Minoo Schuch-Ghannadan contra Medizinische Universität Wien.

JurisdictionEuropean Union
Celex Number62018CC0274
ECLIECLI:EU:C:2019:547
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Date27 June 2019
CourtCourt of Justice (European Union)
Docket NumberC-274/18

Édition provisoire

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. GIOVANNI PITRUZZELLA

présentées le 27 juin 2019 (1)

Affaire C‑274/18

Minoo Schuch-Ghannadan

contre

Medizinische Universität Wien

[demande de décision préjudicielle formée par l’Arbeits- und Sozialgericht Wien (tribunal du travail et des affaires sociales de Vienne, Autriche)]

« Renvoi préjudiciel – Politique sociale – Égalité de traitement entre hommes et femmes en matière d’emploi et de travail – Limitation de la durée globale maximale des contrats de travail à durée déterminée successive – Discrimination indirecte fondée sur le sexe – Charge de la preuve »






1. Dans la demande de décision préjudicielle qui fait l’objet des présentes conclusions, l’Arbeits- und Sozialgericht Wien (tribunal du travail et des affaires sociales de Vienne, Autriche) pose à la Cour trois questions, portant, la première sur l’interprétation de la clause 4 de l’accord-cadre sur le travail à temps partiel, conclu le 6 juin 1997 (ci-après l’ « accord-cadre sur le travail à temps partiel ») (2), la deuxième sur l’interprétation de l’article 2, paragraphe 1, sous b), de la directive 2006/54/CE du Parlement européen et du Conseil, du 5 juillet 2006, relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité des chances et de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en matière d’emploi et de travail (3), et la troisième sur l’interprétation de l’article 19, paragraphe 1, de cette même directive.

I. Le litige au principal, les questions préjudicielles et la procédure devant la Cour

2. Le renvoi préjudiciel de l’Arbeits- und Sozialgericht Wien (tribunal du travail et des affaires sociales de Vienne) est intervenu dans le cadre d’une action intentée par Mme Minoo Schuch-Ghannadan contre la Medizinische Universität Wien (Université de médecine de Vienne, Autriche, ci-après la « MUW ») au sujet de la cessation de sa relation de travail avec celle-ci. Au soutien de son action, Mme Schuch-Ghannadan a, notamment, fait valoir que le régime mis en place conformément à l’article 109, paragraphe 2, de l’Universitätsgesetz de 2002 (loi autrichienne de 2002 sur les universités, ci-après l’« UG »), qui s’applique à la MUW (4), et qui a régi sa relation de travail avec celle-ci, est incompatible avec le droit de l’Union en ce qu’il instaure, d’une part, une discrimination entre travailleurs à temps partiel et travailleurs à temps plein et, d’autre part, et pour cette raison, une discrimination indirecte à l’égard des femmes. Aux termes de cette disposition, les relations de travail peuvent être conclues pour une durée indéterminée ou déterminée, les relations de travail à durée déterminée devant être limitées à six ans au maximum, sauf stipulation contraire de l’UG. Le paragraphe 2, dudit article prévoit qu’« [u]ne succession de [relations à] durée déterminée consécutives n’est licite que pour les travailleuses et les travailleurs employés dans le cadre de projets financés par des tiers ou de projets de recherche et pour le personnel affecté exclusivement à l’enseignement ainsi que le personnel de remplacement. La durée totale des relations de travail consécutives d’une travailleuse ou d’un travailleur ne peut dépasser [six] ans, ou [huit] ans dans le cas d’un emploi à temps partiel. Une prolongation unique pour une durée supplémentaire maximale de [dix] ans, et de [douze] ans au total dans le cas d’un emploi à temps partiel, est autorisée s’il existe une justification objective, notamment la poursuite ou l’achèvement de projets de recherche et de publications ».

3. Il ressort de l’ordonnance de renvoi que Mme Schuch-Ghannadan a été employée en tant que scientifique (5) par la MUW pendant une période allant du 9 septembre 2002 au 30 avril 2014 (avec une interruption du 1er septembre 2005 au 30 septembre 2006), en vertu de contrats à durée déterminée successifs en application de l’article 109, paragraphe 2, de l’UG, en partie à temps plein et en partie à temps partiel. Devant la juridiction de renvoi, Mme Schuch-Ghannadan demande la constatation de la continuation de sa relation de travail avec la MUW, en invoquant tant la violation de l’article 109, paragraphe 2, de l’UG, à défaut des conditions prévues à cette disposition pour proroger son contrat au-delà de la limite de huit ans, que, comme déjà rappelé, la contrariété de ladite disposition avec le droit de l’Union.

4. Par arrêt du 2 juin 2016, la juridiction de renvoi a rejeté la demande de Mme Schuch-Ghannadan, en considérant, d’une part, qu’il n’y avait pas eu violation de l’article 109, paragraphe 2, de l’UG et, d’autre part, que l’incompatibilité de cette disposition avec le droit de l’Union invoquée par la requérante au principal n’était pas pertinente puisque le libellé de celle-ci ne laissait aucune place à une interprétation conforme à la directive 2006/54. L’Oberlandesgericht Wien (tribunal régional supérieur de Vienne, Autriche), saisi par Mme Schuch‑Ghannadan, a annulé partiellement l’arrêt susmentionné du 2 juin 2016, en raison du défaut d’examen des arguments de Mme Schuch-Ghannadan tirés de l’incompatibilité de l’article 109, paragraphe 2, de l’UG avec le droit de l’Union, et a renvoyé l’affaire à l’Arbeits- und Sozialgericht Wien (tribunal du travail et des affaires sociales de Vienne).

5. Devant cette juridiction, la MUW a soutenu que la requérante au principal s’était contentée d’alléguer de manière non étayée l’existence d’une discrimination entre travailleurs à durée déterminée à temps partiel et à temps plein, sans préciser en quoi cette discrimination consistait. Elle fait valoir que la différence de durée d’une relation de travail à durée déterminée entre ces deux catégories de travailleurs ne pénalise pas les travailleurs à temps partiel, puisque ces derniers ont la possibilité de garder leur emploi plus longtemps, compte tenu de ce que les emplois permanents sont rares dans les universités. Quant à l’allégation de discrimination indirecte à l’égard des femmes, la MUW soutien qu’il incombait à la requérante au principal de prouver, données statistiques à l’appui, qu’un nombre plus important de femmes est concerné par la différence de traitement entre travailleurs à durée déterminée à temps partiel et à temps plein prévue à l’article 109, paragraphe 2, de l’UG. Les données concernant les travailleurs à durée déterminée relevant de cette disposition, employés par la MUW, ne permettraient pas d’étayer une telle discrimination.

6. C’est dans ce contexte que, par décision du 19 avril 2018, l’Arbeits- und Sozialgericht Wien (tribunal du travail et des affaires sociales de Vienne) a prononcé le sursis à statuer dans la procédure pendante devant lui et a posé les questions préjudicielles suivantes :

« 1) Le principe du prorata temporis visé à la clause 4, point 2, de [l’accord‑cadre sur le travail à temps partiel], combiné au principe de non-discrimination visé à la[dite] clause 4, point 1, est-il applicable à une disposition législative qui prévoit que la durée totale des relations de travail consécutives d’une travailleuse ou d’un travailleur d’une université autrichienne, employé(e) dans le cadre de projets financés par des tiers ou de projets de recherche, est de [six] ans pour les travailleurs employés à plein temps mais de [huit] ans en cas d’activité à temps partiel et, de surcroît, une nouvelle prolongation unique d’une durée totale allant jusqu’à [dix] ans pour les employés à plein temps et [douze] ans en cas d’activité à temps partiel est-elle autorisée s’il existe une justification objective, notamment pour la poursuite ou l’achèvement de projets de recherche ou de publications ?

2) Une disposition législative telle que celle décrite dans la première question constitue-t-elle une discrimination indirecte en raison du sexe au sens de l’article 2, paragraphe 1, sous b), de la directive [2006/54, lorsque, parmi tous les travailleurs employés auxquels s’applique cette disposition, celle-ci concerne un pourcentage considérablement plus important de femmes que d’hommes ?

3) L’article 19, paragraphe 1, de la directive [2006/54] doit-il être interprété en ce sens qu’une femme qui, dans le domaine d’application d’une disposition législative telle que celle décrite dans la première question, invoque une discrimination indirecte en raison du sexe, parce qu’un nombre sensiblement plus important de femmes que d’hommes sont employées à temps partiel, doit-elle établir la vraisemblance de cette circonstance, notamment le fait que, d’un point de vue statistique, les femmes sont davantage concernées, en présentant des statistiques précises ou des faits précis et en produisant des preuves appropriées ? »

7. L’affaire faisant l’objet des présentes conclusions a bénéficié d’observations écrites déposées par les parties au principal, par les gouvernements autrichien et portugais, ainsi que par la Commission européenne. Lors de l’audience qui s’est tenue devant la Cour le 7 mars 2019, Mme Schuch-Ghannadan, la MUW, le gouvernement autrichien ainsi que la Commission ont présenté leurs observations orales.

II. Analyse

A. Remarques liminaires

8. Dans les motifs de son ordonnance de renvoi, l’Arbeits- und Sozialgericht Wien (tribunal du travail et des affaires sociales de Vienne) a pris également en considération, en tant que paramètre de la légalité de l’article 109, paragraphe 2, de l’UG, outre l’accord‑cadre sur le travail à temps partiel et la directive 2006/54, l’accord-cadre sur le travail à durée déterminée, conclu le 18 mars 1999 (ci-après l’« accord-cadre sur le travail à durée déterminée ») (6), et, notamment, la clause 5 de cet accord, qui, en son paragraphe 1, exige des États membres qu’ils adoptent des mesures visant à prévenir les abus résultant de l’utilisation de contrats ou de relations de travail à durée déterminée successifs. Selon l’Arbeits- und Sozialgericht Wien (tribunal du travail et des affaires sociales de Vienne), l’article 109, paragraphe 2, de l’UG constitue une transposition « suffisante et...

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