Conclusiones del Abogado General Sr. M. Campos Sánchez-Bordona, presentadas el 14 de julio de 2022.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2022:580
Date14 July 2022
Celex Number62022CC0242
CourtCourt of Justice (European Union)

Édition provisoire

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MANUEL CAMPOS SÁNCHEZ-BORDONA

présentées le 14 juillet 2022(1)

Affaire C242/22 (PPU)

TL,

En présence de :

Ministério Público

[demande de décision préjudicielle formée par le Tribunal da Relação de Évora (Cour d’appel d’Évora, Portugal)]

« Renvoi préjudiciel – Directives 2010/64/UE et 2012/13/UE – Champ d’application – Droit à l’interprétation, à la traduction et à l’information dans le cadre des procédures pénales – Notion de document essentiel – Déclaration d’identité et de résidence dans la langue de procédure que le suspect ou la personne poursuivie ne comprend pas – Absence d’interprétation et de traduction – Non-respect des conditions du sursis à l’exécution d’une condamnation pour s’être absenté du domicile désigné – Ordonnance définitive de révocation du sursis à l’exécution de la condamnation – Révocabilité – Chose jugée »






1. La présente demande de décision préjudicielle porte sur l’application des directives 2010/64/UE (2) et 2012/13/UE (3) dans le cadre d’une procédure pénale dans laquelle une juridiction portugaise a condamné à une peine d’emprisonnement de trois ans une personne (« TL ») de nationalité moldave qui ne comprend que le roumain, langue officielle dans son pays.

2. Au moyen de son jugement de condamnation, cette juridiction a décidé d’accorder un sursis à l’exécution de la peine, assorti de certaines conditions. L’une d’entre elles était que TL devait être joignable à la résidence qu’il avait indiquée dans la « déclaration d’identité et de résidence » (ci-après la « DIR »). TL n’ayant pas été trouvé à ce domicile, le sursis à exécution a été révoqué et il a été incarcéré aux fins de l’exécution de la peine.

3. Étant donné que, lors de l’établissement de la DIR et de la réalisation d’autres formalités procédurales, la présence d’un interprète et la traduction de certains documents en langue roumaine avaient été omises, le Tribunal da Relação de Évora (Cour d’appel d’Évora, Portugal) interroge la Cour sur l’interprétation des deux directives susmentionnées, en ce qui concerne la nullité des actes accomplis sans se conformer à leurs prescriptions.

I. Cadre juridique

A. Le droit de l’Union

1. Directive 2010/64

4. L’article 1er, intitulé « Objet et champ d’application », est libellé comme suit :

« 1. La présente directive définit des règles concernant le droit à l’interprétation et à la traduction dans le cadre des procédures pénales et des procédures relatives à l’exécution d’un mandat d’arrêt européen.

2. Le droit visé au paragraphe 1 s’applique aux personnes dès le moment où elles sont informées par les autorités compétentes d’un État membre, par notification officielle ou par tout autre moyen, qu’elles sont suspectées ou poursuivies pour avoir commis une infraction, jusqu’au terme de la procédure, qui s’entend comme la détermination définitive de la question de savoir si elles ont commis l’infraction, y compris, le cas échéant, la condamnation et la décision rendue sur tout appel.

[...] ».

5. L’article 2 (« Droit à l’interprétation ») prévoit :

« 1. Les États membres veillent à ce que les suspects ou les personnes poursuivies qui ne parlent ou ne comprennent pas la langue de la procédure pénale concernée se voient offrir sans délai l’assistance d’un interprète durant cette procédure pénale devant les services d’enquête et les autorités judiciaires, y compris durant les interrogatoires menés par la police, toutes les audiences et les éventuelles audiences intermédiaires requises.

[...] ».

6. L’article 3 (« Droit à la traduction des documents essentiels ») énonce :

« 1. Les États membres veillent à ce que les suspects ou les personnes poursuivies qui ne comprennent pas la langue de la procédure pénale concernée bénéficient, dans un délai raisonnable, de la traduction écrite de tous les documents essentiels pour leur permettre d’exercer leurs droits de défense et pour garantir le caractère équitable de la procédure.

2. Parmi ces documents essentiels figurent toute décision privative de liberté, toutes charges ou tout acte d’accusation, et tout jugement.

3. Les autorités compétentes décident cas par cas si tout autre document est essentiel. Les suspects ou les personnes poursuivies, ou leur conseil juridique, peuvent présenter une demande motivée à cet effet.

[...] ».

2. Directive 2012/13

7. Aux termes de l’article 2 (« Champ d’application ») :

« 1. La présente directive s’applique dès le moment où des personnes sont informées par les autorités compétentes d’un État membre qu’elles sont soupçonnées d’avoir commis une infraction pénale ou qu’elles sont poursuivies à ce titre, et jusqu’au terme de la procédure, qui s’entend comme la détermination définitive de la question de savoir si le suspect ou la personne poursuivie a commis l’infraction pénale, y compris, le cas échéant, la condamnation et la décision rendue sur tout appel.

[...] ».

8. L’article 3 (« Droit d’être informé de ses droits ») stipule :

« 1. Les États membres veillent à ce que les suspects ou les personnes poursuivies reçoivent rapidement des informations concernant, au minimum, les droits procéduraux qui figurent ci-après, tels qu’ils s’appliquent dans le cadre de leur droit national, de façon à permettre l’exercice effectif de ces droits :

[...]

d) le droit à l’interprétation et à la traduction ;

[...] ».

9. L’article 8 (« Vérification et voies de recours ») prévoit :

« [...]

2. Les États membres veillent à ce que les suspects ou les personnes poursuivies, ou leur avocat, aient le droit de contester, conformément aux procédures nationales, le fait éventuel que les autorités compétentes ne fournissent pas ou refusent de fournir des informations conformément à la présente directive. »

B. Le droit portugais. Código de processo penal (4)

10. Aux termes de l’article 57 (intitulé « Qualité d’‘arguido »), revêt le statut d’« arguido » toute personne à l’encontre de laquelle une accusation a été formulée ou une instruction a été requise dans le cadre d’une procédure pénale.

11. L’article 61 (« Droits et obligations durant la procédure »), paragraphe 1, sous h), reconnaît à l’« arguido », à tout stade de la procédure et sous réserve des exceptions prévues par la loi, le droit d’être informé, par l’autorité judiciaire ou par l’organe de police criminelle devant lesquels il est tenu de comparaître, des droits qui lui sont conférés.

12. L’article 92 (« Langue des actes et désignation d’un interprète ») prévoit l’utilisation de la langue portugaise pour les actes de procédure tant écrits qu’oraux ; toutefois, lorsqu’une personne qui ne connaît pas ou ne maîtrise pas cette langue est appelée à intervenir dans la procédure, un interprète est désigné.

13. L’article 113 (« Règles générales sur les significations ») prévoit à son paragraphe 10 que les significations destinées à l’« arguido » peuvent être adressées à son avocat ou à son défenseur. Sont exclues les significations qui concernent l’accusation, la décision d’instruction, la date prévue du procès et du jugement, ainsi que celles relatives à l’application de mesures de contrainte, lesquelles doivent également être notifiées à l’avocat.

14. L’article 119 (« Nullités irrémédiables ») comprend six cas de nullités auxquelles il ne saurait être remédié, qui doivent être relevées d’office à tout stade de la procédure.(5)

15. En vertu de l’article 120 (« Nullités devant être invoquées »), paragraphe 1, toute nullité autre que celles visées à l’article 119 doit être invoquée par l’intéressé. Le paragraphe 2 de cette disposition énumère les nullités dépendant de l’invocation, parmi lesquelles figure l’« absence de désignation d’un interprète, dans les cas où la loi le considère comme obligatoire » [(sous c)].

16. Conformément à l’article 120, paragraphe 3, les nullités devant être invoquées doivent être soulevées :

– S’agissant de la nullité d’un acte auquel l’intéressé assiste, avant l’achèvement de cet acte [(sous a)].

– S’agissant de la nullité relative à l’enquête ou à l’instruction, jusqu’à la clôture du débat de l’instruction préalable ou, en l’absence d’instruction, jusqu’à cinq jours après la notification de l’ordonnance de clôture de l’enquête [(sous c)].

17. L’article 196 (« Déclaration d’identité et de résidence ») dispose que l’autorité judiciaire ou l’organe de police criminelle exigent une DIR de toute personne ayant acquis le statut d’« arguido ». Aux fins des significations, cette personne doit indiquer son lieu de résidence, de travail ou tout autre domicile de son choix.

18. Selon l’article 196, paragraphe 3, la DIR doit indiquer que l’« arguido » a été informé de ce qui suit :

– Il est tenu de comparaître devant l’autorité compétente ou de rester à sa disposition, chaque fois que la loi l’y oblige ou qu’une signification lui a été adressée à cet effet.

– Il a l’obligation de ne pas changer de résidence ni de s’en absenter pendant plus de cinq jours sans notifier sa nouvelle adresse ou le lieu où il peut être trouvé.

– Les notifications ultérieures sont faites par simple voie postale à la résidence indiquée, à moins que la personne poursuivie n’en communique une autre par demande remise ou envoyée par lettre recommandée au greffe de la juridiction dans laquelle la procédure est alors en cours.

– Le non‑respect du contenu des points précédents légitime qu’il soit représenté par son défenseur pour tous les actes de procédure auxquels il a le droit ou le devoir d’assister en personne, et il légitime également que l’audience soit tenue en son absence, conformément à l’article 333.

19. L’article 495 (« Non-respect des conditions du sursis à exécution ») régit les démarches qui peuvent conduire à la révocation du sursis à l’exécution de la peine.

II. Les faits, le litige et la question préjudicielle

20. Le 10 juillet 2019, l’ordonnance conférant le statut d’« arguido » à TL, qui ne comprend ni ne s’exprime dans la langue portugaise, a été rendue.

21. Cet acte a été « rédigé...

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