Opinion of Advocate General Pitruzzella delivered on 5 December 2019.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2019:1052
Date05 December 2019
Celex Number62018CC0560
CourtCourt of Justice (European Union)

Édition provisoire

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. GIOVANNI PITRUZZELLA

présentées le 5 décembre 2019(1)

(Affaire C560/18 P)

Izba Gospodarcza Producentów i Operatorów Urządzeń Rozrywkowych/Commission

contre

Commission européenne.

« Pourvoi – Accès aux documents des institutions de l’Union européenne – Règlement (CE) no 1049/2001 – Documents concernant une procédure en manquement en cours – Avis circonstanciés émis dans le cadre d’une procédure de notification sur la base de la directive 98/34/CE – Refus d’accorder l’accès – Exception prévue par l’article 4, paragraphe 2, troisième tiret – Divulgation des documents demandés dans le cadre d’une procédure devant le Tribunal – Irrecevabilité – Persistance de l’intérêt à agir »






I. Introduction

1. L’intérêt à agir de d’une association représentant les intérêts des opérateurs d’un secteur commercial déterminé disparaît-il à la suite de la divulgation, au cours de la procédure devant le Tribunal de l’Union européenne, des documents dont l’accès avait été refusé par la Commission européenne ?

2. De quels éléments le Tribunal doit-il constater l’existence pour pouvoir valablement exclure la persistance de l’intérêt de la requérante à agir et donc déclarer qu’il n’y a pas lieu de statuer ?

3. La probabilité que l’illégalité prétendue, à savoir le refus de l’accès à certains documents, se reproduise à l’avenir, doit-elle être appréciée in abstracto, concernant toute hypothèse de refus sur la base de la même disposition de droit, ou bien in concreto, en tenant compte des caractéristiques subjectives et objectives de la situation particulière ?

4. Ce sont, en substance, les questions juridiques qui sous-tendent l’affaire en cause en l’espèce, dans laquelle une association de défense des intérêts des fabricants, des distributeurs et des opérateurs d’automates de divertissement en Pologne saisit la Cour de justice d’un pourvoi en annulation de l’ordonnance du Tribunal déclarant qu’il n’y avait plus lieu de statuer au motif que cette association ne disposait plus d’un intérêt pour agir.

5. La requérante a fondé son pourvoi sur cinq moyens, mais je me limiterai dans les présentes conclusions, comme l’a demandé la Cour, à traiter les questions juridiques relatives au premier moyen du pourvoi.

6. Après avoir défini l’objet de la procédure, j’analyserai la jurisprudence de la Cour sur la question de l’intérêt à agir, en appliquant à l’espèce les principes exposés.

7. En particulier, je m’efforcerai d’expliquer que la persistance de l’intérêt à agir dans un litige relatif à l’accès aux documents, après la divulgation de ces derniers, est tout à fait exceptionnelle et réservée à des situations spécifiques que la Cour a rappelées encore récemment dans son arrêt du 4 septembre 2018, ClientEarth/Commission (C‑57/16 P) (2).

8. Enfin, je conclurai que ces situations spécifiques ne sont pas constatées en l’espèce, que le Tribunal n’a donc pas commis d’erreur de droit en jugeant qu’il n’y avait pas lieu de statuer et que, par conséquent, il convient de rejeter le premier moyen du pourvoi.

II. Cadre juridique applicable

A. Le règlement (CE) no 1049/2001

9. Conformément au considérant 4 du règlement (CE) nº 1049/2001 (3) :

« Le présent règlement vise à conférer le plus large effet possible au droit d’accès du public aux documents et à en définir les principes généraux et limites conformément à l’article 255, paragraphe 2, du traité CE ».

10. En outre, le considérant 11 du même règlement précise que :

« En principe, tous les documents des institutions devraient être accessibles au public. Toutefois, certains intérêts publics et privés devraient être garantis par le biais d’un régime d’exceptions. Il convient de permettre aux institutions de protéger leurs consultations et délibérations internes lorsque c’est nécessaire pour préserver leur capacité à remplir leurs missions.

(…) ».

11. L’article 2 du règlement (CE) nº 1049/2001, sous le titre « Bénéficiaires et champ d’application », prévoit que :

« 1. Tout citoyen de l’Union et toute personne physique ou morale résidant ou ayant son siège dans un État membre a un droit d’accès aux documents des institutions, sous réserve des principes, conditions et limites définis par le présent règlement. »

12. L’article 4, paragraphes 1 et 2, du règlement (CE) nº 1049/2001, sous le titre « Exceptions », prévoit que :

« 2. Les institutions refusent l’accès à un document dans le cas où sa divulgation porterait atteinte à la protection :

– des intérêts commerciaux d’une personne physique ou morale déterminée, y compris en ce qui concerne la propriété intellectuelle,

– des procédures juridictionnelles et des avis juridiques,

– des objectifs des activités d’inspection, d’enquête et d’audit,

à moins qu’un intérêt public supérieur ne justifie la divulgation du document visé.

3. L’accès à un document établi par une institution pour son usage interne ou reçu par une institution et qui a trait à une question sur laquelle celle‑ci n’a pas encore pris de décision est refusé dans le cas où sa divulgation porterait gravement atteinte au processus décisionnel de cette institution, à moins qu’un intérêt public supérieur ne justifie la divulgation du document visé. » […]

III. Les faits, la procédure devant le Tribunal et l’ordonnance attaquée

A. Les faits antérieurs à l’introduction du recours devant le Tribunal

13. Le 20 novembre 2013, la Commission européenne a adressé à la République de Pologne, dans le cadre de la procédure en manquement 2013/4218, une lettre de mise en demeure sur le fondement de l’article 258 TFUE par laquelle elle lui demandait de mettre son cadre réglementaire national régissant les services de jeux de hasard en conformité avec les libertés fondamentales prévues par le droit de l’Union.

14. La République de Pologne a donc annoncé à la Commission, dans sa réponse reçue le 3 mars 2014, qu’elle avait l’intention de notifier, sur le fondement de la directive 98/34/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 juin 1998 (4) prévoyant une procédure d’information dans le domaine des normes et réglementations techniques, un projet de loi portant modification de la loi polonaise sur les jeux de hasard.

15. Le 5 novembre 2014, la République de Pologne a notifié à la Commission, sous la référence 2014/537/PL, le projet de loi annoncé (5), conformément à l’article 8 de la directive 98/34.

16. Dans le cadre de cette procédure, la Commission et la République de Malte ont émis, respectivement les 3 et 6 février 2015, deux avis circonstanciés sur le projet de loi notifié, au sens de l’article 9, paragraphe 2, de la directive 98/34.

17. Le 17 février 2015, Izba Gospodarcza Producentów i Operatorów Urządzeń Rozrywkowych (ci‑après « IGPOUR »), une organisation représentant les intérêts des fabricants, des distributeurs et des opérateurs d’automates de divertissement en Pologne, a demandé l’accès aux deux avis émis par la Commission et la République de Malte, en vertu de l’article 2, paragraphe 1, du règlement (CE) nº 1049/2001.

18. Après examen, le 10 mars 2015, la Commission a refusé d’accorder à IGPOUR l’accès aux documents demandés.

19. Le 16 avril 2015, IGPOUR a donc a adressé une demande confirmative d’accès aux documents à la Commission, conformément à l’article 7, paragraphe 2, du règlement (CE) nº 1049/2001.

20. Le 12 juin 2015, la Commission a adopté la décision GESTDEM 2015/1291, par laquelle elle a rejeté la demande confirmative d’IGPOUR en tant qu’elle concernait son avis circonstancié ; le 17 juillet 2015, elle a rejeté la demande confirmative en tant qu’elle concernait l’avis circonstancié de la République de Malte (6).

21. Dans les décisions litigieuses, la Commission a motivé son refus de divulguer les documents demandés par IGPOUR sur la base de l’article 4, paragraphe 2, troisième tiret, du règlement (CE) nº 1049/2001. Plus précisément, la Commission a expliqué que la divulgation des documents en cause aurait porté atteinte à la protection des « objectifs des activités d’inspection, d’enquête et d’audit », en ce qui concernait la procédure en manquement 2013/4218, étant donné que ces avis étaient inextricablement liés à ladite procédure.

B. La procédure devant le Tribunal et l’ordonnance attaquée

22. Le 1er septembre 2015, IGPOUR a déposé une requête au greffe du Tribunal contre le refus susmentionné, demandant l’annulation des décisions litigieuses.

23. Dans le cadre de cette procédure, le Royaume de Suède a été admis à intervenir à l’appui des conclusions d’IGPOUR, tandis que la République de Pologne a été admise à intervenir au soutien de la Commission.

24. À l’audience du 28 septembre 2017, les parties ont entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal.

25. Par acte déposé le 6 mars 2018, la Commission a demandé qu’il plaise au Tribunal constater que le recours introduit par IGPOUR était devenu sans objet, la Commission ayant décidé d’accorder à la requérante l’accès aux deux documents en cause après la clôture de la procédure en manquement correspondante 2013/4218. Par le même acte, la Commission a également demandé la condamnation de la requérante aux dépens de la procédure.

26. À la suite de cette demande, le Tribunal a décidé de rouvrir la phase orale de la procédure par ordonnance du 14 mars 2018 et il a invité les parties à s’exprimer sur la demande de non‑lieu à statuer déposée par la Commission.

27. Dans ses observations, IGPOUR a contesté avoir perdu son intérêt à agir, alors que la République de Pologne s’est limitée à relever dans ses observations qu’elle ne s’opposait pas à la demande de la Commission. Le Royaume de Suède n’a pas déposé d’observations sur cette demande.

28. Par ordonnance du 10 juillet 2018 (7), le Tribunal a déclaré qu’il n’y avait pas lieu de statuer et il a condamné chaque partie à supporter ses propres dépens dans la procédure.

29. À l’appui de sa décision, le Tribunal, eu égard à la spécificité de la...

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