Expedia Inc. v Autorité de la concurrence and Others.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2012:544
Docket NumberC-226/11
Celex Number62011CC0226
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Date06 September 2012
62011CC0226

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M ME JULIANE KOKOTT

présentées le 6 septembre 2012 ( 1 )

Affaire C‑226/11

Expedia Inc.

contre

Autorité de la concurrence e.a.

[demande de décision préjudicielle formée par la Cour de cassation (France)]

«Concurrence — Article 81 CE — Restriction sensible du jeu de la concurrence — Appréciation du caractère sensible des restrictions de concurrence ‘par objet’ — Communication ‘de minimis’ de la Commission (communication sur les accords d’importance mineure) — Non-dépassement des seuils de parts de marché prévus dans la communication de minimis — Pouvoir des autorités nationales de la concurrence d’appliquer néanmoins l’article 81 CE et d’infliger des sanctions — Règlement (CE) no 1/2003 — Article 3, paragraphe 2»

I – Introduction

1.

Les communications adoptées par la Commission européenne dans le domaine du droit de la concurrence sont-elles contraignantes pour les juridictions et autorités nationales de la concurrence? Telle est, en substance, la question à laquelle la Cour est confrontée en l’espèce. Cette question se pose en rapport avec la communication «de minimis» ( 2 ) (également connue sous le nom de «communication sur les accords d’importance mineure»), laquelle précise les circonstances dans lesquelles la Commission considère que le jeu de la concurrence est sensiblement restreint au sens de l’article 81 CE (devenu article 101 TFUE).

2.

C’est la Cour de cassation (France) ( 3 ) qui, saisie d’un litige opposant l’agence de voyages en ligne Expedia Inc. à l’Autorité de la concurrence ( 4 ), a posé cette question. Expedia avait créé une entreprise commune avec la Société nationale des chemins de fer français (ci-après la «SNCF») pour la vente de billets de train et d’autres services relatifs aux voyages. Grâce à cette collaboration, Expedia a obtenu un accès privilégié au site Internet «voyages-sncf.com» créé par la SNCF, si bien qu’elle a bénéficié pour ses services d’un traitement préférentiel dont les autres agences de voyages étaient privées. Considérant que cet accord restreignait illégalement le jeu de la concurrence en violant à la fois l’article 81 CE et la disposition de droit national correspondante, l’Autorité de la concurrence a infligé des amendes à Expedia et à la SNCF.

3.

Les parties au litige au principal sont avant tout divisées quant à la question de savoir si l’accord litigieux conclu entre Expedia et la SNCF a entraîné une restriction sensible du jeu de la concurrence au sens de l’article 81 CE. Expedia affirme que le seuil de parts de marché de 10 % défini dans la communication de minimis n’a pas été atteint, si bien que l’Autorité de la concurrence n’aurait pas dû conclure à une restriction sensible du jeu de la concurrence.

4.

C’est dans ce contexte que la Cour de cassation souhaite savoir si les autorités nationales peuvent, en vertu de l’article 3, paragraphe 2, du règlement (CE) no 1/2003 ( 5 ), considérer que le jeu de la concurrence est sensiblement restreint même si ledit seuil de 10 % n’est pas dépassé. La juridiction suprême française souligne notamment que, d’après les constatations de fait établies dans le litige au principal, l’accord litigieux conclu entre Expedia et la SNCF avait non seulement un effet, mais également un objet anticoncurrentiel.

5.

La réponse à la question préjudicielle permettra à la Cour de contribuer de manière déterminante à préciser la marge de manœuvre dont les juridictions et les autorités nationales de la concurrence disposeront à l’avenir dans le cadre de l’application de l’article 101 TFUE. Cette affaire offre en outre l’occasion de préciser, aussi bien au niveau de l’Union qu’au niveau national, les conditions à remplir pour qu’une restriction de la concurrence par objet puisse être constatée. Ces deux points ont une importance non négligeable pour le bon fonctionnement du système décentralisé de mise en œuvre du droit des ententes, établi par le règlement no 1/2003.

II – Le cadre juridique

A – Le droit de l’Union

6.

Comme la décision litigieuse du Conseil de la concurrence a été adoptée au mois de février 2009, la question préjudicielle doit être examinée sur la base des règles prévoyant l’interdiction des accords anticoncurrentiels (ou «règles prohibant les ententes») dans leur version applicable avant l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne. Au niveau du droit de l’Union, la présente affaire est régie par l’article 81, paragraphe 1, CE et par le règlement no 1/2003 adopté pour sa mise en œuvre. Nos propos relatifs à l’article 81 CE sont cependant tout aussi transposables à l’article 101 TFUE, cité par la juridiction de renvoi.

7.

En ce qui concerne le rapport entre l’article 81 CE et les droits nationaux de la concurrence, l’article 3 du règlement no 1/2003 dispose notamment:

«1. Lorsque les autorités de concurrence des États membres ou les juridictions nationales appliquent le droit national de la concurrence à des accords, des décisions d’associations d’entreprises ou des pratiques concertées au sens de l’article 81 [CE] susceptibles d’affecter le commerce entre États membres au sens de cette disposition, elles appliquent également l’article 81 [CE] à ces accords, décisions ou pratiques concertées. [...]

2. L’application du droit national de la concurrence ne peut pas entraîner l’interdiction d’accords, de décisions d’associations d’entreprises ou de pratiques concertées qui sont susceptibles d’affecter le commerce entre États membres, mais qui n’ont pas pour effet de restreindre la concurrence au sens de l’article 81, paragraphe 1, [CE] ou qui satisfont aux conditions énoncées à l’article 81, paragraphe 3, [CE] ou qui sont couverts par un règlement ayant pour objet l’application de l’article 81, paragraphe 3, [CE]. [...]

[...]»

8.

S’agissant de la coopération entre la Commission et les autorités de concurrence des États membres, l’article 11, paragraphe 1, du règlement no 1/2003 énonce:

«La Commission et les autorités de concurrence des États membres appliquent les règles communautaires de concurrence en étroite collaboration.»

9.

Il convient également de mentionner, à titre complémentaire, les explications contenues aux considérants 1, 6, 8, 14, 15, 22 et 34 du règlement no 1/2003:

«(1)

Pour établir un régime assurant que la concurrence n’est pas faussée dans le marché [intérieur], il y a lieu de pourvoir à l’application efficace et uniforme des articles 81 et 82 du traité dans [l’Union européenne]. [...]

[...]

(6)

Pour assurer l’application efficace des règles [...] de concurrence [de l’Union], il y a lieu d’y associer davantage les autorités de concurrence nationales. À cette fin, celles-ci doivent être habilitées à appliquer le droit [de l’Union].

[...]

(8)

Afin de garantir la mise en œuvre effective des règles [...] de concurrence [de l’Union] ainsi que le bon fonctionnement des mécanismes de coopération prévus par le présent règlement, il est nécessaire de faire obligation aux autorités de concurrence et aux juridictions des États membres d’appliquer les articles 81 [CE] et 82 [CE], lorsqu’elles appliquent des règles nationales de concurrence, aux accords et aux pratiques qui sont susceptibles d’affecter le commerce entre États membres. Afin de créer au sein du marché intérieur des conditions de concurrence homogènes pour les accords entre entreprises, les décisions d’associations d’entreprises et les pratiques concertées, il est également nécessaire de définir [...] les rapports entre les législations nationales et le droit [de l’Union] en matière de concurrence. À cet effet, il faut prévoir que l’application du droit national de la concurrence aux accords, décisions et pratiques concertées au sens de l’article 81, paragraphe 1, [CE] ne peut pas entraîner l’interdiction de ces accords, décisions et pratiques concertées s’ils ne sont pas également interdits en vertu du droit [...] de la concurrence [de l’Union]. [...]

[...]

(14)

Il peut également être utile, dans des cas exceptionnels et lorsque l’intérêt public [de l’Union] le requiert, que la Commission adopte une décision de nature déclaratoire constatant l’inapplication de l’interdiction énoncée par l’article 81 [CE] ou 82 [CE], et ce, afin de clarifier le droit et d’en assurer une application cohérente dans [l’Union], en particulier pour ce qui est des nouveaux types d’accords ou de pratiques au sujet desquels la jurisprudence et la pratique administrative existantes ne se sont pas prononcées.

(15)

Il convient que la Commission et les autorités de concurrence des États membres forment ensemble un réseau d’autorités publiques appliquant les règles [...] de concurrence [de l’Union] en étroite coopération. [...]

[...]

(22)

Afin de garantir le respect des principes de la sécurité juridique et l’application uniforme des règles de concurrence [de l’Union] dans un système de compétences parallèles, il faut éviter les conflits de décisions. [...]

[...]

(34)

Les principes énoncés aux articles 81 [CE] et 82 [CE] [...] confient aux organes de [l’Union] une place centrale qu’il convient de maintenir, tout en associant davantage les États membres à l’application des règles [...] de concurrence [de l’Union]. [...]»

10.

En l’espèce, il convient également de tenir compte de la communication de minimis, adoptée par la Commission en 2001. Cette communication énonce notamment ce qui suit:

«[...]

2.

Dans la présente communication, la Commission quantifie au moyen de seuils de part de marché, ce qui ne constitue pas une restriction sensible de la concurrence au sens de l’article 81 [CE]. [...]

[...]

4.

La...

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