Austria Asphalt GmbH & Co OG v Bundeskartellanwalt.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2017:322
Date27 April 2017
Celex Number62016CC0248
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Docket NumberC-248/16
62016CC0248

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

MME JULIANE KOKOTT

présentées le 27 avril 2017 ( 1 )

Affaire C‑248/16

Austria Asphalt GmbH & Co OG

contre

Bundeskartellanwalt

[demande de décision préjudicielle formée par l’Oberster Gerichtshof (Cour suprême, Autriche)]

« Concurrence – Contrôle des concentrations entre entreprises (“contrôle des fusions”) – Article 3 du règlement (CE) no 139/2004 – Champ d’application matériel – Notion de “concentration” – Passage d’un contrôle unique à un contrôle commun d’une entreprise – Transformation d’une entreprise existante sans caractère d’entreprise de plein exercice en une entreprise commune sans caractère d’entreprise de plein exercice – Délimitation des compétences entre la Commission européenne et les autorités nationales compétentes en matière de contrôle des concentrations »

I. Introduction

1.

Ulrich von Liechtenstein, chantre de l’amour courtois, songeait sans doute à bien des choses lorsque, en l’an 1227, son voyage de Venise en Bohême, qu’il a immortalisé dans son œuvre, le mena par le lieu-dit Mürzzuschlag ( 2 ), aujourd’hui en Autriche ( 3 ). Qui sait s’il pressentait alors déjà que cette bourgade située sur les rives pittoresques de la Mürz deviendrait un jour le théâtre de la première procédure préjudicielle en matière de contrôle des concentrations ?

2.

La présente affaire a pour origine une centrale de mixage d’asphalte qui, jusqu’à présent, est intégralement détenue par un grand groupe d’entreprises de construction mais doit à l’avenir être exploitée conjointement par ce même groupe et un autre groupe d’entreprises de construction. Le projet est donc, en d’autres termes, de transformer la centrale de mixage d’asphalte déjà existante en une entreprise commune. Le problème qui, dans ce cadre, se pose au regard du contrôle des concentrations est que cette centrale n’est pas une entreprise de plein exercice, parce que son activité se limite à approvisionner sa société mère actuelle – et, à l’avenir, ses deux sociétés mères – et qu’elle ne joue par ailleurs, de façon indépendante, aucun rôle significatif sur le marché.

3.

Dans ce contexte, la Cour est appelée à résoudre la question éminemment fondamentale de savoir ce qui fait l’essence même d’une concentration entre entreprises au sens de l’article 3 du règlement (CE) no 139/2004 ( 4 ). Il s’agit concrètement de l’article 3, paragraphe 1, sous b), et de l’article 3, paragraphe 4, du règlement no 139/2004, la question étant de savoir si, en vertu de ces dispositions, des entreprises telles que la centrale de Mürzzuschlag qui, faute d’opérer de façon indépendante sur le marché, ne peuvent pas être considérées comme étant des entreprises de plein exercice, sont néanmoins soumises au contrôle des concentrations lorsque des tiers y acquièrent des participations.

4.

Les questions ainsi soulevées par la transformation en une entreprise commune d’une entreprise existante n’ayant pas le caractère d’une entreprise de plein exercice peuvent au premier abord paraître extrêmement techniques et le sujet, sans nul doute, est plus aride que la poésie d’un Ulrich von Liechtenstein. Il présente toutefois une importance pratique qu’il convient de ne pas sous‑estimer pour le système du droit de l’Union de mise en œuvre des règles de concurrence dans le marché intérieur. En effet, l’interprétation de l’article 3 du règlement no 139/2004 permet non seulement de tracer, à l’horizontale, la ligne de partage entre le contrôle des concentrations en vertu du règlement no 139/2004 et le système de mise en œuvre du droit des ententes en vertu du règlement (CE) no 1/2003 ( 5 ), mais aussi de délimiter, à la verticale, les compétences de la Commission européenne en tant qu’autorité de contrôle des concentrations dans le marché intérieur par rapport aux services des États membres chargés de s’occuper des concentrations, tant il est vrai que le contrôle des concentrations repose sur le principe d’une répartition précise des compétences ( 6 ).

II. Le cadre juridique

5.

Le cadre juridique de cette affaire en droit de l’Union est déterminé par l’article 3 du règlement no 139/2004, qui est intitulé « Définition de la concentration » et libellé en les termes suivants :

« 1. Une concentration est réputée réalisée lorsqu’un changement durable du contrôle résulte :

[…]

b)

de l’acquisition, par une ou plusieurs personnes détenant déjà le contrôle d’une entreprise au moins ou par une ou plusieurs entreprises, du contrôle direct ou indirect de l’ensemble ou de parties d’une ou de plusieurs autres entreprises, que ce soit par prise de participations au capital ou achat d’éléments d’actifs, contrat ou tout autre moyen.

[…]

4. La création d’une entreprise commune accomplissant de manière durable toutes les fonctions d’une entité économique autonome constitue une concentration au sens du paragraphe 1, point b).

[…] »

6.

Le considérant 20 du règlement no 139/2004 apporte des précisions sur l’article 3, paragraphes 1 et 4, de ce même règlement :

« Il est utile de définir la notion de concentration de telle sorte qu’elle couvre les opérations entraînant un changement durable du contrôle des entreprises concernées et donc de la structure du marché. Il convient par conséquent d’inclure dans le champ d’application du présent règlement toutes les entreprises communes accomplissant de manière durable toutes les fonctions d’une entité économique autonome. […] »

7.

À titre complémentaire, il convient d’évoquer le considérant 8 de ce règlement :

« Les dispositions à arrêter dans le présent règlement devraient s’appliquer aux modifications structurelles importantes dont l’effet sur le marché s’étend au-delà des frontières nationales d’un État membre. Ces concentrations devraient, en règle générale, être examinées exclusivement au niveau de la Communauté, en application du système du “guichet unique” et conformément au principe de subsidiarité. Les concentrations qui ne sont pas couvertes par le présent règlement relèvent, en principe, de la compétence des États membres. »

8.

Il convient, enfin, de mentionner l’article 21 du règlement no 139/2004, qui est intitulé « Application du règlement et compétence » et dont les dispositions – pour autant qu’elles sont ici pertinentes – sont libellées en les termes suivants ( 7 ) :

« 1. Le présent règlement est seul applicable aux concentrations telles que définies à l’article 3, et [le règlement no 1/2003 n’est] pas applicable […], sauf aux entreprises communes qui n’ont pas de dimension communautaire et qui ont pour objet ou pour effet la coordination du comportement concurrentiel d’entreprises qui restent indépendantes.

2. Sous réserve du contrôle de la Cour de justice, la Commission a compétence exclusive pour arrêter les décisions prévues au présent règlement.

3. Les États membres n’appliquent pas leur législation nationale sur la concurrence aux opérations de concentration de dimension communautaire.

[…] »

9.

La communication juridictionnelle codifiée de la Commission ( 8 ) ne fait pas partie du cadre juridique aux fins de la présente affaire car il ne s’agit que d’un document dépourvu de caractère juridiquement contraignant dans lequel la Commission, pour des raisons de transparence, fait connaître sa position juridique et sa pratique administrative concernant les questions de compétence dans le cadre du contrôle des concentrations ( 9 ).

III. Les faits et la procédure au principal

10.

La société Austria Asphalt GmbH & Co OG (ci-après « AA ») est une filiale indirecte de Strabag SE, alors que Teerag Asdag AG (ci–après « TA ») appartient au groupe Porr. Il s’agit dans les deux cas de groupes internationaux d’entreprises de construction qui sont présents, notamment, dans la construction de routes.

11.

La centrale de mixage d’asphalte de Mürzzuschlag est située sur le territoire de la commune de Mürzzuschlag dans le Land de Styrie (Autriche). Cette centrale produit de l’asphalte destiné à la construction de routes qu’elle livre presque exclusivement à TA, qui est actuellement son unique actionnaire.

12.

AA et TA envisagent de créer une société de droit autrichien sous la forme d’une société à responsabilité limitée et en commandite (GmbH & Co KG) dans laquelle chacune prendra 50 % des parts de la société en commandite et 50 % des parts de commanditaire. Toutes les décisions au sein de l’assemblée des associés de la nouvelle société requerront l’unanimité.

13.

Il est prévu que TA transfère la centrale de mixage d’asphalte à la nouvelle société. Comme cela est indiqué dans la décision de renvoi, sous l’angle économique, l’opération peut s’analyser en ce que AA va acquérir une participation de 50 % dans la centrale de mixage d’asphalte en tant qu’entreprise cible déjà existante, tandis que TA, en tant que cédant qui exerçait jusqu’ici seul le contrôle, continuera à détenir une participation liée à un contrôle commun. L’asphalte produit dans la centrale sera destiné presque exclusivement à AA et TA.

14.

Le 3 août 2015, AA a notifié cette transaction à l’autorité fédérale de la concurrence, conformément à la loi autrichienne, la Kartellgesetz 2005 (loi sur les ententes de 2005, ci-après la « loi sur les ententes »). Ainsi qu’il ressort du dossier, la direction générale de la concurrence de la Commission européenne avait auparavant déjà informé AA, dans une lettre administrative, que le projet ne semblait pas être une concentration au sens de l’article 3 du règlement no 139/2004 ( 10 ). Cette déclaration était toutefois assortie d’un avertissement exprès indiquant qu’il ne s’agissait que du point de vue d’un service de la Commission, qui ne liait pas celle-ci en tant...

To continue reading

Request your trial
2 practice notes
  • Austria Asphalt GmbH & Co OG v Bundeskartellanwalt.
    • European Union
    • Court of Justice (European Union)
    • September 7, 2017
    ...becomes joint — Creation of a joint venture performing on a lasting basis all the functions of an autonomous economic entity) In Case C‑248/16, REQUEST for a preliminary ruling under Article 267 TFEU from the Oberster Gerichtshof (Supreme Court, Austria), made by decision of 31 March 2016, ......
  • Joint Venture Agreements And Notification To Turkish Competition Authority: Brief Analysis Of Full Functionality
    • European Union
    • Mondaq European Union
    • September 19, 2017
    ...JV notifications of such nature.6 Footnotes 1 Case C-248/16 Austria Asphalt GmbH & Co OG v. Bundeskartellanwalt, 7 September 2017, EU:C:2017:322 2 The thresholds are set out in the Communiqué, as amended by Communiqué No. 2012/3. According to Article 7 of the Communiqué, a transaction m......
1 firm's commentaries

VLEX uses login cookies to provide you with a better browsing experience. If you click on 'Accept' or continue browsing this site we consider that you accept our cookie policy. ACCEPT