Opinion of Advocate General Emiliou delivered on 7 September 2023.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2023:646
Date07 September 2023
Celex Number62022CC0216
CourtCourt of Justice (European Union)

Édition provisoire

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. NICHOLAS EMILIOU

présentées le 7 septembre 2023 (1)

Affaire C216/22

A. A.

contre

Bundesrepublik Deutschland

[demande de décision préjudicielle formée par le Verwaltungsgericht Sigmaringen (tribunal administratif de Sigmaringen, Allemagne)]

« Renvoi préjudiciel – Espace de liberté, sécurité et justice – Asile – Directive 2013/32/UE – Procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale – Demande de protection internationale – Motifs d’irrecevabilité – Article 33, paragraphe 2, sous d) – Demande ultérieure de protection internationale – Circonstances dans lesquelles une demande ultérieure ne saurait être déclarée irrecevable – Arrêt de la Cour pertinent pour l’examen du point de savoir si le demandeur répond aux conditions requises pour prétendre au statut de bénéficiaire d’une protection internationale – Article 40 – Notion d’“éléments nouveaux” – Possibilité qu’un arrêt de la Cour constitue un tel élément nouveau – Article 46, paragraphe 1, sous a), ii) – Recours contre une décision par laquelle une demande ultérieure est déclarée irrecevable au titre de l’article 33, paragraphe 2, sous d) – Étendue du contrôle exercé par les juridictions nationales dans le cadre du recours – Garanties procédurales »






I. Introduction

1. Le nombre de demandes ultérieures de protection internationale présentées dans les États membres de l’Union européenne a connu une augmentation importante lors des dernières années (2). Ces demandes, qui sont définies comme des demandes « présentée[s] après qu’une décision finale a été prise sur une demande antérieure », formées par la même personne, font l’objet de règles de procédure particulières énoncées par la directive 2013/32 (3).

2. Plus précisément, les autorités nationales ont la faculté, en vertu de l’article 33, paragraphe 2, sous d), lu conjointement avec l’article 40 de cette directive, de déclarer irrecevables des demandes ultérieures. Toutefois, cette faculté est expressément subordonnée à la condition que n’apparaissent ou ne soient présentés par le demandeur « aucun élément [...] nouveau relatif[...] à l’examen visant à déterminer si le demandeur remplit les conditions requises pour prétendre au statut de bénéficiaire d’une protection internationale ». Partant, si de tels « élément[s] nouveau[x] » existent, une demande ultérieure ne saurait être déclarée irrecevable au titre de ces dispositions.

3. Le cas d’espèce qui nous occupe porte, notamment, sur l’interprétation de cette notion. A. A., le demandeur au principal, est un ressortissant syrien. En 2017, il a introduit une demande de protection internationale en Allemagne. Il s’est vu accorder le statut conféré par la protection subsidiaire, et non le statut de « réfugié ». En 2021, il a introduit une demande ultérieure devant la même autorité. S’il n’a présenté aucun nouvel élément de fait, il reste qu’il a indiqué que la Cour avait rendu un arrêt (4) après l’adoption de la décision statuant sur sa première demande, arrêt qui, selon lui, établit que, lors de l’examen de cette demande, l’autorité compétente a fait peser sur lui une charge de la preuve qui excédait celle requise par le droit de l’Union. Il soutient qu’eu égard à cet arrêt, il devrait se voir octroyer le statut de « réfugié ». C’est dans ce cadre que la Cour a l’occasion d’établir, notamment, les circonstances dans lesquelles un de ses arrêts, tel que celui sur lequel se fonde A. A., doit être qualifié d’« élément nouveau » au sens de l’article 33, paragraphe 2, sous d), de la directive 2013/32.

4. Dans les présentes conclusions, j’inviterai la Cour à suivre une approche fondée sur les motifs figurant dans son arrêt du 14 mai 2020, Országos Idegenrendészeti Főigazgatóság Dél-alföldi Regionális Igazgatóság (ci-après l’« arrêt du 14 mai 2020 ») (5). Dans cet arrêt, la Cour a jugé, pour la première fois, qu’une décision qu’elle a rendue constitue, dans certain es circonstances, un « élément nouveau » faisant obstacle au rejet d’une demande ultérieure pour irrecevabilité.

5. À cet égard, je m’appliquerai à préciser le sens de l’arrêt du 14 mai 2020, notamment quant au principe de l’autorité de la chose jugée et à l’objectif, qui découle de la directive 2013/32, d’alléger la charge administrative que connaîtraient les autorités nationales compétentes si elles étaient tenues d’entreprendre une procédure d’examen complet pour chaque demande ultérieure dont elles sont saisies. Comme je le soulignerai tout au long des présentes conclusions, le cas d’espèce qui nous occupe concerne, une fois de plus, l’équilibre délicat qui doit être trouvé entre cet objectif et l’impératif de s’assurer, dans tous les cas, que le principe de non‑refoulement est respecté et que les droits des demandeurs d’asile sont protégés comme il se doit.

II. Le cadre juridique

A. Le droit de l’Union

6. L’article 33 de la directive 2013/32, intitulé « Demandes irrecevables », dispose :

« 1. Outre les cas dans lesquels une demande n’est pas examinée en application du règlement (UE) nº 604/2013 [(6)], les États membres ne sont pas tenus de vérifier si le demandeur remplit les conditions requises pour prétendre à une protection internationale en application de la directive 2011/95/UE [(7)], lorsqu’une demande est considérée comme irrecevable en vertu du présent article.

2. Les États membres peuvent considérer une demande de protection internationale comme irrecevable uniquement lorsque :

[...]

d) la demande concernée est une demande ultérieure, dans laquelle n’apparaissent ou ne sont présentés par le demandeur aucun élément ou fait nouveau relatifs à l’examen visant à déterminer si le demandeur remplit les conditions requises pour prétendre au statut de bénéficiaire d’une protection internationale en vertu de la directive 2011/95/UE ; ou

[...] »

7. Aux termes de l’article 40 de cette directive, intitulé « Demandes ultérieures » :

« 1. Lorsqu’une personne qui a demandé à bénéficier d’une protection internationale dans un État membre fait de nouvelles déclarations ou présente une demande ultérieure dans ledit État membre, ce dernier examine ces nouvelles déclarations ou les éléments de la demande ultérieure dans le cadre de l’examen de la demande antérieure ou de l’examen de la décision faisant l’objet d’un recours juridictionnel ou administratif, pour autant que les autorités compétentes puissent, dans ce cadre, prendre en compte et examiner tous les éléments étayant les nouvelles déclarations ou la demande ultérieure.

2. Afin de prendre une décision sur la recevabilité d’une demande de protection internationale en vertu de l’article 33, paragraphe 2, point d), une demande de protection internationale ultérieure est tout d’abord soumise à un examen préliminaire visant à déterminer si des éléments ou des faits nouveaux sont apparus ou ont été présentés par le demandeur, qui se rapportent à l’examen visant à déterminer si le demandeur remplit les conditions requises pour prétendre au statut de bénéficiaire d’une protection internationale en vertu de la directive 2011/95/UE.

3. Si l’examen préliminaire visé au paragraphe 2 aboutit à la conclusion que des éléments ou des faits nouveaux sont apparus ou ont été présentés par le demandeur et qu’ils augmentent de manière significative la probabilité que le demandeur remplisse les conditions requises pour prétendre au statut de bénéficiaire d’une protection internationale en vertu de la directive 2011/95/UE, l’examen de la demande est poursuivi conformément au chapitre II. Les États membres peuvent également prévoir d’autres raisons de poursuivre l’examen d’une demande ultérieure.

[...]

5. Lorsque l’examen d’une demande ultérieure n’est pas poursuivi en vertu du présent article, ladite demande est considérée comme irrecevable conformément à l’article 33, paragraphe 2, point d).

[...] »

8. L’article 46 de la même directive, intitulé « Droit à un recours effectif », dispose, dans les passages qui nous intéressent :

« 1. Les États membres font en sorte que les demandeurs disposent d’un droit à un recours effectif devant une juridiction contre les actes suivants :

a) une décision concernant leur demande de protection internationale, y compris :

[...]

ii) les décisions d’irrecevabilité de la demande en application de l’article 33, paragraphe 2 ;

[...]

3. Pour se conformer au paragraphe 1, les États membres veillent à ce qu’un recours effectif prévoie un examen complet et ex nunc tant des faits que des points d’ordre juridique, y compris, le cas échéant, un examen des besoins de protection internationale en vertu de la directive 2011/95/UE, au moins dans le cadre des procédures de recours devant une juridiction de première instance.

[...] »

B. Le droit allemand

9. Les principales règles de fond et de procédure qui régissent les procédures en matière d’asile sont énoncées dans l’Asylgesetz (loi allemande relative au droit d’asile) du 26 juin 1992 (BGBl. 1992 I, p. 1126), telle que publiée le 2 septembre 2008 (BGBl. 2008 I, p. 1798), dans la version applicable au litige au principal (ci-après l’« AsylG »).

10. L’article 29 de l’AsylG, intitulé « Demandes irrecevables », énonce :

« 1. Une demande est irrecevable lorsque :

[...]

5. dans le cas d’une demande ultérieure au sens de l’article 71, il n’y a pas lieu de mener une nouvelle procédure d’asile. »

11. L’article 71 de cette loi, intitulé « Demande ultérieure », dispose :

« 1) Si, après le retrait ou le rejet définitif d’une demande d’asile antérieure, l’étranger introduit une nouvelle demande d’asile (demande ultérieure), une nouvelle procédure d’asile ne doit être menée que si les conditions prévues à l’article 51, paragraphes 1 à 3, de la Verwaltungsverfahrensgesetz [(loi allemande relative à la procédure administrative), telle que publiée le 23 janvier 2003 (BGBl. 2013 I, p. 102) (ci-après la “VwVfG”)] sont réunies ; l’examen incombe à l’Office fédéral [de la migration et des réfugiés] […] ».

12. La...

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