale, y compris les statuts de sa banque centrale nationale, avec les traités et les statuts du SEBC et de la BCE. »

7.

Les articles 282 et 283 TFUE sont ainsi libellés :

« Article 282

1. La Banque centrale européenne et les banques centrales nationales constituent le Système européen de banques centrales (SEBC). La Banque centrale européenne et les banques centrales nationales des États membres dont la monnaie est l’euro, qui constituent l’Eurosystème, conduisent la politique monétaire de l’Union.

[...]

Article 283

1. Le conseil des gouverneurs de la Banque centrale européenne se compose des membres du directoire de la Banque centrale européenne et des gouverneurs des banques centrales nationales des États membres dont la monnaie est l’euro.

[...] »

2. Les statuts du Système européen de banques centrales et de la Banque centrale européenne

8.

L’article 14 des statuts du SEBC et de la BCE est intitulé « Les banques centrales nationales » et prévoit :

« 14.1. Conformément à l’article 131 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, chaque État membre veille à la compatibilité de sa législation nationale, y compris les statuts de sa banque centrale nationale, avec les traités et les présents statuts.

14.2. Les statuts des banques centrales nationales prévoient en particulier que la durée du mandat du gouverneur d’une banque centrale nationale n’est pas inférieure à cinq ans.

Un gouverneur ne peut être relevé de ses fonctions que s’il ne remplit plus les conditions nécessaires à l’exercice de ses fonctions ou s’il a commis une faute grave. Un recours contre la décision prise à cet effet peut être introduit auprès de la Cour de justice par le gouverneur concerné ou le conseil des gouverneurs pour violation des traités ou de toute règle de droit relative à leur application. Ces recours doivent être formés dans un délai de deux mois à compter, suivant le cas, de la publication de l’acte, de sa notification au requérant ou, à défaut, du jour où celui-ci en a eu connaissance.

14.3. Les banques centrales nationales font partie intégrante du SEBC et agissent conformément aux orientations et aux instructions de la BCE. Le conseil des gouverneurs prend les mesures nécessaires pour assurer le respect des orientations et des instructions de la BCE, et exige que toutes les informations nécessaires lui soient fournies.

[...] »

B. Le droit letton

1. Le code de procédure pénale

9.

L’article 249, paragraphe 1, du Kriminālprocesa likums (code de procédure pénale, Lettonie) est ainsi libellé :

« (1) Si, pendant l’imposition de la mesure contraignante, son fondement est devenu sans objet ou si son fondement a changé, si les conditions d’imposition, si la conduite de la personne ont changé ou si d’autres circonstances, qui avaient déterminé le choix de la mesure contraignante, ont été constatées, le responsable de la procédure prend la décision de modifier ou de retirer ladite mesure. »

10.

L’article 262, paragraphe 1, points 2 et 3, et paragraphes 2 à 5, du code de procédure pénale est ainsi libellé :

« (1) Lors de la phase préliminaire du procès, un recours contre la décision prise par le responsable de la procédure peut être introduit contre :

[...]

2)

l’interdiction d’exercer une activité professionnelle déterminée ;

3)

l’interdiction de quitter le territoire national ;

[…]

(2) Un recours contre la décision mentionnée au paragraphe 1 du présent article ne peut être introduit que si la personne à l’égard de laquelle la mesure contraignante a été imposée est en mesure de justifier que les termes de cette mesure ne peuvent pas être exécutées à son égard. Le...

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