Groupe Steria SCA v Ministère des Finances et des Comptes publics.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2015:392
Docket NumberC-386/14
Celex Number62014CC0386
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Date11 June 2015
62014CC0386

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

MME JULIANE KOKOTT

présentées le 11 juin 2015 ( 1 )

Affaire C‑386/14

Groupe Steria SCA

contre

Ministère des Finances et des Comptes publics

[demande de décision préjudicielle formée par la cour administrative d’appel de Versailles (France)]

«Législation fiscale — Liberté d’établissement — Article 4, paragraphe 2, de la directive 90/435/CEE — Distributions de bénéfices à caractère transfrontalier — Impôt sur les sociétés national — Imposition des groupes (‘intégration fiscale’ française) — Exonération des produits provenant de participations — Charges non déductibles se rapportant à la participation — Dividendes versés par des sociétés filiales non-résidentes»

I – Introduction

1.

Par le passé, la Cour s’est penchée à plusieurs reprises sur les régimes prévus par les États membres en matière d’imposition des groupes ( 2 ), ainsi que, dans une affaire, sur le régime français ( 3 ), lequel a donné lieu à la présente demande de décision préjudicielle.

2.

Le droit français relatif à l’impôt sur les sociétés prévoit que les sociétés mères ne sont pas, en principe, imposées sur les distributions de bénéfices effectuées par les sociétés filiales. Toutefois, cette règle ne s’applique pas pour une quote-part de 5 % qui symbolise les charges supportées par la société mère au titre de la participation dans la société filiale. Ces charges ne doivent pas pouvoir être déduites, car elles servent à générer des revenus exonérés pour la société mère, à savoir les distributions de bénéfices des sociétés filiales.

3.

Cependant, cette imposition partielle des distributions de bénéfices, qui résulte de cette règle, n’intervient pas lorsque la société mère et la filiale sont imposées conjointement dans le cadre du régime dit d’intégration fiscale. Cette forme d’imposition des groupes étant interdite aux sociétés non-résidentes, la Cour doit examiner si une telle réglementation est compatible avec la liberté d’établissement et le droit de l’Union en matière d’impôt sur les sociétés.

II – Le cadre juridique

A – Le droit de l’Union

4.

Concernant la période sur laquelle porte le litige au principal, l’article 43 CE (devenu article 49 TFUE) régit la liberté d’établissement comme suit:

«Dans le cadre des dispositions ci-après, les restrictions à la liberté d’établissement des ressortissants d’un État membre dans le territoire d’un autre État membre sont interdites. Cette interdiction s’étend également aux restrictions à la création d’agences, de succursales ou de filiales, par les ressortissants d’un État membre établis sur le territoire d’un État membre.

La liberté d’établissement comporte l’accès aux activités non salariées et leur exercice, ainsi que la constitution et la gestion d’entreprises, et notamment de sociétés au sens de l’article 48, deuxième alinéa, dans les conditions définies par la législation du pays d’établissement pour ses propres ressortissants, sous réserve des dispositions du chapitre relatif aux capitaux.»

5.

L’article 48 CE (devenu article 54 TFUE) étend le champ d’application de la liberté d’établissement comme suit:

«Les sociétés constituées en conformité de la législation d’un État membre et ayant leur siège statutaire, leur administration centrale ou leur principal établissement à l’intérieur de l’Union sont assimilées, pour l’application des dispositions du présent chapitre, aux personnes physiques ressortissantes des États membres.

Par sociétés, on entend les sociétés de droit civil ou commercial, y compris les sociétés coopératives, et les autres personnes morales relevant du droit public ou privé, à l’exception des sociétés qui ne poursuivent pas de but lucratif.»

6.

La directive 90/435/CEE du Conseil, du 23 juillet 1990, concernant le régime fiscal commun applicable aux sociétés mères et filiales d’États membres différents ( 4 ) (ci-après la «directive mère filiale»), qui est pertinente dans l’affaire au principal, prévoit à son article 1er, paragraphe 1, qu’elle est applicable à certaines distributions de bénéfices à caractère transfrontalier. Conformément à son troisième considérant, elle a pour objet d’éliminer la pénalisation fiscale des groupes transfrontaliers par rapport aux groupes nationaux. À cet égard, son article 4, paragraphe 1, dans la version modifiée par la directive 2003/123/CE ( 5 ), énonce la règle suivante:

«1. Lorsqu’une société mère ou son établissement stable perçoit, au titre de l’association entre la société mère et sa filiale, des bénéfices distribués autrement qu’à l’occasion de la liquidation de cette dernière, l’État de la société mère et l’État de son établissement stable:

soit s’abstiennent d’imposer ces bénéfices,

soit les imposent tout en autorisant la société mère et l’établissement stable à déduire du montant de leur impôt la fraction de l’impôt sur les sociétés afférente à ces bénéfices et acquittée par la filiale et toute sous-filiale […].»

7.

À cet égard, l’article 4, paragraphe 2, de la directive mère filiale ajoute ce qui suit:

«Toutefois, tout État membre garde la faculté de prévoir que des charges se rapportant à la participation […] [dans] la société filiale ne sont pas déductibles du bénéfice imposable de la société mère. Si, dans ce cas, les frais de gestion se rapportant à la participation sont fixés forfaitairement, le montant forfaitaire ne peut excéder 5 % des bénéfices distribués par la société filiale.»

B – Le droit français

8.

La République française prélève un impôt sur les sociétés grevant les revenus des sociétés, qui est régi par le code général des impôts (ci‑après le «CGI»).

9.

Concernant les revenus de participations et les charges s’y rapportant, l’article 216 du CGI prévoit ce qui suit:

«Les produits nets des participations, ouvrant droit à l’application du régime des sociétés mères […] touchés […] par une société mère, peuvent être retranchés du bénéfice net total de celle-ci, défalcation faite d’une quote-part de frais et charges. La quote-part de frais et charges […] est fixée uniformément à 5 % du produit total des participations, crédit d’impôt compris. […]»

10.

Concernant les groupes, un régime spécial d’imposition commune est prévu à l’article 223 A du CGI sous certaines conditions:

«Une société peut se constituer seule redevable de l’impôt sur les sociétés dû sur l’ensemble des résultats du groupe formé par elle-même et les sociétés dont elle détient 95 p. 100 au moins du capital, de manière continue au cours de l’exercice, directement ou indirectement par l’intermédiaire de sociétés du groupe. […]

Seules peuvent être membres du groupe les sociétés […] dont les résultats sont soumis à l’impôt sur les sociétés dans les conditions de droit commun. […]»

11.

Le résultat d’ensemble du groupe est déterminé conformément à l’article 223 B du CGI:

«Le résultat d’ensemble est déterminé par la société mère en faisant la somme algébrique des résultats de chacune des sociétés du groupe, déterminés dans les conditions de droit commun […].

En ce qui concerne la détermination des résultats des exercices ouverts avant le 1er janvier 1993, ou clos à compter du 31 décembre 1998, le résultat d’ensemble est diminué de la quote-part de frais et charges comprise dans ses résultats par une société du groupe à raison de sa participation dans une autre société du groupe […].

[…]»

III – Le litige au principal

12.

Le litige au principal concerne l’impôt sur les sociétés de la société française Groupe Steria SCA (ci-après «Groupe Steria») pour les années 2005 à 2008. Groupe Steria est la société mère d’un groupe qui est soumis au régime spécial d’imposition des groupes.

13.

Groupe Steria demande la déduction de la quote-part de frais et charges de 5 % qui, en vertu de l’article 261, paragraphe 1, du CGI, n’est pas déductible (ci‑après la «quote-part de 5 %»), concernant des produits perçus par l’une de ses filiales résidentes au titre de participations dans des sociétés ayant leur siège dans d’autres États membres de l’Union européenne. Les autorités françaises interdisent cette déduction car, conformément à l’article 223 B, deuxième alinéa, du CGI, celle-ci n’est possible que si les produits de participation proviennent d’une société membre du groupe fiscal. Or, en application de l’article 223 A, deuxième alinéa, du CGI, les sociétés établies à l’étranger ne peuvent pas être membres d’un tel groupe.

14.

Si Groupe Steria admet l’exclusion des sociétés non-résidentes du régime d’imposition des groupes, elle est toutefois d’avis que les dispositions françaises sont incompatibles avec la liberté d’établissement dans la mesure où elles refusent la déduction de la quote-part de 5 % pour des participations détenues dans des sociétés qui pourraient être membres du groupe fiscal si elles n’étaient pas établies à l’étranger.

IV – La procédure devant la Cour

15.

La cour administrative d’appel de Versailles (France), qui était saisie du litige au principal, a posé à la Cour, le 13 août 2014, la question préjudicielle suivante conformément à l’article 267 TFUE:

«L’article 43 du traité CE devenu l’article 49 du TFUE relatif à la liberté d’établissement doit-il être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce que la législation relative au régime français de l’intégration fiscale accorde à une société mère intégrante la neutralisation de la réintégration de la quote-part de frais et charges forfaitairement fixée à 5 % du montant net des dividendes perçus par elle des seules sociétés résidentes partie à l’intégration, alors qu’un tel droit lui est refusé, en vertu de cette législation, pour les dividendes qui lui sont...

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