Mead Johnson Nutrition (Asia Pacific) Pte Ltd and Others v European Commission.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:T:2022:217
Docket NumberT-508/19
Date06 April 2022
Celex Number62019TJ0508
CourtGeneral Court (European Union)
62019TJ0508

ARRÊT DU TRIBUNAL (deuxième chambre élargie)

6 avril 2022 ( *1 )

« Aides d’État – Régime d’aides mis en œuvre par le gouvernement de Gibraltar concernant l’impôt sur les sociétés – Exonération fiscale pour des revenus générés par des intérêts et des redevances de propriété intellectuelle – Décisions fiscales anticipées au profit d’entreprises multinationales – Décision de la Commission déclarant les aides incompatibles avec le marché intérieur – Obligation de motivation – Erreur manifeste d’appréciation – Avantage sélectif – Droit de présenter des observations »

Dans l’affaire T‑508/19,

Mead Johnson Nutrition (Asia Pacific) Pte Ltd, établie à Singapour (Singapour),

MJN Global Holdings BV, établie à Amsterdam (Pays-Bas),

Mead Johnson BV, établie à Nimègue (Pays-Bas),

Mead Johnson Nutrition Co., établie à Chicago, Illinois (États-Unis),

représentées par M. C. Quigley, barrister, MM. M. Whitehouse et P. Halford, solicitors,

parties requérantes,

contre

Commission européenne, représentée par MM. L. Flynn, B. Stromsky et Mme P. Němečková, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande fondée sur l’article 263 TFUE et tendant à l’annulation partielle de la décision (UE) 2019/700 de la Commission, du 19 décembre 2018, concernant l’aide d’État SA.34914 (2013/C) mise à exécution par le Royaume-Uni en ce qui concerne le régime d’imposition des sociétés de Gibraltar (JO 2019, L 119, p. 151),

LE TRIBUNAL (deuxième chambre élargie),

composé de Mme V. Tomljenović (rapporteure), présidente, M. F. Schalin, Mme P. Škvařilová‑Pelzl, M. I. Nõmm et Mme G. Steinfatt, juges,

greffier : M. I. Pollalis, administrateur,

vu la phase écrite de la procédure et à la suite de l’audience du 28 juin 2021,

rend le présent

Arrêt

I. Antécédents du litige

A. Adoption de l’Income Tax Act de 2010 et octroi de la décision fiscale anticipée de MJN GibCo de 2012

1

Le 1er janvier 2011, l’Income Tax Act de 2010 (loi relative à l’imposition des sociétés de Gibraltar de 2010, ci-après l’« ITA 2010 »), est entré en vigueur et a abrogé l’Income Tax Act de 1952 (loi relative à l’imposition des sociétés de Gibraltar de 1952, ci‑après l’ « ITA 1952 »). L’ITA 2010 a instauré un taux général d’imposition des sociétés de 10 %. Jusqu’à la modification de l’ITA 2010, entrée en vigueur le 30 juin 2013 en ce qui concerne les revenus générés par des intérêts passifs, puis le 31 décembre de la même année en ce qui concerne les revenus générés par des redevances (ci-après la « modification de 2013 de l’ITA 2010 »), ces revenus n’étaient pas inclus dans les catégories de revenus imposables à Gibraltar listées à l’annexe 1 de l’ITA 2010.

2

Jusqu’à sa dissolution, le 16 octobre 2018, MJN Holdings (Gibraltar) Ltd (ci-après « MJN GibCo ») était une société établie à Gibraltar, appartenant au groupe international Mead Johnson Nutrition (ci-après le « groupe MJN »), actif dans la fabrication de produits nutritionnels infantiles ou à destination des enfants. MJN GibCo avait pour activité la détention, en qualité d’associé commanditaire, d’une participation dans le capital de Mead Johnson Three CV (ci-après « MJT CV »), une société en commandite simple de droit néerlandais (commanditaire vennootschap, ci-après « CV néerlandaise »), établie aux Pays‑Bas jusqu’à sa dissolution, le 15 décembre 2017.

3

MJT CV détenait des licences de droits de propriété intellectuelle (notamment des brevets, des marques et des informations techniques) sur lesquels elle concédait, moyennant le versement de redevances, des sous-licences à Mead Johnson BV (ci-après « MJ BV »), une société de droit néerlandais.

4

Les actionnaires de MJT CV étaient, d’une part, MJN GibCo (à 99,99 %) et, d’autre part, MJN Asia Pacific Holding LLC (à 0,01 %), une société à responsabilité limitée de droit américain. La participation de MJN GibCo dans le capital de MJT CV lui ouvrait droit à 99,99 % des bénéfices de cette dernière.

5

Jusqu’en juin 2017, la société mère du groupe MJN était Mead Johnson Nutrition Co. (ci-après « MJN US »), une société établie au Delaware (États-Unis). Mead Johnson Nutrition (Asia Pacific) Pte Ltd, établie à Singapour (Singapour) et ayant pour activité la fabrication et la vente de produits nutritionnels infantiles, était, quant à elle, la société mère à 100 % de MJN GibCo, jusqu’à la dissolution de cette dernière.

6

Le 11 septembre 2012, à la suite d’une demande introduite le même jour par les avocats de MJN US, la société mère du groupe MJN (ci-après la « demande de décision fiscale anticipée »), les autorités fiscales de Gibraltar ont octroyé à MJN GibCo une décision fiscale anticipée confirmant la non-imposition, à l’égard de MJN GibCo, des revenus de MJT CV générés par des redevances (ci-après la « DFA de MJN GibCo de 2012 »).

7

La demande de décision fiscale anticipée précisait que MJT CV était considérée comme une société en commandite au regard du droit fiscal de Gibraltar. Selon les auteurs de la demande de décision fiscale anticipée, une telle société étant transparente au regard de la fiscalité de Gibraltar, tout revenu généré par une redevance perçue par MJT CV devait être considéré comme étant perçu directement par MJN GibCo. Il était néanmoins indiqué que, selon eux, tout revenu généré par des redevances qui pourrait être perçu ne relèverait pas des catégories de revenus imposables au titre de l’ITA 2010 (« heads of charge taxable under the ITA 2010 »). Ainsi, il était demandé aux autorités de Gibraltar de confirmer cette interprétation de l’ITA 2010 ainsi que le fait que tout revenu généré par des redevances qui serait perçu par MJN GibCo, du fait de sa participation dans MJT CV, ne donnerait lieu à aucun assujettissement à l’impôt.

8

Par la DFA de MJN GibCo de 2012, les services de l’impôt sur le revenu (Income Tax Office) ont répondu que, « sur la base des faits et circonstances présentés dans la [demande de décision fiscale anticipée], [il était] confirmé, au nom du commissaire [de l’impôt sur le revenu de Gibraltar], que […] les futurs revenus générés par des redevances perçus par [MNJ GibCo] ne [seraient] pas assujettis à l’impôt en vertu des dispositions de [l’ITA 2010] ».

B. Procédure administrative devant la Commission

9

Le 1er juin 2012, le Royaume d’Espagne a déposé une plainte auprès de la Commission européenne au sujet de l’aide d’État prétendument reçue par les sociétés offshore de Gibraltar dans le cadre du régime fiscal établi par l’ITA 2010.

10

Le 16 octobre 2013, la Commission a ouvert la procédure formelle d’examen (ci-après la « décision d’ouverture de la procédure »), afin de vérifier si la non-imposition (« exonération fiscale » dans le texte de ladite décision) des revenus générés par les intérêts passifs et par les redevances de propriété intellectuelle, prévue par l’ITA 2010, avantageait de manière sélective certaines entreprises, en violation des règles de l’Union européenne en matière d’aides d’État.

11

Le 1er octobre 2014, la Commission a informé le Royaume-Uni de sa décision d’étendre la procédure établie à l’article 108, paragraphe 2, TFUE, afin d’inclure dans celle-ci la pratique des décisions fiscales anticipées à Gibraltar et, plus particulièrement, l’adoption de 165 décisions fiscales anticipées (ci-après la « décision d’étendre la procédure »).

C. Décision attaquée

12

Le 19 décembre 2018, la Commission a adopté la décision (UE) 2019/700, du 19 décembre 2018, concernant l’aide d’État SA.34914 (2013/C) mise à exécution par le Royaume-Uni en ce qui concerne le régime d’imposition des sociétés de Gibraltar (JO 2019, L 119, p. 151, ci-après la « décision attaquée »). En substance, la Commission a constaté, d’une part, que l’ « exonération » des revenus générés par les intérêts passifs et par les redevances, applicable à Gibraltar entre 2011 et 2013 au titre de l’ITA 2010, constituait un régime d’aides d’État illégalement mis en œuvre et incompatible avec le marché intérieur et, d’autre part, que le traitement fiscal octroyé par le gouvernement de Gibraltar sur la base de décisions fiscales anticipées accordées à cinq sociétés établies à Gibraltar détenant une participation dans des CV néerlandaises et percevant des revenus générés par des intérêts passifs et par des redevances de propriété intellectuelle (ci-après les « cinq décisions fiscales anticipées ») constituait des aides d’État individuelles illégales et incompatibles avec le marché intérieur.

1. « Exonération » des revenus générés par des intérêts passifs et par des redevances (régime d’aides)

13

Dans la décision d’ouverture de la procédure, la Commission avait conclu, à titre préliminaire, que l’« exonération » des revenus générés par des intérêts passifs (ci-après la « non-imposition des revenus générés par des intérêts passifs ») et l’« exonération » des revenus générés par des redevances (ci-après la « non-imposition des revenus générés par des redevances ») constituaient chacune un régime d’aides. Afin de tenir compte de la modification de 2013 de l’ITA 2010 aux termes de laquelle les revenus générés par des redevances et par des intérêts passifs ont été introduits parmi les catégories de revenus imposables à Gibraltar listées à l’annexe 1 de l’ITA 2010, intervenue postérieurement à la décision d’ouverture de la procédure, la Commission a limité le champ d’application de la décision attaquée aux revenus générés par des intérêts passifs et par des redevances reçus ou à recevoir entre l’entrée en vigueur de l’ITA 2010 (le 1er janvier 2010) et le 30 juin 2013 (pour les revenus générés par des intérêts passifs ) ou le 31 décembre 2013 (pour les revenus générés par des redevances).

14

S’agissant de...

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