Opinion of Advocate General Wathelet delivered on 15 October 2015.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2015:693
Docket NumberC-689/13
Celex Number62013CC0689(01)
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Date15 October 2015
62013CC0689(01)

CONCLUSIONS COMPLÉMENTAIRES DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MELCHIOR WATHELET

présentées le 15 octobre 2015 ( 1 )

Affaire C‑689/13

Puligienica Facility Esco SpA (PFE)

contre

Airgest SpA

[demande de décision préjudicielle formée par le Consiglio di giustizia amministrativa per la Regione siciliana (Conseil de la justice administrative de la région de Sicile, Italie)]

«Réouverture de la procédure orale — Article 267 TFUE — Notion de ‘juridiction’ — Approche organisationnelle — Approche fonctionnelle»

I – Introduction

1.

Les présentes conclusions sont les deuxièmes présentées dans le cadre de l’affaire PFE (C‑689/13, EU:C:2015:263). La demande de décision préjudicielle porte, d’une part, sur l’interprétation de l’article 1er, paragraphe 3, de la directive 89/665/CEE du Conseil, du 21 décembre 1989, portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives à l’application des procédures de recours en matière de passation des marchés publics de fournitures et de travaux ( 2 ), telle que modifiée par la directive 2007/66/CE du Parlement européen et du Conseil, du 11 décembre 2007 ( 3 ), et, d’autre part, sur l’interprétation de l’article 267 TFUE ainsi que des principes de primauté du droit de l’Union et d’interprétation conforme.

2.

Par décision du 20 janvier 2015, la Cour avait décidé de renvoyer l’affaire devant la cinquième chambre. Une audience a eu lieu le 11 mars 2015, Puligienica Facility Esco SpA (PFE), Gestione Servizi Ambientali Srl, le gouvernement italien ainsi que la Commission européenne ont pu y présenter leurs observations. J’ai présenté mes premières conclusions dans cette affaire le 23 avril 2015 ( 4 ). Toutefois, le 10 juin 2015, dans le cadre de son délibéré, cette chambre a décidé, en application de l’article 60, paragraphe 3, du règlement de procédure de la Cour, de renvoyer l’affaire devant la Cour, qui l’a réattribuée à la grande chambre.

3.

Par son ordonnance PFE (C‑689/13, EU:C:2015:521), la Cour a dès lors ordonné la réouverture de la procédure orale et invité les intéressés visés à l’article 23 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne à prendre position sur la question suivante: «la notion de ‘juridiction’, au sens de l’article 267 TFUE, et l’obligation d’appliquer le droit de l’Union tel qu’interprété par la Cour de justice de l’Union européenne visent-elles, selon une approche fonctionnelle, la chambre d’une juridiction d’un État membre saisie d’un litige ou, selon une approche organisationnelle, uniquement cette juridiction considérée dans son ensemble, à laquelle appartient organiquement cette chambre?»

4.

Dans les présentes conclusions, je me concentrerai donc uniquement sur cette question et me limiterai à rappeler les éléments utiles à son examen. Je relève enfin que seuls les gouvernements italien, néerlandais et polonais, ainsi que la Commission, ont répondu à la question posée par la Cour suite à la réouverture de la procédure orale. Seuls le gouvernement italien et la Commission ont souhaité s’exprimer lors de l’audience qui s’est tenue le 15 septembre 2015.

II – Le cadre juridique

5.

Le décret législatif no 104, du 2 juillet 2010 (supplément ordinaire à la GURI no 156, du 7 juillet 2010), a institué le code de procédure administrative.

6.

Selon l’article 99, paragraphe 3, de ce code, «[s]i la chambre à laquelle est attribué le recours estime qu’elle ne partage pas un principe de droit énoncé par l’assemblée plénière, elle renvoie à cette dernière la décision du recours, par une ordonnance motivée».

7.

L’article 99, paragraphe 4, dudit code précise que «[l]’assemblée plénière statue sur tout le litige, sauf si elle décide d’énoncer le principe de droit et de renvoyer pour le reste l’instance à la chambre de renvoi».

III – Analyse

A – Rappel de l’interprétation proposée dans mes premières conclusions

8.

À titre liminaire, j’observe que le gouvernement italien ainsi que les deux autres gouvernements ayant répondu à la question posée par la Cour soutiennent l’interprétation fonctionnelle de la notion de «juridiction».

9.

C’est également la position que j’avais, implicitement mais certainement, soutenue dans mes premières conclusions. Au terme de l’analyse de la deuxième question préjudicielle posée par la juridiction de renvoi, j’ai conclu que «l’article 267 TFUE s’oppose à une disposition, telle que l’article 99, paragraphe 3, du code de procédure administrative, interprétée comme imposant à la chambre d’une juridiction dont les décisions ne sont pas susceptibles d’un recours juridictionnel, lorsqu’elle ne partage pas un principe de droit énoncé par l’assemblée plénière de cette même juridiction, de lui renvoyer la décision faisant l’objet du recours sans avoir la possibilité de poser à titre préalable une question préjudicielle à la Cour de justice» ( 5 ).

10.

Si je n’avais pas expressément évoqué l’idée de la conception «fonctionnelle» d’une juridiction au sens de l’article 267 TFUE, celle-ci est néanmoins conforme à la solution préconisée. C’est, en outre, celle que je maintiens dans les présentes conclusions complémentaires.

B – Le Consiglio di Giustizia amministrativa per la Regione siciliana (Conseil de la justice administrative de la région de Sicile) et l’incidence de l’article 99, paragraphe 3, du code de procédure administrative sur le caractère définitif de ses décisions

11.

Composé de deux chambres qui constituent des chambres détachées du Consiglio di Stato (Conseil d’État, Italie) ( 6 ), le caractère juridictionnel du Consiglio di Giustizia amministrativa per la Regione siciliana (Conseil de la justice administrative de la région de Sicile), au sens de l’article 267 TFUE, ne me paraît pas susceptible d’être mis en doute. En effet, selon l’article 6, paragraphe 1, du code de procédure administrative, «[l]e Consiglio di Stato [Conseil d’État] est l’organe de la juridiction administrative statuant en dernier ressort».

12.

Le gouvernement italien a confirmé, lors de l’audience du 15 septembre 2015, que, d’une part, les décisions rendues par le Consiglio di Giustizia amministrativa per la Regione siciliana (Conseil de la justice administrative de la région de Sicile) n’étaient susceptibles de faire l’objet d’aucun recours et que, d’autre part, la non-application de l’article 99, paragraphe 3, du code de procédure administrative n’était, elle non plus, susceptible d’aucun recours ni d’aucune sanction ( 7 ).

13.

Comme je le signalais déjà dans mes premières conclusions, la Corte suprema di cassazione (Cour de cassation, Italie) a elle-même estimé, dans l’arrêt no 2403 rendu le 4 février 2014 en chambres réunies, que, «dans le système juridictionnel administratif italien, il appartenait au Consiglio di Stato [Conseil d’État], à ses chambres et à l’assemblée plénière sans distinction, de statuer en tant que juridiction de dernier ressort au sens de l’article 267, troisième alinéa, TFUE» ( 8 ).

14.

La possibilité pour cette juridiction de poser une question préjudicielle à la Cour ne serait d’ailleurs pas un fait inédit puisque la Cour a déjà répondu à plusieurs demandes de décision préjudicielle qui lui avaient été adressées par le Consiglio di Giustizia amministrativa per la Regione siciliana (Conseil de la justice administrative de la région de Sicile) ( 9 ).

15.

Retenir une approche organisationnelle de cette juridiction impliquerait donc qu’une juridiction, au sens de l’article 267 TFUE, puisse perdre cette qualité en raison d’une modalité propre à l’organisation judiciaire d’un État membre.

C – L’incidence du dessaisissement de la chambre d’une juridiction au profit de la même juridiction autrement composée

16.

Il ressort d’une jurisprudence désormais constante de la Cour que l’article 267 TFUE s’oppose à la législation d’un État membre qui instaure une procédure incidente de contrôle de constitutionnalité des lois nationales si le caractère prioritaire de cette procédure a pour conséquence d’empêcher la juridiction nationale d’exercer sa faculté ou son obligation de saisir la Cour de questions préjudicielles tant avant la transmission d’une question de constitutionnalité à la juridiction nationale chargée d’exercer le contrôle de constitutionnalité des lois que, le cas échéant, après la décision de cette juridiction sur cette question ( 10 ). Il résulte de cette jurisprudence que le juge saisi du litige doit toujours être en mesure, à un moment donné, d’interroger la Cour à titre préjudiciel.

17.

Dans l’affaire qui nous occupe, l’article 99, paragraphe 3, du code de procédure administrative n’impose pas le renvoi à une autre juridiction mais à la même juridiction autrement composée. L’élément essentiel ne réside toutefois pas, selon moi, dans cette différence mais dans le fait que, si le Consiglio di Giustizia amministrativa per la Regione siciliana (Conseil de la justice administrative de la région de Sicile) [ou toute autre chambre du Consiglio di Stato (Conseil d’État)] décide, sur la base de l’article 99, paragraphe 3, du code de procédure administrative, de renvoyer l’affaire à l’assemblée plénière, il n’est, en principe, plus lui-même saisi du litige et ne pourra plus, par conséquent, interroger la Cour à titre préjudiciel, que ce soit...

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