Opinion of Advocate General Campos Sánchez-Bordona delivered on 31 May 2016.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2016:383
Date31 May 2016
Celex Number62015CC0169
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
CourtCourt of Justice (European Union)
62015CC0169

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MANUEL CAMPOS SÁNCHEZ-BORDONA

présentées le 31 mai 2016 ( 1 )

Affaire C‑169/15

Montis Design BV

contre

Goossens Meubelen BV

[demande de décision préjudicielle

formée par le Benelux-Gerechtshof (Cour de justice du Benelux)]

«Droit d’auteur et droits voisins — Durée de protection — Extinction et rétablissement du droit d’auteur»

1.

Dans le litige opposant les sociétés Montis Design BV (ci-après « Montis ») et Goossens Meubelen BV (ci-après « Goosens »), le Hoge Raad der Nederlanden (Cour suprême des Pays-Bas) a posé ( 2 ) au Benelux-Gerechtshof (Cour de justice du Benelux) une question d’interprétation relative à l’application de l’article U, paragraphe 2, du Protocole houdende wijziging van de Eenvormige Beneluxwet inzake tekeningen of modellen (protocole de modification de la Loi uniforme Benelux en matière de dessins et modèles, ci‑après la « LBDM ») ( 3 ), en vertu duquel l’article 21 de la LBDM a été abrogé.

2.

Le Benelux-Gerechtshof (Cour de justice du Benelux), avant de se prononcer sur la demande présentée par le Hoge Raad der Nederlanden (Cour suprême des Pays-Bas) a renvoyé à la Cour de justice trois questions préjudicielles car elle estime que la solution du litige dépend de l’interprétation de la directive 93/98/CEE ( 4 ).

3.

Le litige a pour origine l’article 21, troisième alinéa, de la LBDM, en vertu duquel les titulaires de droits d’auteur sur des modèles et dessins liés à la protection de ces derniers perdaient leurs droits d’auteur s’ils ne procédaient pas à une déclaration de maintien. La conséquence immédiate du manquement à cette formalité était que ces droits tombaient dans le domaine public.

4.

Les critiques visant la loi et son incompatibilité sur ce point avec la convention pour la protection des œuvres littéraires et artistiques, signée à Berne (Suisse), le 9 septembre 1886 (acte de Paris du 24 juillet 1971), dans sa version résultant de la modification du 28 septembre 1979 (ci-après « la convention de Berne ») ( 5 ), ont conduit le législateur du Benelux à abroger en 2002 l’article 21, troisième alinéa, de la LBDM. Le protocole d’abrogation n’a néanmoins pas fixé de régime transitoire ni précisé le sort des droits d’auteur éteints du fait de l’application de la LBDM.

5.

Dans l’intervalle, la directive 93/98 avait harmonisé la durée des droits d’auteur dans tous les États membres, en étendant la durée de protection à 70 ans après la mort de l’auteur, sans qu’il soit nécessaire que leurs titulaires soient tenus de présenter des « déclarations de maintien » ou des formules similaires. La directive 93/98 a en outre prévu le rétablissement, dans certaines circonstances, des droits d’auteur passés dans le domaine public.

6.

La juridiction de renvoi interroge en synthèse la Cour sur l’incidence de la directive 93/98 dans le litige. En particulier, elle cherche à savoir si, conformément à cette directive, les droits d’auteur éteints (à cause du non-respect de la condition formelle exigée par la LBDM) doivent être rétablis et, dans cette hypothèse, à partir de quelle date.

I – Le cadre juridique

A – Le droit de l’Union

7.

Le rapprochement des législations des États membres en matière de propriété intellectuelle s’est produit principalement au moyen de la directive 93/98, modifiée par la suite ( 6 ) et abrogée par la directive 2006/116/CE ( 7 ), qui codifie les versions précédentes.

8.

Comme les faits du présent litige remontent à l’époque à laquelle la directive 93/98 était encore en vigueur et compte tenu, de surcroît, de ce que la directive actuellement en vigueur a laissé subsister le contenu des articles pertinents pour la présente affaire, nous reproduisons ci-après les règles pertinentes de cette directive.

9.

Le considérant 11 était rédigé comme suit :

« considérant que, pour instaurer un niveau de protection élevé, répondant à la fois aux exigences du marché intérieur et au besoin de créer un environnement juridique propice au développement harmonieux de la créativité littéraire et artistique dans la Communauté, il convient d’harmoniser la durée de protection du droit d’auteur sur une période de soixante-dix ans après la mort de l’auteur ou de soixante-dix ans après que l’œuvre a été licitement rendue accessible au public […] ».

10.

Le considérant 27, quant à lui, était libellé de la manière suivante :

« considérant que le respect des droits acquis et de la confiance légitime des tiers est garanti par l’ordre juridique communautaire ; que les États membres doivent pouvoir prévoir notamment que, dans certaines circonstances, les droits d’auteur et les droits voisins qui renaîtront en application de la présente directive ne pourront pas donner lieu à des paiements de la part de personnes qui avaient entrepris de bonne foi l’exploitation des œuvres au moment où celles‑ci faisaient partie du domaine public ».

11.

Aux termes de l’article 1, paragraphe 1 :

« 1. Les droits de l’auteur d’une œuvre littéraire ou artistique au sens de l’article 2 de la Convention de Berne durent toute la vie de l’auteur et pendant soixante-dix ans après sa mort, quelle que soit la date à laquelle l’œuvre a été licitement rendue accessible au public. »

12.

L’article 10, intitulé « Applicabilité dans le temps », énonce en ses paragraphes 2 et 3 :

« 2. Les durées de protection prévues à la présente directive s’appliquent à toutes les œuvres et à tous les objets qui, à la date visée à l’article 13 paragraphe 1, sont protégés dans au moins un État membre dans le cadre de l’application des dispositions nationales relatives au droit d’auteur ou aux droits voisins ou qui répondent aux critères de protection énoncés dans la directive 92/100/CEE [ ( 8 )].

3. La présente directive s’entend sans préjudice des actes d’exploitation accomplis avant la date visée à l’article 13, paragraphe 1. Les États membres prennent les dispositions nécessaires pour protéger notamment les droits acquis des tiers. »

13.

Conformément à l’article 13, paragraphe 1, premier alinéa :

« 1. Les États membres mettent en vigueur les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer aux articles 1er à 11 de la présente directive avant le 1er juillet 1995. »

14.

L’harmonisation des dessins et des modèles a été réalisée au moyen de la directive 98/71/CE ( 9 ), dont l’article 17 réglemente la relation de ces droits de propriété industrielle avec les droits d’auteur (principe du cumul) ( 10 ) dans les termes suivants :

« Un dessin ou modèle ayant fait l’objet d’un enregistrement dans ou pour un État membre, conformément aux dispositions de la présente directive, bénéficie également de la protection accordée par la législation sur le droit d’auteur de cet État à partir de la date à laquelle le dessin ou modèle a été créé ou fixé sous une forme quelconque. La portée et les conditions d’obtention de cette protection, y compris le degré d’originalité requis, sont déterminées par chaque État membre. »

B – La convention de Berne

15.

Bien que l’Union européenne ne soit pas partie à la convention de Berne, elle est liée à celle-ci indirectement par l’accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ci-après l’« accord ADPIC »), qui figure à l’annexe 1C de l’accord instituant l’Organisation mondiale du Commerce (OMC), signé à Marrakech (Maroc) le 15 avril 1994 ( 11 ).

16.

Aux termes de l’article 9, paragraphe 1, de l’accord ADPIC :

« Les Membres se conformeront aux articles premier à 21 de la Convention de Berne (1971) et à l’Annexe de ladite Convention. Toutefois, les Membres n’auront pas de droits ni d’obligations au titre du présent accord en ce qui concerne les droits conférés par l’article 6bis de ladite Convention ou les droits qui en sont dérivés. »

17.

L’article 5, paragraphe 2, de la convention de Berne prévoit ce qui suit :

« (2) La jouissance et l’exercice de ces droits ne sont subordonnés à aucune formalité ; cette jouissance et cet exercice sont indépendants de l’existence de la protection dans le pays d’origine de l’œuvre. Par suite, en dehors des stipulations de la présente Convention, l’étendue de la protection ainsi que les moyens de recours garantis à l’auteur pour sauvegarder ses droits se règlent exclusivement d’après la législation du pays où la protection est réclamée. »

C – Droit du Benelux

18.

En vertu de l’article 12 de la LBDM ( 12 ), l’enregistrement d’un dessin ou d’un modèle a une validité de cinq ans, à compter de la date de la demande.

19.

L’article 21, paragraphe 1, de la LBDM (avant d’être abrogé) disposait qu’un dessin ou un modèle ayant un caractère artistique peut être protégé à la fois par cette loi et par les lois relatives aux droits d’auteur, si les conditions d’application de celles‑ci et de la LBDM sont remplies.

20.

Conformément à l’article 21, troisième alinéa, de la LBDM (avant son abrogation), l’annulation de l’enregistrement d’un dessin ou d’un modèle ayant un caractère artistique marqué ou l’extinction du droit exclusif résultant de cet enregistrement emporte l’extinction simultanée des droits d’auteur sur ce dessin ou ce modèle, à condition que les deux droits appartiennent au même titulaire ; néanmoins il n’y aurait pas d’extinction si le titulaire du dessin ou du modèle présente, conformément à l’article 24 ( 13 ), une déclaration spéciale pour maintenir ses droits d’auteur ( 14 ).

21.

Après que le Hoge Raad der Nederlanden (Cour suprême des Pays-Bas) a jugé que cet article était contraire à...

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