Opinion of Advocate General Tanchev delivered on 16 October 2019.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2019:864
Celex Number62018CC0371
CourtCourt of Justice (European Union)
Date16 October 2019

Édition provisoire

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. Evgeni TANCHEV

présentées le 16 octobre 2019 (1)

Affaire C371/18

Sky plc,

Sky International AG,

Sky UK Limited

contre

SkyKick UK Limited,

SkyKick Inc

[Demande de décision préjudicielle de la High Court of Justice (Chancery Division) (Royaume‑Uni)]

« Renvoi préjudiciel – Rapprochement des législations des États membres – Marques – Identification des produits ou des services concernés par la marque – Exigence de clarté et de précision – Mauvaise foi – Mauvaise foi due à l’absence d’intention d’utiliser la marque pour les produits ou les services indiqués – Interprétation de l’arrêt du 19 juin 2012, Chartered Institute of Patent Attorneys, C‑307/10, EU:C:2012:361 »






1. La présente demande de décision préjudicielle de la High Court of Justice (England & Wales) [Haute Cour de justice (Angleterre et pays de Galles), Royaume‑Uni] soulève des questions importantes en matière de droit des marques de l’Union. Cela ressort également de l’arrêt de la juridiction de renvoi dans l’affaire au principal, du 6 février 2018 [(20189 EWHC 155 (Ch), Arnold J] rendu après un procès de cinq jours, et long de 94 pages (358 points) (ci‑après l’« arrêt au principal »).

2. Dans l’affaire au principal, les requérantes (appelées ensemble « Sky », dont l’activité principale est la télédiffusion par satellite et numérique) soutiennent que les défenderesses (appelées ensemble « SkyKick », SkyKick Inc étant une société start-up qui fournit des services informatique de migration vers le nuage (2)) ont contrefait quatre marques de l’Union européenne de la deuxième requérante (« Sky AG ») et une marque du Royaume‑Uni de la première requérante (« Sky plc ») comportant le mot SKY (ci‑après « les marques litigieuses ») en utilisant le signe « SkyKick » et des variations de celui‑ci.

3. L’affaire est assez complexe mais, en substance, SkyKick nie la contrefaçon et soutient à titre reconventionnel que l’enregistrement des marques litigieuses est totalement ou partiellement nul au motif que : (i) les listes des produits et services manquent de clarté et de précision et (ii) les demandes d’enregistrement ont été déposées de mauvaise foi.

4. L’affaire est importante, car elle permet à la Cour de traiter des questions relatives à un certain nombre de déficiences qui sont apparues dans le système de marque de l’Union européenne. Ainsi que le fait remarquer SkyKick, les cinq questions de la juridiction de renvoi concernent l’un des aspects les plus problématiques d’une marque, à savoir la « liste » des produits et services. La majeure partie de la jurisprudence de la Cour en matière de marques concerne le signe qui est enregistré en tant que marque. Le droit en la matière est désormais relativement bien fixé. Cependant des lacunes et des incohérences demeurent dans le droit en matière de désignation des produits et services. La protection dont bénéficient les marques de l’Union est accordée conformément au principe de spécialité (3), c’est‑à‑dire par rapport à des produits et services dont la nature et le nombre déterminent l’étendue de la protection accordée au titulaire de la marque relativement au signe.

5. La juridiction de renvoi souligne que le problème est notamment que, en vertu du droit de l’Union et de la législation nationale en matière de marques applicables, SkyKick ne semble rien avoir à opposer au grief de contrefaçon invoqué par Sky. Cela conduit à se demander si, en droit des marques, nous en sommes arrivés à un point où le titulaire d’une marque dispose d’une position de monopole absolu contre laquelle il n’est plus possible de se défendre dans le cadre d’une action en contrefaçon, et ce, bien que la marque n’ait pas été utilisée, et ne soit pas susceptible d’être utilisée, pour un grand nombre des produits et services enregistrés. Partant, la présente affaire montre bien qu’il convient de trouver un équilibre entre différents intérêts qui sont actuellement en conflit.

I. Les faits à l’origine du litige au principal et les questions préjudicielles

6. Les marques de Sky en cause sont : i) la marque nº 3 166 352, demandée le 14 avril 2003 et enregistrée le 12 septembre 2012 (« EU352 »), marque figurative présentée ci‑dessous pour des produits et services des classes 9, 16, 18, 25, 28, 35, 38, 41 et 42 ; ii) la marque nº 3 203 619, déposée le 30 avril 2003 et enregistrée le 6 septembre 2012 (« EU619 »), marque figurative présentée ci‑dessous pour des produits et services des classes 9, 16, 18, 25, 28, 35, 38, 41 et 42 ; iii) la marque nº 5 298 112, déposée le 6 septembre 2006 et enregistrée le 18 juin 2015 (« EU112 ») en tant que marque verbale SKY pour des produits et services des classes 9, 16, 28, 35, 37, 38, 41 et 42 ; iv) la marque nº 6 870 992, déposée le 18 avril 2008 et enregistrée le 8 août 2012 (« EU992 ») en tant que marque verbale SKY pour des produits et services des classes 3, 4, 7, 9, 11, 12, 16, 17, 18, 25, 28, 35, 36, 37, 38, 39, 40, 41, 42, 43, 44 et 45 ; et v) la marque du Royaume‑Uni nº 2 500 604, déposée le 20 octobre 2008 et enregistrée le 7 septembre 2012 (« UK604 ») en tant que marque verbale SKY pour des produits et services des classes 3, 4, 7, 9, 11, 12, 16, 17, 18, 25, 28, 35, 36, 37, 38, 39, 40, 41, 42, 43, 44 et 45.

7. Sky a introduit contre SkyKick une action en contrefaçon de ces marques. Aux fins de cette action en contrefaçon, Sky se fonde sur l’enregistrement des marques pour les produits et services suivants (même si toutes les marques ne sont pas enregistrées pour tous ces biens et services) : i) logiciels (classe 9) ; ii) logiciels fournis à partir d’Internet (classe 9) ; iii) logiciels et appareils de télécommunications permettant de se connecter à des bases de données et à Internet (classe 9) ; iv) stockage de données (classe 9) ; v) services de télécommunications (classe 38) ; vi) services de courrier électronique (classe 38) ; vii) services de portail Internet (classe 38) ; et viii) services informatiques permettant de consulter et de récupérer des informations, messages, textes, sons, images et données via un ordinateur ou un réseau informatique (classe 38).

8. Sky a fait un large usage de la marque SKY pour un éventail de produits et services relevant notamment de ses domaines d’activités principaux, (i) la télédiffusion, (ii) la téléphonie et (iii) la desserte en haut débit. Skykick admet qu’en novembre 2014 SKY était une marque connue de tous dans ces domaines au Royaume‑Uni et en Irlande. Toutefois, Sky ne propose pas de produits ou de services de migration entre plateformes de courrier électronique ou de stockage dans le nuage et rien n’indique que le groupe projette de le faire dans un avenir proche.

9. SkyKick soutient que toutes les marques devraient être déclarées (partiellement) nulles au motif qu’elles sont enregistrées pour des biens et services qui ne sont pas désignés avec suffisamment de clarté et de précision.

10. Selon la juridiction de renvoi, cette affirmation soulève deux questions. La première est de savoir si ce motif de nullité peut être invoqué contre une marque enregistrée.

11. Il a été jugé dans l’arrêt du 19 juin 2012, Chartered Institute of Patent Attorneys, C‑307/10, EU:C:2012:361 (IP TRANSLATOR) et l’article 33, paragraphe 2, du règlement (UE) 2017/1001 (4) dispose désormais) qu’un demandeur désigne les produits et services pour lesquels la protection de la marque est demandée avec suffisamment de clarté et de précision pour permettre aux autorités compétentes et aux tiers de déterminer l’étendue de la protection conférée par la marque. Lorsque le demandeur ne fait pas cela, l’office rejette la demande si la liste des produits et services n’est pas modifiée de façon à être suffisamment claire et précise.

12. Pour la juridiction de renvoi, cela n’implique pas nécessairement que la marque peut être déclarée nulle pour ce motif après l’enregistrement lorsque le demandeur ne se conforme pas à cette exigence et si l’office ne veille pas à ce qu’il remédie au manque de clarté ou de précision au cours de l’examen de la demande. Les motifs de nullité mentionnés dans le règlement ne requièrent pas expressément que la spécification de produits et services d’une demande de marque de l’Union européenne soit claire et précise. Il en va de même en substance concernant une marque nationale.

13. La deuxième question est de savoir si, à supposer que ce motif puisse être invoqué, les listes des produits et services de toutes les marques sont contestables.

14. La juridiction de renvoi considère que l’enregistrement d’une marque pour des « logiciels » est trop général, injustifié et contraire à l’intérêt public. Toutefois, selon elle, cela n’implique pas nécessairement que le terme « logiciel » manque de clarté et de précision. En effet, à première vue, il apparaît comme un terme suffisamment clair et précis pour permettre de décider si les produits de SkyKick correspondent également à ce terme. Par ailleurs, la High Court a du mal à voir pourquoi les motifs de l’ETMDN concernant les « machines » de la classe 7 ne vaudraient pas également pour les « logiciels » (5).

15. Troisièmement, la juridiction de renvoi se demande si la validité de la marque en cause est susceptible d’être affectée par la mauvaise foi du demandeur au moment du dépôt de la demande d’enregistrement de la marque.

16. Dans l’affaire au principal, SkyKick soutient que les marques ont été enregistrées de mauvaise foi, parce que Sky n’aurait pas eu l’intention de les utiliser pour tous les produits et services indiqués dans les listes des produits et services respectives. SkyKick admet que Sky avait l’intention d’utiliser les marques pour certains des produits et services désignés. Néanmoins, SkyKick soutient à titre principal que les marques sont invalides en totalité. Il soutient à titre subsidiaire que les marques sont nulles dans la mesure où la liste des produits et services couvre des biens et des services pour lesquels...

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