Opinion of Advocate General Ćapeta delivered on 22 June 2023.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2023:510
Date22 June 2023
Celex Number62022CC0281
CourtCourt of Justice (European Union)

Édition provisoire

CONCLUSIONS DE L’AVOCATE GÉNÉRALE

MME TAMARA ĆAPETA

présentées le 22 juin 2023(1)

Affaire C281/22

G.K.,

B.O.D. GmbH,

S.L.

en présence de

Österreichischer Delegierter Europäischer Staatsanwalt

[demande de décision préjudicielle formée par l’Oberlandesgericht Wien (tribunal régional supérieur de Vienne, Autriche)]

« Renvoi préjudiciel – Coopération judiciaire en matière pénale – Parquet européen – Règlement (UE) 2017/1939 – Enquêtes transfrontières – Mesures d’enquête déléguées à un procureur délégué assistant – Autorisation judiciaire préalable – Contrôle juridictionnel effectif – Principe de reconnaissance mutuelle – Droits fondamentaux »






1. Le Parquet européen, investi du pouvoir de rechercher et de poursuivre les auteurs d’infractions pénales portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union européenne, a débuté ses opérations le 1er juin 2021. Dans la présente affaire, la Cour est, pour la première fois, invitée à interpréter l’acte législatif créant ce parquet et fixant les règles relatives à son fonctionnement, c’est-à-dire le règlement concernant le Parquet européen (2).

2. Les infractions pénales portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union européenne mettent souvent en scène des acteurs établis dans différents États membres. Par conséquent, pour s’acquitter de sa mission, le Parquet européen doit pouvoir mener des enquêtes transfrontières. Interviennent dans le cadre de telles enquêtes le procureur européen délégué chargé de l’affaire (ci-après le « procureur chargé de l’affaire ») (3), qui mène l’enquête dans un État membre, et un procureur européen délégué assistant (ci-après le « procureur assistant ») (4), à qui est confiée l’exécution de la mesure d’enquête dans un autre État membre. Dans le cas d’espèce, la Cour est appelée à préciser certaines dispositions du règlement concernant le Parquet européen qui ont trait à ces enquêtes transfrontières.

3. Les trois questions posées par la juridiction de renvoi peuvent être examinées ensemble. Cette juridiction demande en substance de déterminer la juridiction (ou les juridictions) nationale(s) à laquelle (auxquelles) il incombe d’autoriser une mesure d’enquête à exécuter dans un État membre autre que celui dans lequel l’enquête principale du Parquet européen a lieu. Si c’est au juge de l’État du procureur assistant qu’il incombe de prononcer l’autorisation, quelle devrait être l’étendue de ce contrôle juridictionnel et une éventuelle autorisation judiciaire prononcée antérieurement dans un autre État membre a-t-elle une incidence dans ce cadre ?

4. Cette question est loin d’être simple. Les parties au litige proposent deux interprétations incompatibles des articles 31 et 32 du règlement concernant le Parquet européen. Comme je le démontrerai, ces deux solutions contradictoires sont fondées sur les méthodes d’interprétation ordinaires appliquées par la Cour, reposant sur l’interprétation des termes, du contexte, des objectifs et de la genèse (5) du règlement concernant le Parquet européen. Aucune des solutions proposées n’est pleinement justifiée au regard de chacune de ces techniques d’interprétation. La Cour devra néanmoins opter pour l’une d’elles.

I. Les faits à l’origine du litige au principal, le droit applicable et les questions préjudicielles

5. Le Parquet européen mène, par l’intermédiaire de son procureur européen délégué affecté en République fédérale d’Allemagne (Munich), des enquêtes préliminaires visant G.K., S.L. et B.O.D. GmbH (ci-après les « personnes poursuivies »). Ces personnes sont soupçonnées d’avoir dressé de fausses déclarations afin d’éluder les règles douanières lors de l’importation de biodiesel (originaire des États-Unis d’Amérique) dans l’Union européenne, entraînant une perte de recettes d’environ 1 295 000 euros. Cette perte alléguée porte atteinte à un intérêt financier de l’Union européenne et elle relève dès lors de la compétence du Parquet européen (6).

6. Si l’enquête principale se déroule certes en Allemagne, le Parquet européen a jugé nécessaire de recueillir des éléments de preuve dans d’autres États membres. Il a ainsi jugé nécessaire d’entreprendre une enquête transfrontière dans d’autres États membres, dont l’Autriche. Plus précisément, le procureur chargé de l’affaire a délégué la perquisition et la saisie de biens situés en Autriche appartenant aux personnes poursuivies.

7. En droit autrichien, une mesure d’enquête de cet ordre requiert une autorisation judiciaire préalable. Le procureur assistant a dès lors demandé et obtenu des ordonnances afin de perquisitionner les domiciles et locaux commerciaux des personnes poursuivies pour y saisir des documents et du matériel informatique susceptibles de constituer des preuves à charge.

8. Comme cela a été expliqué lors de l’audience, aucun contrôle juridictionnel préalable des mesures de perquisition et de saisie requises n’avait été demandé aux juridictions allemandes ni aucune autorisation accordée, alors même que ce contrôle serait requis dans une situation interne comparable. C’est là la conséquence de la manière dont l’Allemagne a transposé l’article 31, paragraphe 3, du règlement concernant le Parquet européen. En application de cette transposition, une autorisation judiciaire n’est pas requise en cas d’enquêtes transfrontières si la mesure d’enquête doit être exécutée dans un État membre dont le droit impose également une autorisation judiciaire préalable (7). Dans ce cas, la juridiction de cet autre État membre est compétente pour autoriser la mesure d’enquête. Partant, le procureur chargé de l’affaire n’a pas demandé d’autorisation judiciaire en Allemagne.

9. Le 1er décembre 2021, les personnes poursuivies ont saisi la juridiction de renvoi, l’Oberlandesgericht Wien (tribunal régional supérieur de Vienne, Autriche), de recours à l’encontre des mandats de perquisition approuvés par quatre juridictions autrichiennes. Elles font valoir que les mesures de perquisition et de saisie autorisées n’étaient ni nécessaires ni proportionnées.

10. La juridiction de renvoi précise que, au cours de la procédure au principal, le procureur assistant autrichien a soutenu que le règlement concernant le Parquet européen avait institué un cadre juridique d’un nouveau genre en matière de mesures d’enquêtes transfrontières, selon lequel la justification de celles-ci ne doit être examinée que dans l’État membre du procureur chargé de l’affaire. Le juge de l’État du procureur assistant ne saurait apprécier la validité au fond de la mesure d’enquête. Il ne peut que vérifier si la mesure répond aux conditions de forme et de procédure requises pour son exécution. Il y a donc lieu, selon le procureur assistant, de rejeter les recours.

11. La juridiction de renvoi doit dès lors trancher le point de savoir si les juridictions de l’État membre du procureur assistant sont habilitées à procéder à un contrôle complet comme elles le feraient dans une situation purement interne ou si, lorsqu’il s’agit d’enquêtes transfrontières du Parquet européen, leur contrôle doit se limiter aux seules questions de nature procédurale relatives à la mise en œuvre de ces mesures d’enquête. Elle considère que la réponse à cette question est fonction de l’interprétation de l’article 31 et de l’article 32 du règlement concernant le Parquet européen.

12. L’article 31, paragraphes 1 à 3, du règlement concernant le Parquet européen, intitulé « Enquêtes transfrontières », énonce :

« 1. Les procureurs européens délégués agissent en étroite coopération, en se prêtant mutuellement assistance et en se consultant régulièrement dans le cadre des affaires transfrontières. Lorsqu’une mesure doit être prise dans un État membre autre que l’État membre du procureur européen délégué chargé de l’affaire, ce dernier se prononce sur l’adoption de la mesure nécessaire et délègue celle-ci à un procureur européen délégué situé dans l’État membre dans lequel la mesure doit être exécutée.

2. Le procureur européen délégué chargé de l’affaire peut déléguer toutes les mesures auxquelles il peut avoir recours conformément à l’article 30. La justification et l’adoption de ces mesures sont régies par le droit de l’État membre du procureur européen délégué chargé de l’affaire. Lorsque le procureur européen délégué chargé de l’affaire délègue une mesure d’enquête à un ou plusieurs procureurs européens délégués d’un autre État membre, il en informe dans le même temps le procureur européen chargé de la surveillance de l’affaire dont il dépend.

3. Si la mesure requiert une autorisation judiciaire en vertu du droit de l’État membre du procureur européen délégué assistant, ce dernier se charge de l’obtention de cette autorisation conformément au droit de cet État membre.

Si l’autorisation judiciaire relative à la mesure déléguée est refusée, le procureur européen délégué chargé de l’affaire retire la délégation.

Toutefois, lorsque le droit de l’État membre du procureur européen délégué assistant n’exige pas une telle autorisation judiciaire, mais que celle-ci est néanmoins requise par le droit de l’État membre du procureur européen délégué chargé de l’affaire, l’autorisation est obtenue par le procureur européen délégué chargé de l’affaire et présentée en même temps que la délégation. »

13. L’article 32 du règlement concernant le Parquet européen, intitulé « Exécution des mesures déléguées », énonce :

« Les mesures déléguées sont mises en œuvre conformément au présent règlement et au droit de l’État membre du procureur européen délégué assistant. Les formalités et procédures expressément indiquées par le procureur européen délégué chargé de l’affaire sont respectées à moins qu’elles ne soient contraires aux principes fondamentaux du droit de l’État membre du procureur européen délégué assistant. »

14. Dans ces conditions, la juridiction de renvoi, l’Oberlandesgericht Wien (tribunal régional supérieur de Vienne), a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions...

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