Global Ink Trade Kft. contra Nemzeti Adó- és Vámhivatal Fellebbviteli Igazgatósága.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2024:6
Date11 January 2024
Docket NumberC-537/22
Celex Number62022CJ0537
CourtCourt of Justice (European Union)
62022CJ0537

ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

11 janvier 2024 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) – Directive 2006/112/CE – Refus du droit à déduction – Obligations de l’assujetti – Devoir de diligence – Charge de la preuve – Principes de neutralité fiscale et de sécurité juridique – Primauté du droit de l’Union – Contradiction entre la jurisprudence d’une juridiction nationale et le droit de l’Union »

Dans l’affaire C‑537/22,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la Fővárosi Törvényszék (cour de Budapest-Capitale, Hongrie), par décision du 31 mai 2022, parvenue à la Cour le 11 août 2022, dans la procédure

Global Ink Trade Kft.

contre

Nemzeti Adó- és Vámhivatal Fellebbviteli Igazgatósága,

LA COUR (première chambre),

composée de M. A. Arabadjiev, président de chambre, MM. T. von Danwitz (rapporteur), P. G. Xuereb, A. Kumin et Mme I. Ziemele, juges,

avocat général : M. A. M. Collins,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

pour le gouvernement hongrois, par M. M. Z. Fehér et Mme K. Szíjjártó, en qualité d’agents,

pour la Commission européenne, par Mme J. Jokubauskaitė et M. A. Sipos, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation du principe de primauté du droit de l’Union ainsi que de l’article 167, de l’article 168, sous a), et de l’article 178, sous a), de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO 2006, L 347, p. 1, ci‑après la « directive TVA »), lus à la lumière des principes de neutralité fiscale et de sécurité juridique.

2

Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Global Ink Trade Kft. à la Nemzeti Adó- és Vámhivatal Fellebbviteli Igazgatósága (direction des recours de l’Office national des impôts et des douanes, Hongrie) (ci-après l’« administration fiscale »), au sujet du refus par cette dernière du bénéfice du droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) afférente à des acquisitions de biens.

Le cadre juridique

3

L’article 167 de la directive TVA dispose que le droit à déduction prend naissance au moment où la taxe déductible devient exigible.

4

Aux termes de l’article 168, sous a), de cette directive :

« Dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de ses opérations taxées, l’assujetti a le droit, dans l’État membre dans lequel il effectue ces opérations, de déduire du montant de la taxe dont il est redevable les montants suivants :

a)

la TVA due ou acquittée dans cet État membre pour les biens qui lui sont ou lui seront livrés et pour les services qui lui sont ou lui seront fournis par un autre assujetti ;

[...] »

5

En vertu de l’article 178, sous a), de ladite directive, pour pouvoir exercer le droit à la déduction visée à l’article 168, sous a), de celle-ci, l’assujetti doit détenir une facture établie conformément aux exigences énoncées par cette même directive.

6

L’article 273, premier alinéa, la directive TVA dispose :

« Les États membres peuvent prévoir d’autres obligations qu’ils jugeraient nécessaires pour assurer l’exacte perception de la TVA et pour éviter la fraude, sous réserve du respect de l’égalité de traitement des opérations intérieures et des opérations effectuées entre États membres par des assujettis, et à condition que ces obligations ne donnent pas lieu dans les échanges entre les États membres à des formalités liées au passage d’une frontière. »

Le litige au principal et les questions préjudicielles

7

Global Ink Trade exerce une activité de commerce de gros en Hongrie. Au cours d’une période s’étendant du mois de juillet 2012 au mois de juin 2013, cette entreprise a acquis diverses fournitures de bureau. La plupart des factures afférentes à ces acquisitions mentionnent que le fournisseur des biens concernés était l’entreprise hongroise Office Builder Kft.

8

Lors de vérifications effectuées auprès d’Office Builder, l’administration fiscale a relevé, notamment, que celle-ci n’exerçait pas d’activité économique réelle et qu’elle n’avait pas respecté ses obligations fiscales. Le gérant de cette entreprise, incarcéré dans un établissement pénitentiaire en mars 2013, aurait nié avoir établi une quelconque facture et entretenu une quelconque correspondance avec Global Ink Trade. En outre, cette même administration a constaté que l’adresse électronique utilisée pour les échanges entre Office Builder et Global Ink Trade ne correspondait pas à l’adresse électronique officielle d’Office Builder.

9

L’administration fiscale a également interrogé des témoins, qui auraient confirmé que les biens concernés avaient été livrés à Global Ink Trade. Le gérant de cette dernière aurait déclaré être entré en relation commerciale avec Office Builder à la suite d’une annonce publiée par ce dernier dans un journal local, ainsi qu’avoir vérifié les données de cette entreprise au registre du commerce et rencontré en personne un représentant de celle-ci, tous les échanges ultérieurs s’étant cependant déroulés par courriel.

10

Sur la base des preuves collectées, l’administration fiscale a estimé que les factures prétendument émises par Office Builder et adressées à Global Ink Trade n’étaient pas crédibles, dès lors que le gérant d’Office Builder avait expressément nié les avoir émises. Ainsi, cette administration en a déduit que les opérations décrites sur ces factures n’avaient pas eu lieu entre ces deux entreprises. Par conséquent, ladite administration a décidé de refuser à Global Ink Trade le droit de déduire la TVA figurant sur lesdites factures au motif, entre autres, que celle-ci n’avait pas fait preuve de la diligence requise dans l’exercice de son activité, notamment en omettant de s’informer à suffisance quant à l’identité réelle de son fournisseur et quant au respect, par celui-ci, de ses obligations fiscales, s’étant ainsi rendue coupable de fraude passive.

11

Global Ink Trade a formé un recours contre cette décision devant la Fővárosi Törvényszék (cour de Budapest-Capitale, Hongrie), qui est la juridiction de renvoi, en faisant valoir que le refus de l’administration fiscale d’accorder le droit à déduction de la TVA relative aux factures en cause serait fondé sur des faits non établis et que cette administration aurait méconnu le fait qu’elle supportait la charge de la preuve.

12

Dans ce contexte, la juridiction de renvoi constate que les dispositions pertinentes de la directive TVA ont été interprétées par la Cour dans des affaires semblables, rrelatives à la Hongrie, dans les ordonnances du 3 septembre 2020, Vikingo Fővállalkozó (C‑610/19, EU:C:2020:673, ci-après « l’ordonnance Vikingo Fővállalkozó »), et Crewprint (C‑611/19, EU:C:2020:674, ci-après « l’ordonnance Crewprint »). Or, d’après cette juridiction, la Kúria (Cour suprême, Hongrie) continuerait à appliquer sa jurisprudence antérieure à ces ordonnances, laquelle semble restreindre le droit à déduction de la TVA par des exigences qui ne trouvent pas de fondement dans la directive TVA, au motif que lesdites ordonnances ne sauraient comporter d’éléments nouveaux pour l’interprétation du droit de l’Union.

13

En particulier, la jurisprudence de la Kúria (Cour suprême) aurait pour effet d’imposer à tout assujetti de procéder à des vérifications complexes et approfondies relatives à ses fournisseurs, notamment quant au respect, par ceux-ci, de leurs propres obligations de déclaration et de paiement de la TVA, alors qu’il ressortirait de l’ordonnance Vikingo Fővállalkozó que ces vérifications ne sauraient être mises à la charge de l’assujetti qui exerce son droit à déduction de la TVA. Il existerait, ainsi, une divergence entre les juridictions hongroises quant aux conséquences à tirer de la jurisprudence de la Cour. Dans ce contexte, l’administration fiscale continuerait, elle aussi, à appliquer des exigences incompatibles avec les dispositions de la directive TVA, telles qu’interprétées par la Cour. Ces exigences seraient, en outre, contraires à la circulaire publiée par cette administration à l’attention des assujettis, ce qui porterait atteinte, selon la juridiction de renvoi, au principe de sécurité juridique. Parmi lesdites exigences figurerait, notamment, l’obligation d’entretenir des contacts personnels avec chaque fournisseur ainsi que celle d’utiliser exclusivement l’adresse électronique officielle de celui-ci.

14

La juridiction de renvoi étant, en principe, liée par les arrêts de la Kúria (Cour suprême) et obligée de motiver tout écart d’appréciation en droit par rapport à ces arrêts, lesquels ont valeur de précédent obligatoire, elle s’interroge sur le point de savoir si, eu égard au principe de primauté du droit de l’Union, elle doit effectivement écarter les arrêts de la Kúria (Cour suprême) qui lui paraissent incompatibles avec les dispositions de la directive TVA, telles qu’interprétées par la Cour dans les ordonnances Vikingo Fővállalkozó et Crewprint.

15

C’est dans ce contexte que la Fővárosi Törvényszék (cour de Budapest-Capitale) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)

Le fait pour la juridiction nationale de dernière instance d’interpréter une décision de la Cour, rendue par voie d’ordonnance sur renvoi préjudiciel, dont l’objet est précisément la jurisprudence...

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