C. G. Sopora v Staatssecretaris van Financiën.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2014:2375
Date13 November 2014
Celex Number62013CC0512
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Docket NumberC-512/13
62013CC0512

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

MME JULIANE KOKOTT

présentées le 13 novembre 2014 ( 1 )

Affaire C‑512/13

C. G. Sopora

[demande de décision préjudicielle formée par le Hoge Raad der Nederlanden (Pays-Bas)]

«Droit fiscal — Libre circulation des travailleurs — Article 45 TFUE — Impôt national sur les rémunérations — Indemnisation par l’employeur des frais extraterritoriaux du travailleur — Frais forfaitaires exonérés pour les travailleurs étrangers à concurrence de 30 % de la base de calcul de l’impôt sur les rémunérations — Exigence d’un domicile étranger à une distance de plus de 150 kilomètres de la frontière — Avantage par rapport aux nationaux — Traitement inégalitaire de ressortissants de différents États membres»

I – Introduction

1.

Lorsqu’un État membre adopte des mesures en vue de stimuler l’emploi de travailleurs étrangers sur son territoire, il n’est pas aisé d’y voir d’emblée un problème de libre circulation dans le marché intérieur. Toutefois, en l’occurrence, le Royaume des Pays-Bas a limité une mesure d’incitation de ce type à certains travailleurs salariés étrangers, en considérant que la distance entre leur domicile et la frontière néerlandaise indiquait qu’ils en avaient besoin. En effet, ce n’est que lorsque cette distance est suffisamment importante que ces travailleurs peuvent bénéficier du régime forfaitaire, qui suppose qu’ils exposent des coûts importants de double résidence qui sont pris en considération dans le calcul de leur impôt sur les rémunérations, dans certaines circonstances.

2.

Il conviendra de vérifier ci-dessous si un tel système d’incitation différencié en faveur des travailleurs étrangers doit être mesuré au regard des libertés fondamentales et, dans l’affirmative, dans quelle mesure un législateur national peut s’appuyer sur des hypothèses forfaitaires à des fins de simplification administrative.

II – Cadre juridique

A – Droit de l’Union

3.

L’article 45 TFUE est libellé comme suit:

«1. La libre circulation des travailleurs est assurée à l’intérieur de l’Union.

2. Elle implique l’abolition de toute discrimination, fondée sur la nationalité, entre les travailleurs des États membres, en ce qui concerne l’emploi, la rémunération et les autres conditions de travail.

[…]»

4.

L’article 7 du règlement (UE) no o492/2011 du Parlement européen et du Conseil, du 5 avril 2011, relatif à la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de l’Union (ci-après le «règlement sur la libre circulation des travailleurs») ( 2 ) énonce:

«1. Le travailleur ressortissant d’un État membre ne peut, sur le territoire des autres États membres, être, en raison de sa nationalité, traité différemment des travailleurs nationaux, pour toutes conditions d’emploi et de travail, notamment en matière de rémunération, de licenciement […].

2. Il y bénéficie des mêmes avantages sociaux et fiscaux que les travailleurs nationaux.

[…]»

B – Droit néerlandais

5.

Le Royaume des Pays-Bas prélève un impôt sur les rémunérations. Aux termes de l’article 31, paragraphe 1, de la loi relative à l’impôt sur les rémunérations (Wet op de loonbelasting), de 1964 ( 3 ), certaines indemnités versées par l’employeur aux travailleurs sont comprises dans la rémunération imposée. Cependant, les indemnités sont, conformément à l’article 31a, paragraphe 2, sous e), de la loi d’impôt sur les rémunérations, exonérées d’impôt si elles sont octroyées pour des frais qu’un travailleur expose en raison du fait qu’il séjourne provisoirement en dehors de son État d’origine, par exemple, les frais d’une seconde résidence ou des dépenses plus élevées de subsistance, mais aussi les frais d’un voyage pour un entretien d’embauche (frais dits extraterritoriaux).

6.

Si un employeur néerlandais engage un travailleur qui réside à ce moment en dehors des Pays-Bas, une règle forfaitaire qui figure aux articles 10e à 10j de l’arrêté d’exécution de la loi relative à l’impôt sur les rémunérations (Uitvoeringsbesluit loonbelasting), de 1965, s’applique, à certaines conditions. En vertu de ces dispositions, les indemnités versées par l’employeur sont considérées, à concurrence de 30 % de la base de calcul de l’impôt sur les rémunérations, comme une indemnité pour frais extraterritoriaux, sans que la preuve de ces frais doive être apportée (ci-après la «règle forfaitaire»). Il est toujours possible d’apporter la preuve de frais réels plus élevés.

7.

La règle forfaitaire s’applique uniquement aux travailleurs étrangers qui disposent d’une compétence spécifique, absente ou rare sur le marché du travail néerlandais. En outre, à partir de l’année 2012, une condition supplémentaire a été introduite, aux termes de laquelle le travailleur doit avoir résidé durant plus des deux tiers des deux années précédentes à une distance supérieure à 150 kilomètres à vol d’oiseau de la frontière néerlandaise (ci-après le «critère des 150 kilomètres»).

III – Litige au principal

8.

Le litige au principal a pour objet l’application de la règle forfaitaire dans le cadre de l’impôt sur les rémunérations du travailleur C. G. Sopora.

9.

M. Sopora travaillait en 2012 pour un employeur néerlandais aux Pays‑Bas. Durant les deux années qui ont précédé le début de son emploi aux Pays-Bas, il était domicilié en Allemagne, mais à une distance inférieure à 150 kilomètres de la frontière néerlandaise.

10.

C’est pour cette raison que l’administration fiscale néerlandaise a refusé de lui appliquer la règle forfaitaire. M. Sopora s’est opposé à cette décision, notamment au motif que le refus d’appliquer la règle forfaitaire violait le droit de l’Union.

IV – Procédure devant la Cour

11.

Le Hoge Raad der Nederlanden (Pays-Bas), qui a été saisi entre-temps de l’affaire, a posé à la Cour, le 25 septembre 2013, conformément à l’article 267 TFUE, les questions préjudicielles suivantes:

«1)

Existe-t-il une distinction indirecte selon la nationalité ou une entrave à la libre circulation des travailleurs – nécessitant une justification – lorsque la législation d’un État membre permet une indemnité exonérée pour frais extraterritoriaux au profit des travailleurs arrivés et que les travailleurs qui, durant la période précédant leur emploi dans cet État membre, vivaient à l’étranger, à une distance supérieure à 150 kilomètres de la frontière de cet État, peuvent se voir octroyer, sans apporter de preuve supplémentaire, une indemnité exonérée forfaitaire, même si le montant de cette dernière excède celui des frais réels extraterritoriaux, alors que le travailleur qui, durant cette période, vivait à une distance moindre de la frontière, ne peut se voir octroyer qu’une indemnité exonérée dont le montant est limité aux frais extraterritoriaux réels démontrables?

2)

Si la première question appelle une réponse affirmative, la réglementation néerlandaise concernée de l’arrêté d’exécution de 1965 de la loi relative à l’impôt sur les rémunérations repose‑t‑elle sur des raisons impérieuses d’intérêt général?

3)

Si la deuxième question doit également recevoir une réponse affirmative, le critère des 150 kilomètres dans cette règle excède-t-il ce qui est nécessaire pour atteindre le but poursuivi?»

12.

Dans la procédure devant la Cour, M. Sopora, le Royaume des Pays-Bas ainsi que la Commission européenne ont déposé des observations écrites et ont participé à l’audience du 2 septembre 2014.

V – Appréciation juridique

13.

Par ses trois questions préjudicielles, la juridiction de renvoi veut, en substance, savoir si une réglementation nationale qui subordonne un avantage fiscal comme la présente règle forfaitaire à une règle comme ledit critère des 150 kilomètres est compatible avec la libre circulation des travailleurs au titre de l’article 45 TFUE.

A – Atteinte

14.

D’abord, la question se pose de savoir si une règle comme le critère des 150 kilomètres porte atteinte à la libre circulation des travailleurs.

15.

Conformément à l’article 45, paragraphe 2, TFUE, la libre circulation des travailleurs implique l’abolition de toute discrimination fondée sur la nationalité entre les travailleurs des États membres, notamment en ce qui concerne la rémunération. La jurisprudence considère que sont également visées les dispositions en matière d’impôt sur le revenu du travail ( 4 ).

16.

Cette interdiction de discrimination concerne non pas seulement les discriminations ostensibles fondées sur la nationalité, mais encore toutes formes dissimulées de discrimination qui, par application d’autres critères de distinction, aboutissent en fait au même résultat, comme en particulier le critère de distinction du domicile ( 5 ).

17.

En l’occurrence, la règle forfaitaire accorde des avantages, puisqu’elle permet à un travailleur de percevoir de l’employeur des indemnités exonérées d’impôt à concurrence de 30 % de la base de calcul de l’impôt sur les rémunérations, sans qu’il doive prouver les frais extraterritoriaux et sans qu’il ait exposé de tels frais à concurrence de ce montant.

18.

Certes, l’invocation de la règle forfaitaire dépend non pas de la nationalité du travailleur, mais de son lieu de résidence avant qu’il ne prenne son emploi aux Pays-Bas. S’il vivait à une distance inférieure à 150 kilomètres de la frontière néerlandaise, il reste exclu de la règle forfaitaire.

19.

Cette règle procède à une distinction indirecte entre les ressortissants de différents États membres. Elle désavantage certains non-résidents par rapport à d’autres. Alors que seuls des travailleurs qui ont un domicile belge, allemand, français...

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