Criminal proceedings against Magatte Gueye (C-483/09) and Valentín Salmerón Sánchez (C-1/10).

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2011:297
Docket NumberC-483/09,C-1/10
Celex Number62009CC0483
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Date12 May 2011

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

Mme Juliane Kokott

présentées le 12 mai 2011 (1)

Affaires jointes C‑483/09 et C‑1/10

Magatte Gueye

et

Valentín Salmerón Sánchez

[demandes de décision préjudicielle présentées par l’Audiencia Provincial de Tarragona (Espagne)]

«Décision-cadre 2001/220/JAI – Statut des victimes dans le cadre de procédures pénales – Protection des victimes – Fixation de la peine – Obligation de prononcer une peine accessoire d’éloignement interdisant au condamné de s’approcher de sa victime – Prise en compte de la volonté de la victime – Médiation dans le cadre de la procédure pénale»






I – Introduction

1. La question centrale des présentes demandes de décision préjudicielle porte sur le point de savoir si la décision-cadre 2001/220/JAI du Conseil, du 15 mars 2001, relative au statut des victimes dans le cadre de procédures pénales (2), fait obstacle à une réglementation nationale en vertu de laquelle, dans les cas de violence domestique, il est interdit de manière absolue et impérative à l’auteur, à titre de peine accessoire, d’entrer en contact avec la victime, et ce même lorsque celle-ci a souhaité reprendre contact avec l’auteur.

II – Le cadre juridique

A – Le droit de l’Union

2. L’article 2, paragraphe 1, de la décision-cadre, intitulé «Respect et reconnaissance», est libellé comme suit:

«Chaque État membre assure aux victimes un rôle réel et approprié dans son système judiciaire pénal. Il continue à œuvrer pour garantir aux victimes un traitement dûment respectueux de leur dignité personnelle pendant la procédure et reconnaît les droits et intérêts légitimes des victimes, notamment dans le cadre de la procédure pénale.»

3. L’article 3 de la décision-cadre, intitulé «Audition et fourniture de preuves», dispose à son premier alinéa:

«Chaque État membre garantit la possibilité aux victimes d’être entendues ou cours de la procédure ainsi que de fournir des éléments de preuve.»

4. L’article 8 de la décision-cadre concerne le «Droit à une protection». Son paragraphe 1 est libellé comme suit:

«Chaque État membre garantit un niveau approprié de protection aux victimes et, le cas échéant, à leur famille ou aux personnes assimilées à des membres de leur famille, notamment en matière de sécurité et de protection de leur vie privée, dès lors que les autorités compétentes estiment qu’il existe un risque grave d’actes de rétorsion ou de solides indices laissant présumer une perturbation grave et intentionnelle de leur vie privée.»

5. Enfin, l’article 10, paragraphe 1, de la décision-cadre porte sur la médiation dans le cadre de la procédure pénale:

«Chaque État membre veille à promouvoir la médiation dans les affaires pénales pour les infractions qu’il juge appropriées à cette forme de mesure.»

B – Le droit national

6. L’Audiencia Provincial de Tarragona (Espagne) indique que la législation espagnole applicable aux infractions pénales en matière familiale a été considérablement durcie au cours des dernières années. Elle indique comme raison de politique pénale que ces infractions constituent un fléau social qui représente l’une des expressions des relations de pouvoir historiquement inégalitaires entre hommes et femmes.

7. Il résulte des constatations de la juridiction de renvoi que, dans tous les cas de violence domestique, les tribunaux sont tenus de prononcer, de manière impérative, dans la mesure où l’article 57, paragraphe 2, en combinaison avec l’article 48 du code pénal (Código Penal, ci-après le «CP»), le prescrit, à titre de peine accessoire destinée à protéger la victime, l’interdiction pour l’auteur des actes de violence de se trouver à proximité de la victime ou d’entrer en contact avec elle. Cette interdiction de contact s’applique pendant une période dépassant d’une à cinq années la durée de la peine d’emprisonnement infligée, ou pendant une période supérieure à six mois et inférieure à cinq années si la peine infligée est d’une autre nature. La juridiction de renvoi indique que cela vaut même dans les cas de violence domestique plus légers (gifle, coup de griffe, poussée, «menace verbale sans exhiber d’armes»).

8. La juridiction de renvoi souligne que le CP impose aux tribunaux de prononcer la peine accessoire en tout état de cause et que le juge ne dispose d’aucune latitude, sauf en ce qui concerne la durée de la peine accessoire infligée, pour apprécier les circonstances du cas d’espèce telles que, par exemple, l’intérêt familial en jeu, la volonté de la victime ou sa décision de reprendre la cohabitation.

9. L’article 468, paragraphe 2, du CP prévoit que le non-respect d’une telle mesure d’éloignement constitue une infraction de non-respect de la peine infligée. Selon le Tribunal Supremo, le consentement de la victime à la reprise de la vie commune n’exclut pas la commission du délit consistant dans le non-respect de la peine infligée. Selon la juridiction de renvoi, il est même théoriquement possible que la victime d’une infraction domestique puisse être poursuivie en tant qu’instigatrice dudit délit, ou la complice nécessaire à la commission de celui-ci, dans certains cas de reprise de la cohabitation d’un commun accord.

10. Selon les constatations de la juridiction de renvoi, l’article 84, paragraphe 3, du CP prévoit une révocation de la condamnation avec sursis en cas de non-respect de la mesure d’éloignement, même lorsque la victime a consenti à la reprise du contact.

11. Enfin, la juridiction de renvoi indique que l’article 87 ter, point 5, de la loi organique sur le pouvoir judiciaire (Ley Orgànica del Poder Judicial) interdit la médiation dans tous les cas d’infractions (même de simples insultes) commises dans le cadre familial.

III – Les faits et les procédures au principal

12. Le Juzgado de lo Penal n° 23 de Barcelona a condamné M. Gueye pour une infraction, non précisée dans la demande de décision préjudicielle, pour mauvais traitement dans la sphère familiale à l’encontre de sa compagne avec qui M. Gueye était en couple durant les quatre années précédentes. Pour cette raison, le tribunal a notamment prononcé une peine accessoire interdisant à l’auteur de s’approcher à moins de 1 000 mètres de la victime ou d’entrer en contact avec elle durant une période de 17 mois.

13. Quelques jours après sa condamnation, M. Gueye a repris la vie commune avec la victime à la demande de celle-ci. En raison du non-respect de la mesure d’éloignement, le Juzgado de lo Penal n° 1 de Tarragona l’a condamné pour non-respect de la peine infligée conformément à l’article 468, paragraphe 2, du CP. M. Gueye a fait appel de ce jugement devant la quatrième chambre de l’Audiencia Provincial de Tarragona, la juridiction de renvoi.

14. L’Audiencia Provincial de Tarragona doit en outre statuer sur le recours contre une condamnation de M. Salmerón Sánchez pour une infraction de non-respect de la peine infligée conformément à l’article 468, paragraphe 2, du CP. Il est reproché à M. Salmerón Sánchez de ne pas avoir respecté une peine accessoire prononcée contre lui par un jugement du Juzgado de Instrucción n° 7 de Violencia Sobre la Mujer, de El Vendrell, le 6 novembre 2006 et qui lui interdisait de s’approcher à moins de 500 mètres de sa victime ou d’entrer en contact avec elle durant une période de 16 mois.

15. La condamnation à la peine accessoire par le Juzgado de Instrucción n° 7 de Violencia Sobre la Mujer, de El Vendrell, reposait sur une infraction, non précisée dans la demande de décision préjudicielle, pour mauvais traitement dans la sphère familiale à l’encontre de sa compagne avec qui le second prévenu était en couple durant les six années précédentes.

16. Selon les constatations de la juridiction de renvoi, les prévenus ont dans les deux cas repris la vie commune avec les victimes quelques jours après leur condamnation. Lors de leur audition par la juridiction de renvoi, les victimes ont toutes deux indiqué avoir volontairement poursuivi leur relation avec les auteurs, sans y être contraintes et en l’absence de toute nécessité économique. Elles sont essentiellement à l’initiative de la reprise de la cohabitation. Elles se considèrent donc comme des victimes indirectes des dispositions pénales espagnoles, d’autant plus que, jusqu’à l’arrestation des prévenus pour non-respect de la peine infligée, la vie commune s’était déroulée sans problème.

17. La juridiction de renvoi émet des doutes sur la conformité des dispositions espagnoles à la décision-cadre. S’il est possible qu’il soit nécessaire de prononcer une mesure d’éloignement contre la volonté des victimes pour garantir leur protection, la juridiction de renvoi considère toutefois qu’il n’est pas approprié que le droit espagnol ne laisse aucune latitude, même en cas d’infractions mineures, pour procéder à un examen des circonstances du cas d’espèce et prendre en considération la volonté des victimes et qu’il exige, sans exception, de prononcer une mesure d’éloignement d’au moins six mois.

IV – Les demandes de décision préjudicielle et la procédure devant la Cour

18. Dans ce contexte, la juridiction de renvoi, l’Audiencia Provincial de Tarragona, a, par une décision du 15 septembre 2009 dans la procédure concernant M. Gueye et par une décision du 18 décembre 2009 dans la procédure concernant M. Salmerón Sánchez, saisi la Cour de demandes préjudicielles portant sur les questions suivantes, identiques dans les deux procédures:

«1) Le droit de la victime à être comprise, énoncé au huitième considérant de la décision-cadre […], doit-il être interprété en ce sens qu’il s’agit d’une obligation positive, incombant aux autorités publiques chargées de la poursuite et de la répression des actes délictueux, de permettre à la victime de formuler son appréciation, sa réflexion et son point de vue au sujet des effets directs qu’est susceptible d’avoir sur sa vie l’imposition de mesures répressives à l’auteur des violences avec qui la victime a noué une relation familiale ou...

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