Opinion of Advocate General Pikamäe delivered on 16 December 2021.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2021:1029
Date16 December 2021
Celex Number62019CC0898
CourtCourt of Justice (European Union)

Édition provisoire

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. PRIIT PIKAMÄE

présentées le 16 décembre 2021 (1)

Affaire C898/19 P

Irlande

contre

Commission européenne

« Pourvoi – Aides d’État – Aide mise à exécution par le Grand-Duché de Luxembourg – Décision déclarant l’aide incompatible avec le marché intérieur et illégale et ordonnant sa récupération – Décision fiscale anticipative (tax ruling) – Principe de pleine concurrence – Avantage – Cadre de référence – Imposition dite “normale” – Caractère sélectif – Présomption »






Table des matières


I. Introduction

II. Les antécédents du litige

A. Sur la décision anticipative accordée par les autorités fiscales luxembourgeoises à FFT et la procédure administrative devant la Commission

B. Sur la décision litigieuse

1. Description du contenu essentiel de la décision anticipative en cause

2. Description des règles luxembourgeoises pertinentes

3. Appréciation de la décision anticipative en cause

C. La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué

D. La procédure devant la Cour et les conclusions des parties au pourvoi

III. Sur le pourvoi

A. Sur les premier, troisième, quatrième et cinquième moyens

1. Sur le caractère opérant

2. Sur la recevabilité

3. Sur le bien-fondé

a) Observations liminaires sur l’avantage et la sélectivité en matière fiscale

1) Sur l’« importance accrue » de la détermination du cadre de référence dans le cas de mesures fiscales

2) Sur la détermination du cadre de référence (et de l’imposition « normale ») en matière fiscale

b) Sur le premier moyen

1) Arguments des parties

2) Appréciation

i) Observations liminaires sur l’origine du principe de pleine concurrence

ii) Sur le principe de pleine concurrence dans l’arrêt attaqué

iii) Sur le fondement du principe de pleine concurrence

iv) Sur la portée du principe de pleine concurrence et le principe de sécurité juridique

3) Conclusion sur le premier moyen

c) Sur le troisième moyen

1) Arguments des parties

2) Appréciation

d) Sur le quatrième moyen

1) Arguments des parties

2) Appréciation

e) Sur le cinquième moyen

1) Arguments des parties

2) Appréciation

B. Sur le deuxième moyen

1. Sur le caractère opérant

2. Sur le bien-fondé

IV. Sur le recours devant le Tribunal

V. Sur les dépens

VI. Conclusion


I. Introduction

1. Le « ruling fiscal » ou « rescrit fiscal » est une pratique courante permettant aux entreprises de solliciter de l’administration fiscale une « décision anticipative » concernant l’impôt dont elles seront redevables. Le terme « ruling » désigne, de manière générale, le fait pour une administration fiscale d’adopter, à la demande le plus souvent du contribuable, une position officielle sur l’application de certaines dispositions législatives en vigueur au regard d’une situation ou d’une ou plusieurs opérations qui n’ont pas encore produit d’effets fiscaux. Ainsi, les contribuables cherchent à obtenir des assurances liant l’administration quant au traitement fiscal de leurs opérations.

2. Dès le mois de juin 2014, la Commission européenne a lancé une série d’enquêtes visant à vérifier la conformité aux règles du traité sur les aides d’État des pratiques d’autorités fiscales de plusieurs États membres à l’égard d’entreprises multinationales, s’agissant, en particulier, de la répartition des bénéfices entre les différents États dans lesquels ces entreprises ont leurs activités. L’une de ces enquêtes a conduit à l’adoption de la décision relative à l’aide qui aurait été octroyée par les autorités fiscales luxembourgeoises au groupe Fiat (2).

3. Parallèlement, les révélations de l’enquête journalistique dite « Lux Leaks » ont, en novembre 2014, porté ce sujet à l’attention du grand public en suscitant des réactions le plus souvent outragées (3). À la suite de ces révélations, plusieurs responsables politiques ont entrepris, tant sur le plan européen que sur le plan international, des actions visant à remédier à ce qui était désormais perçu comme une entorse grave à l’équité fiscale. La plus récente de ces actions s’est concrétisée dans un accord créant un impôt global sur le revenu des entreprises multinationales (4).

4. Tout en ayant conscience du contexte politique, économique et même sociétal de la présente affaire, la Cour devra, dans son arrêt à venir, examiner à l’aune de seules considérations juridiques les questions que suscite l’approche retenue par la Commission dans la décision litigieuse. L’arrêt rendu par le Tribunal dans les affaires Luxembourg et Fiat Chrysler Finance Europe/Commission (5), qui a entériné cette approche, fait l’objet du présent pourvoi.

5. Le caractère novateur de l’approche de la Commission a notamment consisté à introduire le principe de pleine concurrence dans l’examen de l’existence d’un avantage économique. En raison de son fondement juridique contesté, l’introduction de cette notion dans l’analyse requise par l’article 107, paragraphe 1, TFUE conduira la Cour à s’interroger sur la frontière tracée par le traité entre l’autonomie fiscale des États membres et l’interdiction d’octroi des aides d’État.

II. Les antécédents du litige

A. Sur la décision anticipative accordée par les autorités fiscales luxembourgeoises à FFT et la procédure administrative devant la Commission

6. Le conseiller fiscal de Fiat Chrysler Finance Europe, anciennement dénommée Fiat Finance and Trade Ltd (ci-après « FFT »), a adressé aux autorités fiscales luxembourgeoises, le 14 mars 2012, une lettre sollicitant l’approbation d’un accord en matière de prix de transfert. Il leur a également soumis, à l’appui de cette demande, un rapport, de sa main, analysant les prix de transfert appliqués aux transactions effectuées par FFT.

7. Le 3 septembre 2012, les autorités fiscales luxembourgeoises ont adopté une décision anticipative répondant à la demande de FFT (ci-après la « décision anticipative en cause »). Cette décision était contenue dans un courrier indiquant que, « en ce qui concern[ait] la lettre, datée du 14 mars 2012, relative aux activités de financement intragroupe de FFT, il [était] confirmé que l’analyse des prix de transfert a[vait] été réalisée conformément à la circulaire 164/2 du 28 janvier 2011 et qu’elle respect[ait] le principe de pleine concurrence ».

8. Le 19 juin 2013, la Commission a envoyé au Grand-Duché de Luxembourg une première demande de renseignements concernant des informations détaillées sur les pratiques nationales en matière de décisions anticipatives. Cette première demande de renseignements a été suivie par de nombreux échanges entre le Grand-Duché de Luxembourg et la Commission jusqu’à l’adoption, par cette dernière, le 24 mars 2014, d’une décision enjoignant au Grand-Duché de Luxembourg de lui fournir des informations.

9. Le 11 juin 2014, la Commission a ouvert la procédure formelle d’examen prévue à l’article 108, paragraphe 2, TFUE concernant la décision anticipative en cause. Le 21 octobre 2015, la Commission a adopté la décision litigieuse déclarant que cette décision anticipative constitue une aide d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE.

B. Sur la décision litigieuse

1. Description du contenu essentiel de la décision anticipative en cause

10. La Commission a décrit la décision anticipative en cause comme avalisant une méthode d’affectation des bénéfices à FFT au sein du groupe automobile Fiat/Chrysler, ce qui permettait à FFT de déterminer annuellement le montant de l’impôt sur les sociétés dont elle était redevable au Grand-Duché de Luxembourg. La Commission a précisé que cette décision avait une valeur contraignante pour l’administration fiscale pendant une période de cinq ans, soit de l’exercice fiscal 2012 à l’exercice fiscal 2016 (6).

2. Description des règles luxembourgeoises pertinentes

11. La Commission a indiqué que la décision anticipative en cause avait été adoptée sur le fondement de l’article 164, paragraphe 3, du code des impôts sur les revenus luxembourgeois (loi du 4 décembre 1967 concernant l’impôt sur le revenu, telle que modifiée, ci-après le « code des impôts ») (7) et de la circulaire L.I.R. nº 164/2 du directeur des contributions luxembourgeois, du 28 janvier 2011 (ci-après la « circulaire nº 164/2 »). À cet égard, la Commission a relevé, d’une part, que cet article établissait le principe de pleine concurrence en droit fiscal luxembourgeois, selon lequel les transactions entre sociétés d’un même groupe devaient être rémunérées comme si elles avaient été conclues entre sociétés indépendantes négociant dans des circonstances comparables dans des conditions de pleine concurrence. D’autre part, elle a observé que la circulaire nº 164/2 précisait notamment comment déterminer une rémunération de pleine concurrence lorsque ces transactions ont été effectuées par les sociétés de financement de groupe (8).

3. Appréciation de ladécision anticipative en cause

12. S’agissant des troisième et quatrième conditions de l’existence d’une aide d’État, la Commission a estimé que la décision anticipative en cause conférait un avantage sélectif à FFT, dans la mesure où elle avait entraîné une réduction de l’impôt dû par l’intéressée au Luxembourg en s’écartant de l’impôt que celle-ci aurait dû payer en vertu du régime ordinaire de l’impôt sur les sociétés. Elle est parvenue à cette conclusion au terme d’un examen concomitant de l’avantage et de la sélectivité, structuré selon les trois étapes définies par la Cour pour établir si une mesure fiscale donnée doit être qualifiée de « sélective ».

13. Dans la première étape de son analyse, la Commission a considéré que le cadre de référence était le régime général de l’impôt sur les sociétés du Luxembourg et que l’objectif de ce régime était l’imposition des bénéfices de toutes les sociétés résidentes du Luxembourg. La différence dans le calcul des bénéfices imposables entre les sociétés autonomes et les sociétés intégrées n’avait, selon la Commission, aucune incidence sur cet objectif dans la mesure où ce dernier impliquait l’imposition des bénéfices de...

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