Conclusiones del Abogado General Sr. M. Campos Sánchez-Bordona, presentadas el 23 de marzo de 2023.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2023:247
Date23 March 2023
Celex Number62022CC0021
CourtCourt of Justice (European Union)

Édition provisoire

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MANUEL CAMPOS SÁNCHEZ-BORDONA

présentées le 23 mars 2023 (1)

Affaire C21/22

OP

En présence de :

Justyna Gawlica, notaire

[demande de décision préjudicielle formée par le Sąd Okręgowy w Opolu (tribunal régional d’Opole, Pologne)]

« Renvoi préjudiciel – Coopération judiciaire en matière civile – Compétence, loi applicable, reconnaissance et exécution des décisions, acceptation et exécution des actes authentiques en matière de successions mortis causa – Règlement (UE) no 650/2012 – Domaine d’application – Choix de la loi applicable – Accord bilatéral entre un État membre et un pays tiers »






1. Par cette demande de décision préjudicielle, il est demandé à la Cour, pour la seconde fois concernant les mêmes faits (2), d’interpréter le règlement (UE) nº 650/2012 (3).

2. En particulier, la Cour devra trancher, en vertu, entre outres, des articles 22 et 75 de ce règlement, les questions de savoir :

— si une personne qui n’est pas citoyenne de l’Union européenne est habilitée à choisir la loi de l’État dont elle possède la nationalité pour régir l’ensemble de sa succession (première question préjudicielle) ;

— si, dès lors qu’existe un accord bilatéral entre la Pologne et l’Ukraine, qui ne prévoit pas expressément la possibilité de choisir la loi applicable à la succession, le règlement nº 650/2012 devrait aboutir à l’octroi d’une telle possibilité (deuxième question préjudicielle).

3. Sur demande de la Cour, je limiterai mes conclusions à la seconde question, à savoir l’analyse des effets de l’article 75 du règlement nº 650/2012 sur le litige (4).

I. Le cadre juridique

A. Le droit de l’Union

1. Le traité FUE

4. L’article 351, premier et deuxième alinéas, énonce :

« Les droits et obligations résultant de conventions conclues antérieurement au 1er janvier 1958 ou, pour les États adhérents, antérieurement à la date de leur adhésion, entre un ou plusieurs États membres, d’une part, et un ou plusieurs États tiers, d’autre part, ne sont pas affectés par les dispositions des traités.

Dans la mesure où ces conventions ne sont pas compatibles avec les traités, le ou les États membres en cause recourent à tous les moyens appropriés pour éliminer les incompatibilités constatées. En cas de besoin, les États membres se prêtent une assistance mutuelle en vue d’arriver à cette fin et adoptent le cas échéant une attitude commune ».

2. Le règlement no 650/2012

5. Le considérant 37 énonce :

« Afin de permettre aux citoyens de profiter, en toute sécurité juridique, des avantages offerts par le marché intérieur, le présent règlement devrait leur permettre de connaître à l’avance la loi applicable à leur succession. Des règles harmonisées de conflits de lois devraient être introduites pour éviter des résultats contradictoires. La règle principale devrait assurer que la succession est régie par une loi prévisible, avec laquelle elle présente des liens étroits. Pour des raisons de sécurité juridique et afin d’éviter le morcellement de la succession, cette loi devrait régir l’ensemble de la succession, c’est-à-dire l’intégralité du patrimoine composant la succession, quelle que soit la nature des biens et indépendamment du fait que ceux-ci sont situés dans un autre État membre ou dans un État tiers ».

6. Le considérant 38 indique :

« Le présent règlement devrait permettre aux citoyens d’organiser à l’avance leur succession en choisissant la loi applicable à leur succession. Ce choix devrait être limité à la loi d’un État dont ils possèdent la nationalité afin d’assurer qu’il existe un lien entre le défunt et la loi choisie et d’éviter que le choix d’une loi ne soit effectué avec l’intention de frustrer les attentes légitimes des héritiers réservataires. »

7. Le considérant 73 précise :

« Le respect des engagements internationaux souscrits par les États membres justifie que le présent règlement n’affecte pas l’application des conventions internationales auxquelles un ou plusieurs États membres sont parties au moment de l’adoption du présent règlement. [...] La cohérence avec les objectifs généraux du présent règlement commande toutefois que le règlement prévale entre États membres sur les conventions conclues exclusivement entre deux États membres ou plus, dans la mesure où ces conventions concernent des matières régies par le présent règlement. »

8. L’article 12 (« Limitation de la procédure »), paragraphe 1, se lit comme suit :

« Lorsque la masse successorale comprend des biens situés dans un État tiers, la juridiction saisie pour statuer sur la succession peut, à la demande d’une des parties, décider de ne pas statuer sur l’un ou plusieurs de ces biens si l’on peut s’attendre à ce que la décision qu’elle rendrait sur les biens en question ne soit pas reconnue ou, le cas échéant, ne soit pas déclarée exécutoire dans ledit État tiers. »

9. L’article 22 (« Choix de loi ») dispose, dans son paragraphe 1 :

« Une personne peut choisir comme loi régissant l’ensemble de sa succession la loi de l’État dont elle possède la nationalité au moment où elle fait ce choix ou au moment de son décès. »

10. L’article 75 (« Relations avec les conventions internationales existantes ») énonce :

« 1. Le présent règlement n’affecte pas l’application des conventions internationales auxquelles un ou plusieurs États membres sont parties lors de l’adoption du présent règlement et qui portent sur des matières régies par le présent règlement.

[…]

2. Nonobstant le paragraphe 1, le présent règlement prévaut, entre les États membres, sur les conventions conclues exclusivement entre deux ou plusieurs d’entre eux dans la mesure où ces conventions concernent des matières régies par le présent règlement.

[…] ».

B. Le droit polonais

11. L’article 37 de l’accord du 24 mai 1993 entre la République de Pologne et l’Ukraine sur l’assistance juridique et les relations juridiques en matière civile et pénale (ci-après l’« accord » ou « l’accord bilatéral »), dispose :

« Les rapports juridiques en matière de succession de biens mobiliers sont régis par la loi de la partie contractante dont le défunt était ressortissant au moment de son décès.

Les rapports juridiques en matière de succession de biens immobiliers sont régis par la loi de la partie contractante sur le territoire de laquelle ces biens sont situés.

La qualification des biens faisant partie de la succession en tant que biens mobiliers ou immobiliers est régie par la loi de la partie contractante sur le territoire de laquelle se trouvent les biens ».

II. Les faits, le litige et les questions préjudicielles

12. OP, de nationalité ukrainienne et résidant en Pologne, est copropriétaire d’un logement situé dans ce pays. Elle a demandé à un notaire en Pologne de dresser un testament qui inclurait, entre autres clauses, le choix de la loi ukrainienne pour régir sa succession.

13. Estimant que le choix de loi dans le testament serait contraire au droit (5), le notaire a refusé de dresser le testament. Il a invoqué les motifs de refus suivants :

— selon une ordonnance du Sąd Okręgowy w Opolu (tribunal régional d’Opole) du 28 février 2020, rendue dans une situation similaire, l’article 22 du règlement nº 650/2012 ne confère le droit de choisir la loi applicable qu’aux ressortissants des États membres de l’Union européenne ;

— indépendamment de cette interprétation de l’article 22 du règlement nº 650/2012, le choix de la loi applicable serait contraire à l’accord bilatéral, qui, selon ce notaire, prévaut sur les dispositions de ce règlement. L’accord n’a pas prévu la possibilité de choisir la loi applicable en matière de successions, laquelle, en vertu de l’article 37 dudit accord, sera, s’il s’agit de biens mobiliers, celle de l’État dont le défunt possède la nationalité, et, s’il s’agit de biens immobiliers, celle de l’État où ces biens sont situés.

14. OP a formé un recours contre le refus du notaire devant la juridiction de renvoi, au motif que celui-ci s’était fondé sur une lecture erronée des articles 22 et 75 du règlement nº 650/2012. Elle a fait valoir, en particulier, que :

— l’article 22 permet à « une personne » de choisir la loi de son pays comme loi applicable à la succession. Le règlement nº 650/2012 a un caractère universel, ainsi qu’il ressortirait de son article 20 ;

— l’article 75, paragraphe 1, du règlement nº 650/2012 vise à garantir la conformité de ce règlement aux obligations résultant d’accords qui lient les États membres à des pays tiers. Étant donné que l’accord bilatéral ne régit pas le choix de la loi de succession, l’application de l’article 22 du règlement nº 650/2012 n’est pas incompatible avec lui.

— elle aurait pu choisir la loi applicable conformément à l’article 22 du règlement nº 650/2012, en établissant une disposition à cause de mort dans un autre État membre dans lequel ce règlement est applicable et qui n’est pas lié par un accord bilatéral avec l’Ukraine ;

— l’interprétation du notaire est incompatible avec le principe de l’unité de la succession, car elle aboutirait à un morcellement de celle-ci.

15. Dans sa réponse, le notaire a insisté sur le fait que l’accord bilatéral crée un régime autonome pour déterminer la loi applicable à la succession. Ce régime prévaudrait sur celui prévu par le règlement nº 650/2012, y compris son article 22.

16. Dans ces circonstances, le Sąd Okręgowy w Opolu (tribunal régional d’Opole), appelé à trancher le litige, a adressé à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1) L’article 22 du [règlement nº 650/2012] doit-il être interprété en ce sens qu’une personne qui n’est pas citoyen de l’Union européenne est habilitée à choisir comme loi régissant l’ensemble de sa succession la loi de l’État dont elle possède la nationalité ?

2) Les dispositions combinées des articles 75 et 22 du règlement nº 650/2012 précité doivent-elle être interprétées en ce sens que, lorsqu’un accord bilatéral entre un État membre et un pays tiers ne régit pas le choix de la loi...

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