Centre hospitalier universitaire de Besançon v Thomas Dutrueux and Caisse primaire d'assurance maladie du Jura.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2011:706
Date27 October 2011
Celex Number62010CC0495
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Docket NumberC-495/10

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. PAOLO MENGOZZI

présentées le 27 octobre 2011 (1)

Affaire C‑495/10

Centre hospitalier universitaire de Besançon

contre

Thomas Dutrueux,

Caisse primaire d’assurance maladie du Jura

[demande de décision préjudicielle formée par le Conseil d’État (France)]

«Harmonisation des législations – Responsabilité des établissements publics de santé à l’égard de leurs patients du fait des produits défectueux – Limitation de la responsabilité du prestataire de services»





1. La présente demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 3 et 13 de la directive 85/374/CEE du Conseil, du 25 juillet 1985, relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux (JO L 210, p. 29).

2. Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige portant sur la responsabilité du centre hospitalier universitaire de Besançon (ci‑après le «CHU de Besançon») pour les dommages, causés à un patient, consécutifs à l’utilisation d’un matelas chauffant défectueux.

I – Le cadre juridique

A – La directive 85/374

3. Les premier, quatrième, treizième et dix-huitième considérants de la directive 85/374 énoncent:

«considérant qu’un rapprochement des législations des États membres en matière de responsabilité du producteur pour les dommages causés par le caractère défectueux de ses produits est nécessaire du fait que leur disparité est susceptible de fausser la concurrence, d’affecter la libre circulation des marchandises au sein du marché commun et d’entraîner des différences dans le niveau de protection du consommateur contre les dommages causés à sa santé et à ses biens par un produit défectueux;

[...]

considérant que la protection du consommateur exige que la responsabilité de tous les participants au processus de production soit engagée si le produit fini ou la partie composante ou la matière première fournie par eux présentait un défaut; que, pour la même raison, il convient que soit engagée la responsabilité de l’importateur de produits dans la Communauté ainsi que celle de toute personne qui se présente comme producteur en apposant son nom, sa marque ou tout autre signe distinctif ou de toute personne qui fournit un produit dont le producteur ne peut être identifié;

[...]

considérant que, selon les systèmes juridiques des États membres, la victime peut avoir un droit à réparation au titre de la responsabilité extracontractuelle différent de celui prévu par la présente directive; que, dans la mesure où de telles dispositions tendent également à atteindre l’objectif d’une protection efficace des consommateurs, elles ne doivent pas être affectées par la présente directive; que, dans la mesure où une protection efficace des consommateurs dans le secteur des produits pharmaceutiques est déjà également assurée dans un État membre par un régime spécial de responsabilité, des actions basées sur ce régime doivent rester également possibles;

[...]

considérant que l’harmonisation résultant de la présente directive ne peut, au stade actuel, être totale, mais ouvre la voie vers une harmonisation plus poussée; [...]»

4. La directive 85/374 prévoit, à son article 1er, que «[l]e producteur est responsable du dommage causé par un défaut de son produit».

5. L’article 3 de ladite directive est libellé comme suit:

«1. Le terme ‘producteur’ désigne le fabricant d’un produit fini, le producteur d’une matière première ou le fabricant d’une partie composante, et toute personne qui se présente comme producteur en apposant sur le produit son nom, sa marque ou un autre signe distinctif.

2. Sans préjudice de la responsabilité du producteur, toute personne qui importe un produit dans la Communauté en vue d’une vente, location, leasing ou toute autre forme de distribution dans le cadre de son activité commerciale est considérée comme producteur de celui-ci au sens de la présente directive et est responsable au même titre que le producteur.

3. Si le producteur du produit ne peut être identifié, chaque fournisseur en sera considéré comme producteur, à moins qu’il n’indique à la victime, dans un délai raisonnable, l’identité du producteur ou de celui qui lui a fourni le produit. Il en est de même dans le cas d’un produit importé, si ce produit n’indique pas l’identité de l’importateur visé au paragraphe 2, même si le nom du producteur est indiqué.»

6. Aux termes de l’article 13 de la directive 85/374:

«La présente directive ne porte pas atteinte aux droits dont la victime d’un dommage peut se prévaloir au titre du droit de la responsabilité contractuelle ou extracontractuelle ou au titre d’un régime spécial de responsabilité existant au moment de la notification de la présente directive.»

B – La réglementation nationale

7. Les articles 1386-1 à 1386-18 du code civil assurent la transposition en droit interne des dispositions de la directive 85/374.

8. Le Conseil d’État (France) explique que la responsabilité des établissements publics de santé à l’égard de leurs patients fait, pour sa part, l’objet d’un régime de responsabilité gouverné notamment par des principes dégagés par la jurisprudence administrative.

9. Au rang de ces derniers figure un principe, dégagé par le Conseil d’État dans une décision du 9 juillet 2003 (2), selon lequel un établissement public hospitalier doit réparer, en l’absence même de faute de sa part, le dommage subi par un patient du fait de la défaillance d’un appareil ou d’un produit utilisé dans le cadre des soins dispensés.

II – Le litige au principal et les questions préjudicielles

10. Un patient, alors âgé de 13 ans, a été victime de brûlures au cours d’une intervention chirurgicale pratiquée le 3 octobre 2000 au CHU de Besançon. Ces brûlures ont été causées par un matelas chauffant sur lequel il avait été installé et dont le système de régulation de température était défectueux.

11. Par un jugement du 27 mars 2007, le tribunal administratif de Besançon a condamné le CHU de Besançon à réparer le dommage ainsi occasionné. Le recours introduit à l’encontre de ce jugement ayant été rejeté par la cour administrative d’appel de Nancy par un arrêt du 26 février 2009, le CHU de Besançon a alors formé un pourvoi en cassation contre cette dernière décision devant le Conseil d’État.

12. À l’appui de son pourvoi en cassation, le CHU de Besançon soutient que la décision de ladite cour administrative d’appel va à l’encontre de la directive 85/374. En effet, cette directive ferait obstacle à la mise en œuvre de la responsabilité du service public hospitalier, en l’absence de faute de sa part, pour les seules conséquences dommageables de la défaillance des produits et appareils de santé utilisés. Seul le producteur du matelas devrait être tenu pour responsable dès lors qu’il est dûment identifié.

13. Le principe selon lequel un établissement public hospitalier doit réparer, en l’absence même de faute de sa part, le dommage subi par un patient du fait de la défaillance d’un appareil ou d’un produit utilisé dans le cadre des soins, est un principe dégagé par le Conseil d’État en date du 9 juillet 2003. Ce régime particulier de responsabilité résulte des relations spécifiques qui s’établissent entre le service public hospitalier et les personnes qu’il prend en charge. Pour le Conseil d’État, il pourrait ainsi notamment être soutenu que ce régime de responsabilité repose sur un fondement spécifique, distinct de celui du régime institué par la directive 85/374. Le régime de responsabilité des établissements publics de santé pourrait en conséquence continuer à s’appliquer, conformément à l’article 13 de ladite directive.

14. À supposer que tel ne soit pas le cas, ladite juridiction est d’avis que l’issue du litige au principal dépendrait alors du point de savoir si le régime de responsabilité défini par la directive 85/374 concerne les dommages qu’un utilisateur du produit défectueux a pu causer à un tiers, dans le cadre d’une prestation de services au bénéfice de ce dernier.

15. C’est dans ces conditions que le Conseil d’État a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1) Compte tenu des dispositions de son article 13, la directive [85/374] permet-elle la mise en œuvre d’un régime de responsabilité fondé sur la situation particulière des patients des établissements publics de santé, en tant qu’il leur reconnaît notamment le droit d’obtenir de ces établissements, en l’absence même de faute de ceux-ci, la réparation des dommages causés par la défaillance des produits et appareils qu’ils utilisent, sans préjudice de la possibilité pour l’établissement d’exercer un recours en garantie contre le producteur?

2) La directive [85/374] limite-t-elle la possibilité pour les États membres de définir la responsabilité des personnes qui utilisent des appareils ou produits défectueux dans le cadre d’une prestation de services et causent, ce faisant, des dommages au bénéficiaire de la prestation?»

III – La procédure devant la Cour

16. La présente demande de décision préjudicielle, introduite par le Conseil d’État par décision du 4 octobre 2010, est parvenue à la Cour le 15 octobre 2010.

17. Le CHU de Besançon, les gouvernements français, allemand et grec ainsi que la Commission européenne ont déposé des observations écrites devant la Cour.

18. Ces parties intéressées, hormis le gouvernement allemand, ont été entendues lors de l’audience qui s’est tenue le 20 septembre 2011.

IV – Analyse juridique

19. Comme l’ont reconnu à juste titre l’ensemble des parties présentes à l’audience, la Cour devrait se pencher en premier lieu sur la seconde question préjudicielle, dès lors que celle-ci vise à déterminer si un régime de responsabilité tel que celui en cause au principal relève ou non du champ d’application de la directive 85/374. Une réponse négative à cette question rendrait sans...

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