Federación de Distribuidores Cinematográficos contra Estado Español y Unión de Productores de Cine y Televisión.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:1993:74
Docket NumberC-17/92
Celex Number61992CC0017
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Date18 February 1993
EUR-Lex - 61992C0017 - FR 61992C0017

Conclusions de l'avocat général Van Gerven présentées le 18 février 1993. - Federación de Distribuidores Cinematográficos contre Estado Español et Unión de Productores de Cine y Televisión. - Demande de décision préjudicielle: Tribunal Supremo - Espagne. - Réglementation nationale visant à favoriser la distribution de films nationaux. - Affaire C-17/92.

Recueil de jurisprudence 1993 page I-02239
édition spéciale suédoise page I-00181
édition spéciale finnoise page I-00191


Conclusions de l'avocat général

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Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1. Dans la présente affaire, le Tribunal Supremo de España, Sala de lo Contencioso-Administrativo (Sección Tercera) (ci-après "Tribunal Supremo") interroge la Cour sur la compatibilité avec le droit communautaire d' une réglementation espagnole relative à l' octroi de licences pour le doublage de films de pays tiers. Cette réglementation fait dépendre la distribution en Espagne d' une version doublée de tels films dans une des langues officielles de l' Espagne, de la condition que l' entreprise de distribution qui demande la licence souscrive l' engagement de distribuer en même temps un film espagnol. Le Tribunal Supremo pose cette question dans le cadre d' un recours en annulation formé contre la réglementation espagnole concernée par la Federación de Distribuidores Cinematográficos (FEDICINE), qui est une association espagnole de distributeurs de films.

Contexte de l' affaire

2. Jusqu' à son adhésion aux Communautés européennes, l' Espagne connaissait une réglementation particulièrement stricte en matière de films. Cette réglementation comportait une condition de nationalité applicable aux producteurs de films établis en Espagne et aux entreprises qui assuraient le doublage de films, prévoyait en outre une licence pour le doublage et la distribution de films étrangers - l' octroi d' une telle licence était subordonné à la condition de distribuer un film espagnol -, et fixait enfin la proportion de films étrangers et espagnols pouvant être projetés ou distribués par l' intermédiaire de la télévision ou du grand écran (1).

Après son adhésion à la Communauté, l' Espagne a adapté sa législation en matière de films en adoptant le Real Decreto Legislativo 1257/1986 du 13 juin 1986 (ci-après "arrêté") (2). L' article unique de l' arrêté comporte deux règles relatives à la distribution de films non espagnols (3). Les films produits dans d' autres États membres de la Communauté peuvent être librement distribués par les entreprises de distribution constituées conformément à la loi. Par contre, en ce qui concerne les films de pays tiers, l' arrêté reprend la réglementation antérieure, dans la mesure où la distribution de ces films en version doublée demeure subordonnée à l' obtention préalable d' une licence. Pour chaque film espagnol qu' elles se sont engagées à distribuer, les entreprises de distribution se voient octroyer un maximum de quatre licences de doublage. En outre, elles doivent s' engager contractuellement aux conditions suivantes: (i) la première licence est octroyée aussitôt que l' autorité compétente (c' est-à-dire l' Instituto de la Cinematografía y de las Artes Audiovisuales, ci-après "ICAA") a été informée du début du tournage du film espagnol que l' entreprise de distribution s' est engagée à distribuer (4); (ii) les deuxième, troisième et quatrième licences sont accordées sur la preuve que le film espagnol concerné a engendré des niveaux de recettes déterminés (respectivement 30, 60 et 100 millions de pesetas).

On peut encore signaler que, dans une lettre du 28 décembre 1992 faisant suite à une demande de la Cour, le gouvernement espagnol a confirmé qu' une nouvelle modification de sa législation en matière cinématographique était en préparation, et ce "toujours dans la perspective de l' adaptation au droit communautaire".

3. FEDICINE a formé contre l' arrêté un recours en annulation devant le Tribunal Supremo. Elle fait valoir que l' arrêté instaure une réglementation protectionniste et est discriminatoire à l' égard des films d' autres États membres, au motif qu' il oblige les distributeurs de films à favoriser la distribution de films espagnols. Le Tribunal Supremo a estimé approprié de soumettre à la Cour la question préjudicielle suivante:

"Est-il compatible avec l' ordre juridique communautaire de soumettre l' octroi de licences de doublage de films de pays tiers, en vue de leur distribution en Espagne dans une version doublée en l' une des langues officielles espagnoles, à la souscription préalable par l' entreprise de distribution qui demande une telle licence, d' un contrat lui imposant d' assurer la distribution d' un film espagnol?"

4. Étant donné la manière dont le Tribunal Supremo a formulé sa question, il nous paraît utile de rappeler une nouvelle fois que, dans le cadre d' une procédure préjudicielle, la Cour ne peut pas se prononcer sur la compatibilité d' une réglementation nationale avec le droit communautaire. Néanmoins, selon une jurisprudence établie, la Cour "peut dégager du libellé des questions formulées par le juge national, eu égard aux données exposées par celui-ci, les éléments relevant de l' interprétation du droit communautaire, en vue de permettre à ce juge de résoudre le problème juridique dont il se trouve saisi" (5).

Le droit communautaire applicable

5. En vue d' une réponse correcte à la question du Tribunal Supremo, il nous faut, en premier lieu, étant donné la manière très générale dont cette juridiction pose la question de la compatibilité avec le droit communautaire, examiner quelles sont les règles communautaires applicables à la présente affaire.

Devant la juridiction nationale, FEDICINE a soutenu que la réglementation espagnole litigieuse était contraire aux articles 30 à 36, 59 et 92 du traité, aux directives 63/607/CEE et 65/264/CEE (6), ainsi qu' à l' accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT). Dans les observations qu' elle a présentées devant la Cour, elle ne conteste plus la validité de l' arrêté que sur la base des articles 30 et 36 du traité, c' est-à-dire des règles communautaires en matière de circulation des marchandises. Par contre, le gouvernement espagnol et la Commission estiment que la compatibilité de l' arrêté avec le droit communautaire doit être examinée sous l' angle de l' article 59 du traité, en d' autres termes sous l' angle des dispositions en matière de circulation des services. Il nous faut par conséquent examiner en premier lieu si les dispositions du traité en matière de circulation des marchandises, ou celles relatives à la circulation des services, trouvent à s' appliquer dans la présente affaire.

6. Ainsi que nous l' avons signalé, dans ses observations devant la Cour, FEDICINE estime que la réglementation contenue dans l' arrêté constitue une mesure d' effet équivalent contraire à l' article 30 du traité CEE, au motif que cette réglementation favoriserait la distribution de films espagnols par l' intermédiaire du système de licences succinctement décrit ci-dessus, et rendrait par conséquent moins attrayante la distribution de films en provenance d' autres États membres. Le raisonnement de FEDICINE à cet égard repose manifestement sur la prémisse selon laquelle les films sont des marchandises au sens du traité.

La Commission, au contraire, soutient que, dans la présente affaire, seules les conditions d' exploitation des films de fabrication espagnole, des films d' autres États membres et des films de pays tiers, sont en cause. Selon elle, l' exploitation d' un film doit être considérée comme un service au sens de l' article 59 du traité CEE. Bien que, pour un film tourné en dehors de l' Espagne, l' importation d' au moins une copie soit nécessaire à son exploitation commerciale, l' élément essentiel de l' activité économique constituée par l' exploitation de films consiste, selon la Commission, dans le fait que le producteur autorise le distributeur à projeter son film au public, et obtient du distributeur, à titre de contre-prestation pour cette autorisation, une rémunération pouvant consister en une somme forfaitaire ou en un pourcentage calculé sur la base des recettes du film.

7. Il est évident que le tournage d' un film cinématographique suppose la fabrication d' un support matériel, à savoir la bande du film, qui peut être sa copie standard ou une reproduction de celle-ci. Cette bande du film est sans aucun doute une "marchandise" au sens, tel que précisé par la Cour, des dispositions du traité en matière de circulation des marchandises, à savoir des "produits appréciables en argent et susceptibles, comme tels, de former l' objet de transactions commerciales" (7). La Cour s' est également prononcée en ce sens dans l' arrêt Cinéthèque, à propos de la production de vidéocassettes. Elle a indiqué que:

"on ne saurait qualifier de 'service' , au sens du traité, les travaux de fabrication de vidéocassettes, dès lors que les prestations du fabricant de tels produits conduisent directement à la fabrication d' un objet matériel qui fait, d' ailleurs, l' objet d' une classification au tarif douanier commun (position 37.07). Selon l' article 60 du traité, sont en effet considérées comme services, les prestations fournies contre rémunération 'qui ne sont pas régies par les dispositions relatives à la libre circulation des marchandises' " (8).

8. Toutefois, cela ne signifie nullement que l' exploitation de films relève des dispositions du traité en matière de circulation des marchandises. Bien que l' exploitation, dans un État membre donné, d' un film cinématographique fabriqué dans un autre État membre suppose un déplacement transfrontalier de marchandises, en ce sens qu' au moins une copie du film doit être importée dans le pays d' exploitation (9), nous estimons aussi que l' élément essentiel de l' exploitation du film ne réside pas dans cette circulation commerciale...

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