Opinion of Advocate General Campos Sánchez-Bordona delivered on 16 July 2020.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2020:587
Date16 July 2020
Celex Number62019CC0584
CourtCourt of Justice (European Union)

Édition provisoire

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. CAMPOS SÁNCHEZ-BORDONA

présentées le 16 juillet 2020 (1)

Affaire C584/19

Staatsanwaltschaft Wien

contre

A e.a.,

en présence de :

Staatsanwaltschaft Hamburg

[demande de décision préjudicielle formée par le Landesgericht für Strafsachen Wien (tribunal pénal de Vienne, Autriche)]

« Renvoi préjudiciel – Coopération judiciaire en matière pénale – Décision d’enquête européenne – Procureur agissant en qualité d’autorité d’émission – Indépendance du ministère public vis-à-vis du pouvoir exécutif – Directive 2014/41/UE – Autorité judiciaire compétente pour l’émission — Notion autonome – Différences entre la réglementation établie par la Directive 2014/41/UE et celle établie par la décision-cadre 2002/584/JAI – Protection des droits fondamentaux — Nécessité d’une intervention judiciaire »






1. Les ministères publics allemand et autrichien sont, respectivement, les autorités d’émission et d’exécution des décisions d’enquête européennes (ci‑après les « DEE ») traitées conformément à la directive 2014/41/UE (2).

2. Dans la présente affaire, le Staatsanwaltschaft Hamburg (parquet de Hambourg, Allemagne) a émis une DEE afin que le Staatsanwaltschaft Wien (parquet de Vienne, Autriche) lui fournisse certaines informations sur un compte bancaire domicilié en Autriche. Comme le droit autrichien exige l’autorisation préalable d’un juge pour fournir ces informations, le parquet de Vienne a sollicité celle‑ci auprès du Landesgericht für Strafsachen Wien (tribunal pénal de Vienne, Autriche).

3. En substance, cette juridiction demande à la Cour si la jurisprudence relative à l’indépendance du ministère public dans le cadre des mandats d’arrêt européens (ci‑après les « MAE ») relevant de la décision-cadre 2002/584/JAI (3) peut être transposée aux DEE.

I. Cadre juridique

A. Le droit de l’Union. La directive 2014/41

4. L’article 1er de la directive 2014/41 (intitulé « Décision d’enquête européenne et obligation de l’exécuter ») dispose :

« 1. La décision d’enquête européenne est une décision judiciaire qui a été émise ou validée par une autorité judiciaire d’un État membre (ci‑après dénommé “État d’émission”) afin de faire exécuter une ou plusieurs mesures d’enquête spécifiques dans un autre État membre (ci‑après dénommé “État d’exécution”) en vue d’obtenir des preuves conformément à la présente directive.

La décision d’enquête européenne peut également être émise pour l’obtention de preuves qui sont déjà en possession des autorités compétentes de l’État d’exécution.

2. Les États membres exécutent une décision d’enquête européenne sur la base du principe de reconnaissance mutuelle et conformément à la présente directive.

3. Dans le cadre des droits de la défense applicables conformément à la procédure pénale nationale, l’émission d’une décision d’enquête européenne peut être demandée par un suspect ou une personne poursuivie, ou par un avocat agissant au nom d’un suspect ou d’une personne poursuivie.

4. La présente directive n’a pas pour effet de modifier l’obligation de respecter les droits fondamentaux et les principes juridiques inscrits à l’article 6 [TUE], y compris les droits de la défense des personnes faisant l’objet d’une procédure pénale, et il n’est porté atteinte à aucune des obligations qui incombent aux autorités judiciaires à cet égard. »

5. Aux termes de l’article 2 (intitulé « Définitions ») :

« Aux fins de la présente directive, on entend par :

a) “État d’émission”, l’État membre dans lequel la décision d’enquête européenne est émise ;

b) “État d’exécution”, l’État membre qui exécute la décision d’enquête européenne, dans lequel la mesure d’enquête doit être réalisée ;

c) “autorité d’émission” :

i) un juge, une juridiction, un juge d’instruction ou un procureur compétent(e) dans l’affaire concernée ; ou

ii) toute autre autorité compétente définie par l’État d’émission qui, dans le cas d’espèce, agit en qualité d’autorité chargée des enquêtes dans le cadre de procédures pénales, compétente pour ordonner l’obtention de preuves conformément au droit national. En outre, avant d’être transmise à l’autorité d’exécution, la décision d’enquête européenne est validée, après examen de sa conformité aux conditions d’émission prévues par la présente directive, en particulier les conditions prévues à l’article 6, paragraphe 1, par un juge, une juridiction, un juge d’instruction ou un procureur dans l’État d’émission. Lorsque la décision d’enquête européenne a été validée par une autorité judiciaire, cette dernière peut également être considérée comme une autorité d’émission aux fins de la transmission de la décision d’enquête européenne ;

d) “autorité d’exécution”, une autorité compétente pour reconnaître une décision d’enquête européenne et en assurer l’exécution conformément à la présente directive et aux procédures applicables dans le cadre d’une procédure nationale similaire. Ces procédures peuvent nécessiter l’autorisation d’une juridiction dans l’État d’exécution lorsque son droit national le prévoit. »

6. L’article 6 (intitulé « Conditions d’émission et de transmission d’une décision d’enquête européenne ») prévoit ce qui suit :

« 1. L’autorité d’émission ne peut émettre une décision d’enquête européenne que si les conditions suivantes sont réunies :

a) l’émission de la décision d’enquête européenne est nécessaire et proportionnée aux finalités des procédures visées à l’article 4, compte tenu des droits du suspect ou de la personne poursuivie ; et

b) la ou les mesures d’enquête indiquées dans la décision d’enquête européenne auraient pu être ordonnées dans les mêmes conditions dans le cadre d’une procédure nationale similaire.

2. Dans chaque cas, le respect des conditions visées au paragraphe 1 est vérifié par l’autorité d’émission.

3. Lorsque l’autorité d’exécution a des raisons de penser que les conditions visées au paragraphe 1 n’ont pas été respectées, elle peut consulter l’autorité d’émission sur l’importance d’exécuter la décision d’enquête européenne. Après cette consultation, l’autorité d’émission peut décider de retirer la décision d’enquête européenne. »

B. Le droit national

1. Le droit allemand. Le Gerichtsverfassungsgesetz

7. L’article 146 du Gerichtsverfassungsgesetz (4) dispose :

« Les fonctionnaires du parquet suivent les instructions officielles de leur supérieur hiérarchique. »

8. L’article 147 prévoit ce qui suit :

« Le pouvoir de contrôle et de direction appartient :

1. au Ministre fédéral de la Justice et de la protection des consommateurs en ce qui concerne le procureur général fédéral et les procureurs fédéraux ;

2. à l’administration de la justice du Land en ce qui concerne l’ensemble des fonctionnaires du ministère public du Land concerné ;

3. au plus haut fonctionnaire du ministère public près les tribunaux régionaux supérieurs et les tribunaux régionaux en ce qui concerne l’ensemble des agents du ministère public de l’arrondissement de la juridiction concernée.

[…] »

2. Le droit autrichien

a) Le Strafprozeβordnung

9. L’article 4, paragraphe 1, du Strafprozeβordnung (5) attribue l’enquête en matière pénale au ministère public.

10. Dans l’exercice de cette mission, le ministère public doit obtenir une autorisation judiciaire préalable pour mettre en œuvre certaines mesures d’enquête particulièrement intrusives (articles 101 et 105).

11. Parmi ces mesures figure l’obtention d’information sur les comptes et les opérations bancaires (article 109, point 4, en combinaison avec article 116, paragraphe 4).

b) Le Bundesgesetz über die justizielle Zusammenarbeit in Strafsachen mit den Mitgliedstaaten der Europäischen Union

12. En vertu de l’article 55c du Bundesgesetz über die justizielle Zusammenarbeit in Strafsachen mit den Mitgliedstaaten der Europäischen Union (6), le parquet compétent pour l’exécution d’une DEE est le parquet dans le ressort duquel la mesure demandée doit être mise en œuvre.

13. L’article 55e prévoit que la décision du parquet relative à l’exécution d’une DEE doit contenir i) les informations relatives à la désignation du procureur ; l’identité de la personne visée par l’enquête, dans la mesure du possible ; la description et la qualification des faits, ainsi que les informations relatives aux droits de la personne affectée par la mesure ; ii) une description de la mesure à exécuter ; iii) une motivation justifiant la licéité de ladite mesure ; et iv) une copie de la DEE.

II. Les faits et la question préjudicielle

14. Le parquet de Hambourg mène une enquête pénale contre A et d’autres personnes non identifiées (7), dans le cadre de laquelle il a transmis au parquet de Vienne une DEE visant à clarifier les faits et, en particulier, à en identifier les auteurs. Le parquet de Hambourg a demandé la transmission, sous forme de copies, de certains documents concernant un compte bancaire autrichien, pour la période du 1er juin au 30 septembre 2018.

15. Conformément aux articles 109, point 4, et 116 du StPO, le parquet de Vienne a demandé au Landesgericht für Strafsachen Wien (tribunal pénal de Vienne) l’autorisation d’accéder aux informations relatives aux comptes et opérations bancaires, dans le but d’obliger la banque à communiquer les documents visés dans la DEE.

16. Avant d’accorder l’autorisation, cette juridiction signale que, d’après la Cour, le ministère public allemand ne saurait être considéré comme une autorité judiciaire d’émission d’un MAE, dès lors qu’il est exposé au risque d’être soumis, directement ou indirectement, à des ordres ou à des instructions individuelles de la part du pouvoir exécutif (8). Elle ajoute que cette conclusion pourrait être transposée pour rejeter la DEE émise par le parquet de Hambourg.

17. Bien que la directive 2014/41 mentionne le procureur parmi les autorités d’émission, les ministères publics des États membres ne répondraient pas tous à la condition d’indépendance exigée des organes juridictionnels. Dans l’hypothèse où la jurisprudence de la Cour...

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