Bastei Lübbe GmbH & Co. KG contra Michael Strotzer.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2018:400
Date06 June 2018
Celex Number62017CC0149
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Docket NumberC-149/17
62017CC0149

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MACIEJ SZPUNAR

présentées le 6 juin 2018 ( 1 )

Affaire C‑149/17

Bastei Lübbe GmbH & Co. KG

contre

Michael Strotzer

[demande de décision préjudicielle formée par le Landgericht München I (tribunal régional de Munich I, Allemagne)]

« Renvoi préjudiciel – Droit d’auteur et droits voisins – Directive 2001/29/CE – Respect des droits de propriété intellectuelle – Directive 2004/48/CE – Indemnisation en cas de partage de fichiers en violation du droit d’auteur – Connexion Internet accessible à des membres de la famille du détenteur – Exonération de la responsabilité du détenteur sans nécessité de préciser la nature de l’utilisation de la connexion par le membre de la famille »

Introduction

1.

Si le droit matériel de la propriété intellectuelle est partiellement harmonisé en droit de l’Union, les procédures tendant à réprimer les atteintes à ce droit et à réparer les préjudices qui en résultent relèvent, en principe, du droit interne des États membres. Le droit de l’Union pose toutefois certaines exigences allant au-delà du simple test d’effectivité normalement appliqué dans le cadre de l’autonomie procédurale des États membres.

2.

La présente affaire soulève la question de l’étendue de ces exigences et de leur articulation avec les droits fondamentaux. Cette problématique a déjà été soumise à la Cour mais la présente affaire donnera à celle-ci l’opportunité de développer et de préciser davantage sa jurisprudence à cet égard.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3.

L’article 3, paragraphes 1 et 2, sous b), de la directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2001, sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information ( 2 ) dispose :

« 1. Les États membres prévoient pour les auteurs le droit exclusif d’autoriser ou d’interdire toute communication au public de leurs œuvres, par fil ou sans fil, y compris la mise à la disposition du public de leurs œuvres de manière que chacun puisse y avoir accès de l’endroit et au moment qu’il choisit individuellement.

2. Les États membres prévoient le droit exclusif d’autoriser ou d’interdire la mise à la disposition du public, par fil ou sans fil, de manière que chacun puisse y avoir accès de l’endroit et au moment qu’il choisit individuellement :

[…]

b)

pour les producteurs de phonogrammes, de leurs phonogrammes ;

[…] »

4.

Selon l’article 8, paragraphes 1 et 2, de la même directive :

« 1. Les États membres prévoient des sanctions et des voies de recours appropriées contre les atteintes aux droits et obligations prévus par la présente directive et prennent toutes les mesures nécessaires pour en garantir l’application. Ces sanctions sont efficaces, proportionnées et dissuasives.

2. Chaque État membre prend les mesures nécessaires pour faire en sorte que les titulaires de droits dont les intérêts sont lésés par une infraction commise sur son territoire puissent intenter une action en dommages-intérêts […] »

5.

L’article 2, paragraphes 1 et 2, de la directive 2004/48/CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au respect des droits de propriété intellectuelle ( 3 ) dispose :

« 1. Sans préjudice des moyens prévus ou pouvant être prévus dans la législation communautaire ou nationale, pour autant que ces moyens soient plus favorables aux titulaires de droits, les mesures, procédures et réparations prévues par la présente directive s’appliquent, conformément à l’article 3, à toute atteinte aux droits de propriété intellectuelle prévue par la législation communautaire et/ou la législation nationale de l’État membre concerné.

2. La présente directive est sans préjudice des dispositions particulières concernant le respect des droits et les exceptions prévues par la législation communautaire dans le domaine du droit d’auteur et des droits voisins du droit d’auteur et notamment […] par la directive [2001/29], en particulier ses articles 2 à 6 et son article 8. »

6.

En vertu de l’article 3 de cette directive :

« 1. Les États membres prévoient les mesures, procédures et réparations nécessaires pour assurer le respect des droits de propriété intellectuelle visés par la présente directive. Ces mesures, procédures et réparations doivent être loyales et équitables, ne doivent pas être inutilement complexes ou coûteuses et ne doivent pas comporter de délais déraisonnables ni entraîner de retards injustifiés.

2. Les mesures, procédures et réparations doivent également être effectives, proportionnées et dissuasives et être appliquées de manière à éviter la création d’obstacles au commerce légitime et à offrir des sauvegardes contre leur usage abusif. »

7.

Selon l’article 6, paragraphe 1, première phrase, de la même directive :

« Les États membres veillent à ce que, sur requête d’une partie qui a présenté des éléments de preuve raisonnablement accessibles et suffisants pour étayer ses allégations et précisé les éléments de preuve à l’appui de ses allégations qui se trouvent sous le contrôle de la partie adverse, les autorités judiciaires compétentes puissent ordonner que ces éléments de preuve soient produits par la partie adverse, sous réserve que la protection des renseignements confidentiels soit assurée. »

8.

Enfin, aux termes de l’article 13, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive 2004/48 :

« Les États membres veillent à ce que, à la demande de la partie lésée, les autorités judiciaires compétentes ordonnent au contrevenant qui s’est livré à une activité contrefaisante en le sachant ou en ayant des motifs raisonnables de le savoir de verser au titulaire du droit des dommages-intérêts adaptés au préjudice que celui-ci a réellement subi du fait de l’atteinte. »

Le droit allemand

9.

L’article 97 de la Gesetz über Urheberrecht und verwandte Schutzrechte – Urheberrechtsgesetz (loi sur le droit d’auteur et les droits voisins) du 9 septembre 1965 dispose :

« 1. En cas de violation illicite du droit d’auteur ou d’un autre droit protégé par la présente loi, la personne lésée peut demander qu’il soit mis fin au préjudice ; en cas de risque de récidive, elle peut demander une injonction d’interdiction. Le droit d’obtenir une injonction d’interdiction existe également lorsqu’apparaît pour la première fois un risque d’infraction.

2. Celui qui commet l’infraction de manière intentionnelle ou par négligence doit indemniser la personne lésée pour le préjudice qui en résulte. Le calcul de l’indemnité peut également intégrer le gain que le contrefacteur a tiré de l’atteinte au droit. L’indemnisation peut également se calculer sur la base du montant que le contrefacteur aurait dû verser à titre de rémunération équitable s’il avait recueilli l’autorisation d’exploiter le droit méconnu. Les auteurs, éditeurs d’ouvrages scientifiques (article 70), photographes (article 72) et artistes exécutants (article 73) peuvent également solliciter une réparation pécuniaire du préjudice moral qui réponde à l’équité. »

Le cadre factuel, la procédure et les questions préjudicielles

10.

Bastei Lübbe AG, société de droit allemand, est titulaire, en tant que producteur de phonogrammes, des droits d’auteur et des droits voisins sur la version audio d’un livre.

11.

M. Michael Strotzer est détenteur d’une connexion Internet par le biais de laquelle, le 8 mai 2010, ce phonogramme a été partagé, aux fins de son téléchargement, à un nombre illimité d’utilisateurs d’une bourse d’échanges Internet (peer-to-peer). Un expert a attribué avec exactitude l’adresse IP à M. Strotzer.

12.

Par lettre du 28 octobre 2010, Bastei Lübbe a mis en demeure M. Strotzer de mettre fin à l’atteinte au droit d’auteur. Cette mise en demeure ayant été infructueuse, Bastei Lübbe a alors introduit devant l’Amtsgericht München (tribunal de district de Munich, Allemagne) un recours contre M. Strotzer, en tant que détenteur de l’adresse IP en cause, afin d’obtenir une indemnisation pécuniaire.

13.

Toutefois, M. Strotzer conteste avoir porté lui-même atteinte au droit d’auteur et soutient que sa connexion Internet était suffisamment sécurisée. En outre, il affirme que ses parents, qui vivent sous le même toit, avaient également accès à cette connexion mais que, à sa connaissance, ils n’avaient pas cette œuvre sur leur ordinateur, ignoraient l’existence de celle-ci et n’utilisaient pas le logiciel de bourse d’échanges en ligne. De plus, l’ordinateur aurait été éteint au moment de l’atteinte en cause.

14.

L’Amtsgericht München (tribunal de district de Munich) a rejeté l’action en indemnisation de Bastei Lübbe au motif que M. Strotzer ne pouvait être réputé avoir commis la prétendue atteinte aux droits d’auteur, car il avait indiqué que ses parents étaient également susceptibles d’avoir commis l’atteinte en cause. Bastei Lübbe a alors interjeté appel devant le Landgericht München I (tribunal régional de Munich I, Allemagne), la juridiction de renvoi dans la présente affaire.

15.

La juridiction de renvoi incline à retenir la responsabilité de M. Strotzer pour avoir commis l’atteinte alléguée au droit d’auteur en ce qu’il ne ressort pas de ses explications qu’un tiers aurait utilisé la connexion Internet au moment de cette atteinte, de sorte qu’il serait sérieusement susceptible de l’avoir commise. La juridiction de renvoi se trouve cependant confrontée à la jurisprudence du Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice, Allemagne) qui, selon elle, pourrait s’opposer à la condamnation du défendeur ( 4 ).

16.

En effet, selon la jurisprudence du Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice), telle qu’interprétée...

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