Opinion of Advocate General Tanchev delivered on 19 December 2018.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2018:1040
Docket NumberC-159/18
Celex Number62018CC0159
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Date19 December 2018
62018CC0159

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. EVGENI TANCHEV

présentées le 19 décembre 2018 ( 1 )

Affaire C‑159/18

André Moens

contre

Ryanair Ltd

[demande de décision préjudicielle formée par le juge de paix du troisième canton de Charleroi (Belgique)]

« Renvoi préjudiciel – Transports aériens – Règlement (CE) no 261/2004 – Indemnisation des passagers en cas de refus d’embarquement et d’annulation ou de retard important d’un vol – Droit à indemnisation – Exonération – Notion de “circonstances extraordinaires” – Fermeture d’une piste de décollage due à un déversement d’essence »

1.

Par le présent renvoi préjudiciel, le juge de paix du troisième canton de Charleroi (Belgique) adresse à la Cour une nouvelle demande de clarification de la notion de « circonstances extraordinaires » au sens de l’article 5, paragraphe 3, du règlement (CE) no 261/2004 ( 2 ), concernant en l’espèce un déversement d’essence sur une piste de décollage ayant entraîné la fermeture de cette dernière. J’ai examiné cette notion de manière assez détaillée dans mes conclusions récentes dans l’affaire Germanwings (C‑501/17, EU:C:2018:945, points 26 à 87). Comme les questions soulevées dans la présente affaire sont dans le prolongement de celles examinées dans l’affaire Germanwings, dans le souci d’éviter des répétitions inutiles, je m’appuierai sur l’analyse présentée dans ces conclusions et me contenterai d’examiner les questions spécifiques à la présente affaire.

I. Le cadre juridique

2.

Pour les mêmes raisons, je renvoie aux dispositions pertinentes du règlement no 261/2004 citées aux points 4 à 7 des conclusions dans l’affaire Germanwings (qui sont les mêmes qu’en l’espèce).

II. Les faits à l’origine du litige au principal et les questions préjudicielles

3.

M. André Moens avait réservé, auprès de Ryanair Ltd, un vol de Venise (Trévise, Italie) à Charleroi fixé le 21 décembre 2015. L’avion devait décoller à 17 heures et atterrir à 18 heures 40. Il est arrivée à Charleroi avec quatre heures et vingt-trois minutes de retard. C’est pourquoi, la société Claim It, dûment mandatée par M. Moens, a adressé une demande de paiement d’indemnité de 250 euros due en application du règlement no 261/2004. Ensuite, le conseil de M. Moens a envoyé une mise en demeure de payer à Ryanair. La société a refusé d’indemniser M. Moens, considérant qu’elle pouvait se prévaloir de « circonstances extraordinaires ». La circonstance en cause en l’espèce, le déversement d’essence sur la piste de décollage, a entraîné la fermeture de cette piste pendant plus de deux heures, qui a causé à son tour le retard du vol de M. Moens.

4.

La juridiction de renvoi a des doutes quant à la qualification de la circonstance en cause en l’espèce en tant que « circonstance extraordinaire », c’est pourquoi elle a décidé de saisir la Cour des questions préjudicielles suivantes :

« 1)

Si la circonstance en cause dans l’actuel litige, soit le déversement d’essence sur une piste de décollage ayant entraîné la fermeture de cette piste [ci-après l’“évènement en cause”], relève de la notion d’“évènement”, au sens du point 22 de l’arrêt du 22 décembre 2008, Wallentin-Hermann (C‑549/07, EU:C:2008:771), ou de celle de “circonstance extraordinaire”, au sens du considérant 14 [du règlement no 261/2004], telle qu’interprétée par l’arrêt du 31 janvier 2013, McDonagh (C‑12/11, EU:C:2013:43), ou si ces deux notions se confondent ;

2)

si l’article 5, paragraphe 3, du [règlement no 261/2004], doit être interprété en ce sens [que l’évènement en cause] doit être considéré comme un évènement inhérent à l’exercice normal de l’activité de transporteur aérien et, par voie de conséquence, ne saurait être qualifié de “circonstance extraordinaire” pouvant exonérer le transporteur aérien de son obligation d’indemnisation des passagers en cas de retard important d’un vol opéré par cet avion ;

3)

si [l’évènement en cause] doit être considéré comme constituant une “circonstance extraordinaire”, faut-il en déduire qu’il s’agit pour le transporteur aérien d’une “circonstance extraordinaire” qui n’aurait pas pu être évitée même si toutes les mesures raisonnables avaient été prises ? »

III. Analyse

A. Première question

1. Résumé succinct des observations des parties

5.

M. Moens soutient que le déversement d’essence sur une piste de décollage qui a causé la fermeture de celle-ci doit être qualifié d’« évènement » ; un évènement constituerait une circonstance exceptionnelle s’il remplit deux conditions cumulatives définies par la jurisprudence de la Cour. Ryanair considère que le considérant 14 du règlement no 261/2004 ne saurait être considéré comme définissant un critère légal supplémentaire imposant qu’une circonstance doive en outre être qualifiée d’« évènement » au sens de ce considérant.

2. Appréciation

6.

Par cette question, la juridiction de renvoi cherche à savoir si le déversement d’essence sur une piste de décollage ayant entraîné la fermeture de celle-ci constitue : a) un « évènement » (susceptible de produire une « circonstance extraordinaire ») ou b) une « circonstance extraordinaire » ou c) les deux en même temps (si ces notions se confondent).

7.

Dans l’arrêt du 22 décembre 2008, Wallentin-Hermann (C‑549/07, EU:C:2008:771, point 22), la Cour a jugé qu’« [i]l ressort [du considérant 14] du règlement no 261/2004 que le législateur [de l’Union] a entendu non pas que ces évènements, dont la liste n’est d’ailleurs qu’indicative, constituent eux-mêmes des circonstances extraordinaires, mais seulement qu’ils sont susceptibles de produire de telles circonstances. Il en résulte que toutes les circonstances entourant de tels évènements ne sont pas nécessairement des causes d’exonération de l’obligation d’indemnisation prévue à l’article 5, paragraphe 1, sous c), de ce règlement » (mise en italique par mes soins), requérant par conséquent une appréciation au cas par cas.

8.

Au point 23 de cet arrêt, la Cour a qualifié de « circonstances extraordinaires » seulement des circonstances qui « se rapportent à un évènement qui, à l’instar de ceux énumérés au [considérant 14 du règlement no 267/2004], n’est pas inhérent à l’exercice normal de l’activité du transporteur aérien concerné et échappe à la maîtrise effective de celui‑ci du fait de sa nature ou de son origine » (mise en italique par mes soins).

9.

Il ressort de la décision de renvoi, et il est constant devant la Cour, que c’est le déversement d’essence sur la piste de décollage qui a entraîné la fermeture de celle-ci pendant plus de deux heures. Cette fermeture a conduit les autorités de l’aéroport à prendre des décisions visant à reprogrammer le décollage des avions et à attribuer à ces derniers de nouveaux créneaux horaires. Cette reprogrammation a causé à son tour le retard du vol de M. Moens.

10.

Sur le fondement de la jurisprudence de la Cour citée ci-dessus, les notions d’« évènement » et de « circonstances extraordinaires » sont étroitement liées mais ne doivent pas être confondues.

11.

Ainsi que le fait remarquer la Commission européenne, il est évident qu’il ne peut pas y avoir de circonstance extraordinaire sans la survenance d’un évènement qui la déclenche. Cependant, l’inverse n’est pas toujours vrai. En effet, la fermeture d’une piste de décollage ne produira pas nécessairement une « circonstance extraordinaire » : par exemple, si l’aéroport dispose d’autres pistes susceptibles d’être utilisées pour pallier à cette fermeture. Il appartiendra à la juridiction de renvoi de vérifier ce point dans le cadre de son examen des faits de l’affaire.

12.

Cette lecture est confirmée implicitement par l’arrêt du 4 mai 2017, Pešková et Peška (C‑315/15, EU:C:2017:342, point 17), dans lequel la Cour a répondu à une question quasiment identique. La première question posée dans la présente affaire et les questions posées dans l’affaire Pešková et Peška, mais aussi dans l’affaire van der Lans ( 3 ), montrent que les juridictions nationales butent sur le libellé de l’article 5, paragraphe 3, du règlement no 261/2004, ainsi que du considérant 14 de ce règlement. C’est pourquoi, contrairement au gouvernement allemand, je considère que la première question n’est pas purement hypothétique et requiert une réponse claire de la Cour.

13.

Jusqu’à présent, la Cour a répondu seulement implicitement à cette question, lorsqu’elle a considéré que « peuvent être qualifiés de circonstances extraordinaires, au sens de l’article 5, paragraphe 3, du règlement no 261/2004, les évènements qui, par leur nature ou leur origine, ne sont pas inhérents à l’exercice normal de l’activité du transporteur aérien concerné et échappent à la maîtrise effective de celui-ci » (point 22 de l’arrêt Pešková et Peška, mise en italique par mes soins).

14.

À l’inverse, « ne constitue pas une circonstance extraordinaire [un évènement comme] la défaillance prématurée de certaines pièces d’un aéronef, une telle panne demeurant intrinsèquement liée au système de fonctionnement de l’appareil. Cet évènement inopiné n’échappe, en effet, pas à la maîtrise effective du transporteur aérien, dès lors qu’il lui incombe d’assurer l’entretien et le bon fonctionnement des aéronefs qu’il exploite aux fins de ses activités économiques » (point 23 de l’arrêt Pešková et Peška, mise en italique par mes soins).

15.

La Cour a conclu que « l’article 5, paragraphe 3, du règlement no 261/2004, lu à la lumière du considérant 14 de celui-ci, doit être interprété en ce sens que la collision entre un aéronef et un volatile relève de la notion de “circonstances extraordinaires” au sens de cette disposition » (point...

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