Conclusiones del Abogado General Sr. J. Richard de la Tour, presentadas el 16 de febrero de 2023.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2023:114
Date16 February 2023
Celex Number62021CC0663
CourtCourt of Justice (European Union)

Édition provisoire

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. JEAN RICHARD DE LA TOUR

présentées le 16 février 2023 (1)

Affaire C663/21

Bundesamt für Fremdenwesen und Asyl

en présence de

AA

[demande de décision préjudicielle formée par le Verwaltungsgerichtshof (Cour administrative, Autriche)]

et

Affaire C8/22

XXX

contre

Commissaire général aux réfugiés et aux apatrides

[demande de décision préjudicielle formée par le Conseil d’État (Belgique)]

« Renvoi préjudiciel – Espace de liberté, de sécurité et de justice – Politique d’asile – Directive 2011/95/UE – Normes relatives aux conditions d’octroi du statut de réfugié ou du statut conféré par la protection subsidiaire – Article 14, paragraphe 4, sous b) – Révocation du statut de réfugié – Ressortissant d’un pays tiers ayant commis un crime particulièrement grave – Menace pour la société – Contrôle de proportionnalité – Charge de la preuve – Directive 2008/115/CE – Retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier – Report de l’éloignement – Éloignement considéré comme étant illicite en raison du principe de non-refoulement – Impossibilité d’adopter une décision de retour »






I. Introduction

1. L’article 14, paragraphes 4 et 5, de la directive 2011/95/UE du Parlement européen et du Conseil, du 13 décembre 2011, concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu de cette protection (2), prévoit, à côté des causes de cessation (article 11) et d’exclusion (article 12), que les États membres ont la faculté de procéder à la révocation du statut de réfugié ou de refuser d’octroyer ce statut en cas de menace pour leur sécurité ou pour leur société.

2. L’existence de cette faculté, motivée par la volonté des États membres de bénéficier d’un levier d’action à l’égard de réfugiés qui portent atteinte à leur sécurité ou à leur société, mais qui ne peuvent pas être refoulés, a fait l’objet de critiques, dans la mesure où il lui était reproché de ne pas correspondre aux causes d’exclusion et de cessation figurant à l’article 1er, sections C à F, de la convention relative au statut des réfugiés (3), telle que complétée par le protocole relatif au statut des réfugiés (4) (ci-après la « convention de Genève »).

3. Dans son arrêt du 14 mai 2019, M e.a. (Révocation du statut de réfugié) (5), la Cour n’a cependant décelé aucun élément de nature à affecter la validité de l’article 14, paragraphes 4 à 6, de la directive 2011/95 au regard de l’article 78, paragraphe 1, TFUE et de l’article 18 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »). Pour parvenir à cette décision, la Cour a notamment estimé que l’article 14, paragraphes 4 et 5, de cette directive devait être interprété en ce sens que, dans le contexte du système institué par ladite directive, la révocation du statut de réfugié ou le refus de l’octroyer n’a pas pour effet que le ressortissant d’un pays tiers ou l’apatride concerné qui remplit les conditions figurant à l’article 2, sous d), de la même directive, lu en combinaison avec les dispositions du chapitre III de celle-ci, perd la qualité de réfugié, au sens de cet article 2, sous d), et de l’article 1er, section A, de la convention de Genève (6).

4. Dans le prolongement de l’arrêt M e.a. (Révocation du statut de réfugié), les présentes demandes de décision préjudicielle invitent désormais la Cour à préciser les conditions dans lesquelles les États membres peuvent décider de révoquer le statut de réfugié.

5. Ces demandes de décision préjudicielle portent, plus précisément, sur l’interprétation de l’article 14, paragraphe 4, sous b), de la directive 2011/95, ainsi que des articles 5, 6, 8 et 9 de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2008, relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier (7).

6. En ce qui concerne l’affaire C-663/21, la demande de décision préjudicielle a été présentée dans le cadre d’un litige opposant AA, ressortissant d’un pays tiers, au Bundesamt für Fremdenwesen und Asyl (Office fédéral pour le droit des étrangers et le droit d’asile, Autriche, ci-après l’« Office ») au sujet de la décision adoptée par ce dernier de lui retirer le statut de réfugié, de refuser de lui octroyer le statut conféré par la protection subsidiaire ou un titre de séjour pour des motifs dignes d’être pris en compte, de prendre une décision de retour assortie d’une interdiction de séjour à son égard, de fixer un délai de départ volontaire et de déclarer que son éloignement n’est pas autorisé.

7. S’agissant de l’affaire C-8/22, la demande de décision préjudicielle a été présentée dans le cadre d’un litige opposant XXX, ressortissant d’un pays tiers, au Commissaire général aux réfugiés et aux apatrides (Belgique, ci-après le « Commissaire général ») au sujet de la décision adoptée par ce dernier de lui retirer le statut de réfugié.

8. Les questions posées par le Verwaltungsgerichtshof (Cour administrative, Autriche) (affaire C-663/21) et par le Conseil d’État (Belgique) (affaire C-8/22) sont complémentaires et se recoupent en partie, c’est pourquoi je les examinerai de façon commune dans les présentes conclusions. Ces questions invitent, en particulier, la Cour à préciser les conditions auxquelles est subordonnée la révocation du statut de réfugié en application de l’article 14, paragraphe 4, sous b), de la directive 2011/95.

9. Cette disposition prévoit que « [l]es États membres peuvent révoquer le statut octroyé à un réfugié par une autorité gouvernementale, administrative, judiciaire ou quasi judiciaire, y mettre fin ou refuser de le renouveler [...] lorsque, ayant été condamné en dernier ressort pour un crime particulièrement grave, il constitue une menace pour la société de cet État membre ».

10. Ce motif de révocation du statut de réfugié est directement inspiré de la formulation de l’article 33, paragraphe 2, de la convention de Genève, dont il résulte que le principe de non-refoulement ne peut pas être invoqué par un réfugié « qui, ayant été l’objet d’une condamnation définitive pour un crime ou délit particulièrement grave, constitue une menace pour la communauté [du pays où il se trouve] ». Cette même exception au principe de non-refoulement se retrouve à l’article 21, paragraphe 2, de la directive 2011/95 (8).

11. Dans les présentes conclusions, je défendrai, d’abord, l’interprétation selon laquelle l’article 14, paragraphe 4, sous b), de la directive 2011/95 pose deux conditions cumulatives à la possibilité dont dispose un État membre de révoquer le statut de réfugié. À cet égard, j’expliquerai pourquoi je considère que l’existence d’une condamnation définitive pour un crime particulièrement grave constitue une condition nécessaire, mais non suffisante pour permettre à un État membre de révoquer ce statut.

12. J’indiquerai, ensuite, les raisons pour lesquelles j’estime que la menace que représente la personne condamnée, au moment où est prise une décision de révocation du statut de réfugié, doit être réelle, actuelle et suffisamment grave pour la société de l’État membre concerné.

13. Je préciserai, enfin, qu’une décision de révoquer le statut de réfugié doit, à mon avis, respecter le principe de proportionnalité et, plus largement, les droits fondamentaux de la personne concernée, tels qu’ils sont garantis par la Charte.

14. L’affaire C-663/21 soulève une problématique supplémentaire, relative à l’interprétation de la directive 2008/115. Est, en substance, posée la question de savoir si une décision de retour doit être adoptée lorsque le ressortissant concerné d’un pays tiers ne peut pas être refoulé vers son pays d’origine. Je m’appuierai sur la jurisprudence de la Cour la plus récente pour proposer à celle-ci de répondre à cette question par la négative.

II. Les faits des litiges au principal et les questions préjudicielles

A. L’affaire C-663/21

15. AA est entré illégalement en Autriche le 10 décembre 2014 et a déposé, le même jour, une demande de protection internationale. Par décision de l’Office du 22 décembre 2015, il s’est vu octroyer le statut de réfugié.

16. Le 22 mars 2018, AA a été condamné à une peine privative de liberté d’un an et trois mois ainsi qu’à 180 jours-amende pour avoir commis les délits de menace dangereuse, de destruction ou dégradation du bien d’autrui, de manipulation interdite de stupéfiants et de trafic de stupéfiants. Le 14 janvier 2019, AA a été condamné à une peine privative de liberté de trois mois pour avoir commis les délits de lésions corporelles volontaires et de menace dangereuse. Le 11 mars 2019, il a été condamné à une peine privative de liberté de six mois pour avoir commis les délits de tentative de lésions corporelles et de menace dangereuse. Toutes ces peines privatives de liberté ont été commuées en peines avec sursis.

17. Le 13 août 2019, AA a été condamné à une amende pour comportement agressif envers un agent chargé du contrôle public.

18. Par décision du 24 septembre 2019, l’Office a retiré à AA le statut de réfugié et a décidé de ne pas lui accorder le statut conféré par la protection subsidiaire ou un titre de séjour pour des motifs dignes d’être pris en compte. L’Office a également déclaré qu’une décision de retour assortie d’une interdiction d’entrée serait adoptée à son égard et qu’un délai de départ volontaire serait fixé, tout en indiquant que son éloignement vers la Syrie n’était pas autorisé.

19. AA a formé un recours contre la décision de l’Office du 24 septembre 2019 devant le Bundesverwaltungsgericht (tribunal administratif fédéral, Autriche). Il a, par la suite, déclaré qu’il retirait ce recours en tant qu’il visait la partie du dispositif de cette...

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