Vera Egenberger v Evangelisches Werk für Diakonie und Entwicklung e.V.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2017:851
Docket NumberC-414/16
Celex Number62016CC0414
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Date09 November 2017
62016CC0414

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. EVGENI TANCHEV

présentées le 9 novembre 2017 ( 1 )

Affaire C‑414/16

Vera Egenberger

contre

Evangelisches Werk für Diakonie und Entwicklung eV

[demande de décision préjudicielle du Bundesarbeitsgericht (Cour fédérale du travail, Allemagne)]

« Renvoi préjudiciel – Égalité de traitement en matière d’emploi –Directive 2000/78/CE Article 4, paragraphe 2 – Exigences professionnelles essentielles, légitimes et justifiées d’organisations dont l’éthique est fondée sur la religion ou les convictions – Différence de traitement fondée sur la religion en matière d’emploi par une association supplétive d’une Église – Article 17 TFUE – Privilège ecclésial d’autodétermination – Droit constitutionnel national prévoyant un contrôle juridictionnel limité de la “conscience propre” des groupes religieux – Primauté, unité, et effectivité du droit de l’Union en matière d’égalité de traitement – Articles 52, paragraphe 3, et 53 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Mise en balance de droits concurrents – Effets horizontaux de la Charte »

Table des matières

I. Introduction

II. Cadre juridique

A. Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales

B. Traité sur l’Union européenne

C. Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne

D. Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne

E. Directive 2000/78

F. Droit allemand

III. Les faits au principal et les questions déférées à titre préjudiciel

IV. La décision de renvoi

V. Appréciation

A. Aperçu général

B. Observations préliminaires

1. Activités des organisations religieuses et champ d’application du droit de l’Union.

2. Règles concernant l’application de la Charte et procédure au principal

3. Contrôle juridictionnel des relations de travail et organisations religieuses en Allemagne

C. Sur la première question

1. Limites du contrôle juridictionnel des organisations religieuses agissant en tant qu’employeurs dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme

2. Article 4, paragraphe 2, de la directive 2000/78

a) Remarques introductives

b) L’article 4, paragraphe 2, de la directive 2000/78 peut-il servir de fondement à des restrictions constitutionnelles nationales en matière de contrôle juridictionnel ?

1) Libellé

2) Contexte et objectif

3) Origines

3. Article 17 TFUE

4. Conclusion concernant la première question

D. Sur la troisième question

E. Sur la deuxième question

F. Remarques finales

VI. Réponses aux questions déférées

I. Introduction

1.

Après avoir lu une offre d’emploi publiée en novembre 2012, Mme Vera Egenberger a postulé sans succès à un poste pour une durée déterminée de 18 mois à l’Evangelisches Werk für Diakonie und Entwicklung eV. Il s’agit d’une association qui poursuit exclusivement des buts caritatifs, de bienfaisance et ecclésiaux, est régie par le droit privé, et constitue une association supplétive de l’Evangelische Kirche in Deutschland (l’Église protestante d’Allemagne). Le poste à pourvoir impliquait l’élaboration d’un rapport concernant le respect, par la République fédérale d’Allemagne, de la convention internationale des Nations unies sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (ci-après le « rapport sur la discrimination raciale »). Mme Egenberger avait de nombreuses années d’expérience dans ce domaine et a été l’auteur de diverses publications sur le sujet ( 2 ).

2.

La requérante au principal soutient qu’elle n’a pas obtenu le poste au motif qu’elle est sans confession, ce qui constitue selon elle une violation de sa liberté de conviction, telle que consacrée à l’article 10 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »), et qu’elle a été discriminée en raison de ses convictions, en violation de l’article 21 de la Charte et des articles 1er et 2 de la directive 2000/78/CE du Conseil, du 27 novembre 2000, portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail ( 3 ).

3.

Dans la mesure où la thèse de la défenderesse est fondée sur l’article 4, paragraphe 2, de la directive 2000/78, ce litige concerne pour l’essentiel les différences de traitement en raison des convictions, dans le cas des « activités professionnelles d’Églises et d’autres organisations publiques ou privées dont l’éthique est fondée sur la religion ou les convictions ». Cependant, c’est également la première fois que la Cour est saisie d’une demande portant sur l’interprétation de l’article 4, paragraphe 2, de la directive 2000/78 ( 4 ), d’où un certain nombre de questions complexes sur l’articulation de cette disposition avec les dispositions pertinentes de la Charte, dont l’article 22, aux termes duquel « [l]’Union respecte la diversité culturelle, religieuse et linguistique », et avec l’article 17 TFUE, qui protège le « statut » dont bénéficient, en vertu du droit national, les Églises et les associations ou communautés religieuses ainsi que les organisations philosophiques et non confessionnelles ( 5 ).

4.

De plus, les institutions religieuses représenteraient, en Allemagne, le deuxième plus grand employeur, et jouiraient en outre, dans certaines régions et dans certains secteurs d’activités, d’une situation de quasi-monopole ( 6 ). On ne saurait surestimer le caractère délicat de l’équilibre à établir entre la préservation du droit des institutions religieuses de l’Union à l’autonomie et à l’autodétermination ( 7 ) (ce qui correspond à la clé de voûte de l’argumentation de la défenderesse s’agissant de l’inégalité de traitement litigieuse) et l’application effective de l’interdiction des discriminations en raison de la religion ou des convictions sur un marché du travail de l’Union caractérisé par sa diversité ethnique et religieuse, alors que l’égal accès à l’emploi et l’épanouissement professionnel sont d’une importance cruciale pour tout individu, non seulement parce qu’ils sont un moyen pour celui-ci de gagner sa vie et de s’assurer une vie autonome mais aussi parce qu’ils constituent un moyen important de s’accomplir soi-même et de réaliser son potentiel ( 8 ).

II. Cadre juridique

A. Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales

5.

L’article 9 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci‑après la « CEDH »), énonce :

« 1. Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites.

2. La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

B. Traité sur l’Union européenne

6.

L’article 4, paragraphe 2, TUE dispose :

« L’Union respecte l’égalité des États membres devant les traités ainsi que leur identité nationale, inhérente à leurs structures fondamentales politiques et constitutionnelles, y compris en ce qui concerne l’autonomie locale et régionale. Elle respecte les fonctions essentielles de l’État, notamment celles qui ont pour objet d’assurer son intégrité territoriale, de maintenir l’ordre public et de sauvegarder la sécurité nationale. En particulier, la sécurité nationale reste de la seule responsabilité de chaque État membre. »

C. Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne

7.

L’article 10 TFUE dispose :

« Dans la définition et la mise en œuvre de ses politiques et actions, l’Union cherche à combattre toute discrimination fondée sur le sexe, la race ou l’origine ethnique, la religion ou les convictions, un handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle. »

8.

Selon les termes de l’article 17 TFUE :

« 1. L’Union respecte et ne préjuge pas du statut dont bénéficient, en vertu du droit national, les Églises et les associations ou communautés religieuses dans les États membres.

2. L’Union respecte également le statut dont bénéficient, en vertu du droit national, les organisations philosophiques et non confessionnelles.

3. Reconnaissant leur identité et leur contribution spécifique, l’Union maintient un dialogue ouvert, transparent et régulier avec ces Églises et organisations. »

D. Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne

9.

L’article 10 de la Charte est intitulé « Liberté de pensée, de conscience et de religion ». Aux termes de l’article 10, paragraphe 1 :

« Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion. Ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites. »

10.

L’article 22 de la Charte est intitulé « Diversité culturelle, religieuse et linguistique » et énonce :

« L’Union respecte la diversité culturelle, religieuse et linguistique. »

11.

L’article 52...

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