Conclusions de l'avocat général M. M. Szpunar, présentées le 5 mars 2020.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2020:181
Date05 March 2020
Celex Number62018CC0698
CourtCourt of Justice (European Union)

Édition provisoire

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MACIEJ SZPUNAR

présentées le 5 mars 2020 (1)

Affaires jointes C698/18 et C699/18

SC Raiffeisen Bank SA

contre

JB (C698/18)

et

BRD Groupe Société Générale SA

contre

KC (C699/18)

[demande de décision préjudicielle formée par le Tribunalul Specializat Mureş (tribunal spécialisé de Mureș, Roumanie)]

« Renvoi préjudiciel – Directive 93/13/CEE – Constatation du caractère abusif des clauses contractuelles – Contrat de crédit portant sur un prêt personnel – Modalités judiciaires – Action judiciaire de droit commun imprescriptible – Action judiciaire de droit commun personnelle, patrimoniale et prescriptible – Moment objectif de la connaissance par le consommateur de l’existence d’une clause abusive »






1. Les présentes demandes de renvoi préjudiciel portent sur l’interprétation de la directive 93/13/CEE (2) dans le contexte spécifique de contrats de crédit intégralement exécutés. Plus précisément, ces demandes permettront à la Cour de déterminer clairement si cette directive continue de s’appliquer après l’exécution intégrale d’un contrat et, le cas échéant, si une action en restitution des montants perçus en vertu des clauses contractuelles considérées comme abusives peut être soumise à un délai de prescription de trois ans qui commence à courir à partir du moment où le contrat a pris fin. Il s’agit ainsi, en substance, de déterminer l’étendue temporelle de la protection que ladite directive confère aux consommateurs.

I. Le cadre juridique

A. Le droit de l’Union

2. Selon l’article 2, sous b), de la directive 93/13, on entend par « consommateur » toute personne physique qui, dans les contrats relevant de cette directive, agit à des fins qui n’entrent pas dans le cadre de son activité professionnelle.

3. Aux termes de l’article 6, paragraphe 1, de ladite directive :

« Les États membres prévoient que les clauses abusives figurant dans un contrat conclu avec un consommateur par un professionnel ne lient pas les consommateurs, dans les conditions fixées par leurs droits nationaux, et que le contrat restera contraignant pour les parties selon les mêmes termes, s’il peut subsister sans les clauses abusives. »

B. Le droit roumain

4. L’article 1er, paragraphe 3, de la Legea nr. 193/2000 privind clauzele abuzive din contractele încheiate între profesioniști și consumatori (loi nº 193/2000 sur les clauses abusives dans les contrats conclus entre professionnels et consommateurs), du 6 novembre 2000 (Monitorul Oficial al României, nº 560 du 10 novembre 2000), republiée en 2012 (Monitorul Oficial al României, nº 543 du 3 août 2012), telle que modifiée en dernier lieu en 2014 (ci‑après la « loi nº 193/2000 »), interdit aux professionnels d’insérer des clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs. Par ailleurs, l’article 6 de cette loi prévoit que les clauses abusives ne produiront pas d’effets à l’égard du consommateur.

5. L’article 12, paragraphes 1 et 4, de ladite loi dispose :

« 1. En cas de constatation de l’utilisation de contrats d’adhésion contenant des clauses abusives, les organes de contrôle visés à l’article 8 saisissent le tribunal du domicile ou, selon le cas, du siège du professionnel, et demandent qu’il soit tenu de modifier les contrats en cours d’exécution en éliminant les clauses abusives.

[...]

4. Les dispositions des paragraphes 1 à 3 ne portent pas atteinte au droit du consommateur à qui un contrat d’adhésion contenant une clause abusive est opposé d’invoquer la nullité de la clause par voie d’action ou par voie d’exception, dans les conditions prévues par la loi. »

6. L’article 993 du Codul civil (code civil) de 1864, applicable à la date de conclusion des contrats dans les affaires au principal, prévoit, notamment, que celui qui, par erreur, se croyant débiteur, paie une dette a droit à répétition contre le créancier.

7. Aux termes de l’article 1er du Decretul nr. 167/1958 privitor la prescripția extinctivă (décret nº 167 concernant la prescription extinctive), du 10 avril 1958 (Monitorul Oficial al României, nº 19 du 21 avril 1958), republié :

« Le droit d’action, ayant un objet patrimonial, s’éteint par prescription s’il n’a pas été exercé dans le délai imparti par la loi.

L’extinction du droit d’action concernant un droit principal emporte l’extinction du droit d’action concernant les droits accessoires. »

8. Selon l’article 2 de ce décret, « [l]a nullité d’un acte juridique peut être invoquée à tout moment, par voie d’action ou par voie d’exception ».

9. L’article 7 dudit décret prévoit :

« La prescription commence à courir le jour où le droit d’action ou le droit de demander l’exécution forcée prend naissance.

Pour les obligations devant être remplies à la demande du créancier ainsi que pour celles dont le délai d’exécution n’est pas fixé, la prescription commence à courir le jour où le rapport juridique prend naissance. »

10. L’article 8 du même décret dispose :

« La prescription du droit d’action en réparation des dommages subis à la suite d’un fait illicite commence à courir le jour où la personne lésée a eu connaissance ou aurait dû avoir connaissance tant du dommage que de la personne qui en est responsable.

Les dispositions de l’alinéa précédent s’appliquent de même en cas d’enrichissement sans cause. »

II. Les litiges au principal et les questions préjudicielles

A. L’affaire C698/18, Raiffeisen Bank

11. Au mois de juin 2008, le demandeur dans l’affaire au principal a conclu avec SC Raiffeisen Bank SA (ci‑après « Raiffeisen Bank ») un contrat de crédit, pour une période de 84 mois venant à échéance en 2015, date à laquelle le crédit a été remboursé intégralement.

12. Estimant que certaines clauses contractuelles étaient abusives, le demandeur a saisi, en décembre 2016, la Judecătoria Târgu Mureş (tribunal de première instance de Târgu Mureş, Roumanie) d’un recours visant la constatation du caractère abusif desdites clauses, la restitution des sommes acquittées sur leur fondement ainsi que le paiement des intérêts légaux.

13. Raiffeisen Bank a invoqué, par voie d’exception, le défaut de qualité pour agir du demandeur, en faisant valoir que celui‑ci n’avait plus la qualité de consommateur au sens de la loi nº 193/2000 du fait que, à la date du dépôt de la requête, les relations contractuelles entre les parties avaient cessé, le contrat de crédit étant arrivé à terme au cours de l’année précédente en vertu de son exécution intégrale.

14. En première instance, la juridiction nationale a accueilli le recours du demandeur dans sa totalité.

15. Estimant que cette décision lui faisait grief, Raiffeisen Bank a interjeté appel devant la juridiction de renvoi, en réitérant l’argument selon lequel le demandeur avait perdu la qualité de consommateur antérieurement à l’action en justice, à la suite de la fin du contrat de crédit du fait de son exécution intégrale.

16. C’est dans ce contexte que le Tribunalul Specializat Mureş (tribunal spécialisé de Mureș, Roumanie) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes dans les deux affaires concernées :

« 1) Les dispositions de la [directive 93/13], à savoir les considérants 12, 21 et 23, l’article 2, sous b), l’article 6, paragraphe 1, l’article 7, paragraphe 2, et l’article 8 de cette directive, autorisent-elles, en application du principe d’autonomie procédurale associé aux principes d’équivalence et d’effectivité, un ensemble de moyens judiciaires, constitué d’une action judiciaire de droit commun imprescriptible tendant à faire constater le caractère abusif de clauses d’un contrat conclu avec un consommateur et d’une action judiciaire de droit commun personnelle, patrimoniale et prescriptible mettant en œuvre l’objectif de [ladite] directive, visant à éliminer les effets de toute obligation née et exécutée en vertu d’une clause dont le caractère abusif à l’égard d’un tel consommateur a été constaté ?

2) En cas de réponse affirmative à la première question, ces dispositions s’opposent-elles à une interprétation découlant de l’application du principe de sécurité des rapports juridiques civils selon laquelle le moment objectif à partir duquel le consommateur devrait ou aurait dû avoir connaissance de l’existence d’une clause abusive est le moment où le contrat de crédit, dans le cadre duquel il a la qualité de consommateur, prend fin ? »

B. L’affaire C699/18, BRD Groupe Société Générale

17. Au mois de mai 2003, le demandeur dans l’affaire au principal et une autre partie, en qualité de coemprunteur, ont conclu avec BRD Groupe Société Générale SA un contrat de crédit. Au mois de mars 2005, en raison d’un remboursement anticipé, le crédit a été considéré comme étant liquidé et le contrat de crédit a pris fin.

18. Plus de dix ans plus tard, en juillet 2016, le demandeur a saisi la Judecătoria Târgu Mureş (tribunal de première instance de Târgu Mureş) d’un recours visant à la constatation du caractère abusif des clauses de ce contrat. De plus, le demandeur a sollicité l’annulation de ces clauses et la restitution de tout montant acquitté en vertu de celles‑ci, ainsi que le paiement d’un intérêt légal relatif aux montants mis à la restitution.

19. BRD Groupe Société Générale a invoqué le fait que le demandeur n’avait plus la qualité de consommateur, en tenant compte du fait que, à la date du début de la procédure judiciaire, les relations entre les parties avaient pris fin et que le contrat était terminé depuis onze ans, par remboursement anticipé.

20. En première instance, la juridiction nationale a accueilli partiellement la demande.

21. Estimant que cette décision lui faisait grief, BRD Groupe Société Générale a introduit un appel devant la juridiction de renvoi, en réitérant l’argument selon lequel le demandeur avait perdu la qualité de consommateur antérieurement à l’action en justice depuis onze ans, à la suite de la fin du contrat de crédit par remboursement anticipé.

22. C’est...

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